illustration A la flaveur de Charlotte Sinding
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Alimentation, santé globale 7 min

A la flaveur de Charlotte Sinding

Renforcer la perception des saveurs grâce aux odeurs, voilà ce qu’étudie Charlotte Sinding, jeune chercheuse recrutée il y a cinq ans à INRAE au Centre des sciences du goût et de l’alimentation à Dijon. Son objet de recherche ? Le cerveau. Ses outils ? Olfactomètre, gustomètre, électroencéphalogramme, IRM… Et de nombreux projets ambitieux récompensés par un Laurier « espoir scientifique ».

Publié le 08 décembre 2020

Ne lui dites pas qu’elle étudie le goût ! Elle, c’est la flaveur ! C’est-à-dire la combinaison des odeurs des aliments et de leurs saveurs (sucré, salé, acide, amer, umami). En particulier, Charlotte Sinding s’intéresse aux mécanismes cérébraux qui sont responsables de la perception du goût et des odeurs et qui permettent d’avoir une représentation mentale de l’aliment que l’on mange.

De l’étude du comportement des animaux aux neurosciences, il n’y a qu’un pas (ou presque)

Comprendre finement ce qui se passe dans le cerveau

Si aujourd’hui Charlotte est chercheuse en neuroscience, rien ne la prédestinait à étudier le cerveau. Curieuse et observatrice, elle s’intéressait depuis son plus jeune âge au comportement des animaux et voulait faire de l’éthologie : « toute petite, je pouvais passer des heures à observer les insectes et les dessiner ». Déterminée, elle mène des études scientifiques qui la conduisent jusqu’en master d’éthologie à l’Université de Rennes. Elle poursuit sa route en réalisant une thèse à l’Université de Dijon sur la perception des mélanges d’odeurs : comment le cerveau intègre-t-il les informations provenant de nombreuses molécules olfactives différentes ? Une partie d’éthologie avec l’étude du comportement de lapereaux vis-à-vis de certaines odeurs et une partie de neuroscience pour répondre à la même question en observant le cerveau humain. Le déclic. Son besoin de comprendre finement le fonctionnement de tout ce qui l‘entoure, elle l’assouvi à travers l’étude approfondie des mécanismes cérébraux de la perception gustative. « Je me suis toujours intéressée au phénomène de perception, mais pour comprendre vraiment ce qu’il se passe, il y a un moment où il faut aller regarder dans le cerveau ». Elle n’en oublie pas complètement l’éthologie puisque Charlotte collabore actuellement avec un collègue qui travaille sur les comportements alimentaires des souris et envisage en parallèle de monter un projet avec une chercheuse pour étudier les comportements sociaux de singes en lien avec certaines odeurs.

Recherches de flaveur

La flaveur, c’est la combinaison des saveurs et des odeurs

Dans le goût des aliments, les odeurs ne comptent pas pour des prunes ! Bien au contraire, ce sont les odeurs qui nous permettent de distinguer si l’on mange une pomme ou un oignon. C’est ce qu’étudie Charlotte : quels rôles les odeurs jouent-elles dans notre perception gustative ? Pour répondre à cette question elle regarde ce qu’il se passe dans notre cerveau. Elle fait l’hypothèse que l’ajout d’arômes, de vanille ou de lychee par exemple, dans une boisson nous la fera percevoir plus sucrée qu’elle ne l’est en réalité. Ainsi, une piste pour limiter le sucre ou le sel dans certains aliments pourrait être d’y ajouter des arômes, ou de renforcer des arômes naturellement présents, auxquels sont associées les saveurs sucrées et salées. Charlotte étudie cela chez des populations avec des comportements alimentaires – a priori – différents. Elle compare ce qui se passe dans le cerveau selon que les personnes soient obèses ou non. Ou encore entre des personnes dont les traditions culinaires diffèrent du fait de leur culture. En France, nous associons la vanille au sucré car nous avons des expériences répétées de cette association, dans les yaourts ou les gâteaux par exemple. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres populations, au Vietnam ça ne fonctionne pas, c’est l’odeur de citron qui permet le mieux de renforcer la perception sucrée.

Derrière la porte du labo

Ses outils ? Olfactomètre, gustomètre, électroencéphalogramme, IRM…

Blouse blanche enfilée, Charlotte s’active, il faut mettre en route le gustomètre, de son petit nom « le gusto », et ce n’est pas une mince affaire, cela prend au moins une heure. Cet appareil, seuls l’ingénieuse Charlotte et le doctorant qu’elle encadre savent l’utiliser. Il est le fruit d’un long travail – 4 ans ! – pour réussir à coupler des instruments de neuroscience, des instruments capables de stimuler des odeurs et des goûts et un dispositif informatique qui interagit avec les personnes testées pour leur donner des instructions et enregistrer leurs ressentis. Assis face à un ordinateur, bonnet à électrodes sur la tête, celui ou celle qui se prête à l’expérience reçoit directement dans la bouche de l’eau plus ou moins sucrée, parfois associée à une odeur. Charlotte observe les courbes de l’électroencéphalogramme, elles lui indiquent en temps réel la séquence de traitement de l’information par le cerveau. On sait alors dans quel ordre l’information a été traitée et quelles zones du cerveau sont impliquées. Cette étape, c’est la dernière d’un long protocole sur lequel travaille Charlotte depuis son arrivée à INRAE. Car avant cette phase d’expérimentation, il a fallu identifier les arômes candidats pour que l’illusion s’opère dans notre cerveau. La vanille en est un, mais pas n’importe laquelle, c’est la variété vanilline qui semble renforcer le plus la perception du sucré. Puis, mettre au point le bon dosage sucre/arôme, déjà d’un point de vue chimique, puis d’un point de vue sensoriel avec des tests à l’aveugle en salle de dégustation par des volontaires. Ces expérimentations sont complétées avec la réalisation d’IRM (Imagerie à résonnance magnétique) dans le cadre d’un partenariat avec le CHU de Dijon. Ces IRM permettent de de visualiser finement les zones du cerveau qui sont activées lors de la dégustation d’eau plus ou moins sucrée avec ou sans arômes.  Chez des sujets obèses, on observe une diminution de la quantité de matières grises dans certaines régions liées à la perception. Cela suggère non pas un dysfonctionnement mais son hypothèse est qu’au contraire ces régions fonctionnent plus chez les personnes obèses.

Attention, cerveau en ébullition

Un protocole long à mettre en place mais très prometteur, en témoigne l’attribution de ce Laurier : « Ce qui m’a beaucoup étonné et agréablement surprise, c’est que ce Laurier est décerné sur la base des projets que l’on construit et pas forcément sur des résultats publiés ». Et des projets elle en a ! Si Charlotte se prêtait à l’exercice de l’électroencéphalogramme, il est certain qu’on pourrait y voir toutes les zones de son cerveau s’activer tellement elle déborde d’idées pour la suite de ses travaux ! Déjà, un nouveau projet, Aroma, qu’elle a déposé auprès de l’Agence nationale de recherche a été accepté il y a quelques jours. Il s’agira de cartographier, à partir de données issues d’IRM, des cartes d’activation cérébrales liées aux odeurs et aux goûts, toujours en comparant des personnes de poids différents, avec cette fois-ci l’étude de la perception gustative liée à la saveur salée. Ou encore mener ces tests sur d’autres textures que les liquides, mais il y a de nombreux freins méthodologiques à réaliser ce type de tests. Charlotte souhaite également poursuivre les études de l’influence de la culture sur les perceptions gustatives en comparant les réactions de personnes mexicaines et françaises face à certaines odeurs. Elle aimerait également étudier les effets d’expérience : « j’aimerais faire des essais sur des odeurs qui sont inconnues qui n’ont pas de lien avec du sucré ou du salé et voir à quel moment on peut associer une perception sucrée à des odeurs inconnues ». 
Explorer les terres inconnues de notre cerveau, en voilà de belles perspectives !

Partager le goût des sciences

Passionnée et passionnante, Charlotte est investie dans des actions de médiation scientifique. En particulier durant sa thèse, elle a participé à l’Experimentarium, un dispositif porté par l’Université de Bourgogne qui favorise les rencontres entre chercheurs et grand public. « Cela permet de s’entrainer à expliquer simplement, de clarifier sa pensée et d’avancer dans le raisonnement. ». Une expérience qui selon elle « ouvre l’esprit » et permet de se confronter à la société qui s’interroge parfois sur la légitimité de certains travaux de recherche surtout lorsqu’ils n’ont pas forcément une application directe et immédiate. Une recherche fondamentale qu’elle revendique : « la recherche fondamentale est indispensable, il y a encore beaucoup de limites liées à la compréhension de ce qu’on sait du fonctionnement de ces perceptions qui pourrait pourtant servir à l’adaptation de l’alimentation. »

Les Lauriers 2020 

ELODIE REGNIER Rédactrice

Contacts

Charlotte Sinding Chargée de rechercheCentre des Sciences du Goût et de l'Alimentation

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