Bioéconomie 6 min
Biomasse et bioénergies : enjeux et perspectives
Jusqu'où pourrait-on utiliser les produits, déchets et résidus de l’agriculture pour générer de l'énergie ? Un groupe de travail composé d’experts INRAE a produit, à la demande du ministère en charge de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, un rapport sur les enjeux agronomiques, techniques et économiques d’une mobilisation accrue des différents ressources de biomasse et de leur transformation énergétique. S’il souligne des points de vigilance, ce rapport ouvre des perspectives en lien avec le lancement d’une instance de référence sur la biomasse et ses usages.
Publié le 28 mai 2024
L’impact environnemental des énergies fossiles oblige aujourd’hui à aller vers des fonctionnements moins énergivores et des sources d’énergie décarbonées, peu ou pas émettrices de gaz à effet de serre (GES). L’objectif, à l’échelle de la France et de l’Europe, est d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, c'est-à-dire de trouver un équilibre entre les émissions résiduelles de GES et la compensation permise par les puits de carbone (réservoirs naturels ou artificiels stockant du carbone).
Cet objectif impose de réduire drastiquement les émissions de GES de la France (de 404 MtCO2eq en 2022 à 80 MtCO2eq en 2050). Il nécessite également d’utiliser plus de sources d’énergie décarbonées, parmi lesquelles la biomasse, pour produire du biogaz (notamment du biométhane), des biocarburants ou encore du bois énergie.
La biomasse est définie par le Code de l’énergie (article L211-2) comme la « fraction biodégradable des produits, déchets et résidus de l’agriculture, y compris les substances végétales et animales provenant de la terre et de la mer, de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers ».
Pour y parvenir, la France s’appuie notamment sur la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), dont l’un des objectifs est de décarboner totalement la production d’énergie à l’horizon 2050 en mobilisant les ressources en biomasse et l’électricité décarbonée.
La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) est, depuis 2015, la feuille de route de la France pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Elle comprend :
- un objectif de long terme : la neutralité carbone ;
- une trajectoire pour y parvenir ;
-
des orientations couvrant la gouvernance aux échelles nationale et territoriale, l’ensemble des secteurs d’activité (transport, bâtiment, agriculture, foresterie, énergie, industrie, déchets) et des sujets transversaux (empreinte carbone, investissements, aménagement du territoire, R&D, éducation et formation).
Dans quelle mesure la biomasse d’origine agricole pourra-t-elle jouer le rôle que lui attribue la SNBC dans la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique ? Jusqu’où ses différentes composantes pourront-elles être mobilisées de façon durable et quels sont les points de vigilance ? Ce sont les questions qu’a explorées, à la demande du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, un groupe d’experts INRAE* afin de préciser les enjeux agronomiques, techniques et économiques d’une mobilisation accrue des différents gisements de biomasse agricole et de leur transformation en énergies.
Produire des bioénergies à partir de la biomasse : un potentiel limité
En 2050, la biomasse, notamment agricole, contribuera au mix énergétique de la France mais elle ne pourra pas répondre à tous les besoins.
Un potentiel limité par la cascade des usages et la soutenabilité économique
L’utilisation de la biomasse, quelle que soit son origine, doit respecter une hiérarchie des usages. Pour la biomasse agricole, l’alimentation est prioritaire devant les utilisations en tant que biofertilisants, matériaux et énergie. Pour le bois, il convient de respecter une hiérarchie selon sa qualité, entre le bois d’œuvre, le bois d’industrie, le bois énergie avec les résidus et déchets des autres filières.
Cette cascade des usages pourrait être remise en cause dans certaines situations. Il est indispensable de veiller à la cohérence des politiques publiques dans les éventuels arbitrages à réaliser.
La question de la disponibilité de la biomasse renvoie à la question du développement et de la soutenabilité du système économique qui la produit. À noter l’hétérogénéité quantitative des différentes ressources selon les territoires, reflet de leur spécialisation en termes de production agricole, et leur variabilité au cours du temps.
Un potentiel limité par les impacts sur les écosystèmes
L’exploitation accrue des agroécosystèmes afin de produire de la biomasse à usage énergétique est source de pressions sur les sols, l’eau, l’air et la biodiversité. Les impacts dépendront fortement des scénarios de développement des usages, de la localisation et de la taille des nouvelles installations de production d’énergie, et des modes d’exploitation de ces ressources.
Le prélèvement de biomasse agricole peut avoir une incidence négative sur le fonctionnement des sols et notamment leur fertilité, surtout s’ils sont déjà pauvres en matière organique. Une biomasse ne peut être considérée comme ressource renouvelable que si sa mobilisation n’appauvrit pas les stocks en matière organique des zones où elle est prélevée. Sa mobilisation doit donc se concevoir dans le respect du maintien de la qualité des sols, et en particulier de leur fertilité.
L’un des enjeux est de trouver la fréquence et le volume d’exportation possible des résidus (cultures et intercultures) pour au moins maintenir les teneurs en matière organique et en éléments nutritifs des sols.
Un potentiel limité par la durabilité du modèle de production
L’incorporation de cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) dans les rotations culturales peut avoir des conséquences sur les cultures principales suivantes, notamment sur l’eau disponible pour ces dernières ou si le temps de culture des CIVE empiète sur celui des cultures principales.
Le besoin accru de biomasse risque aussi de favoriser l’usage d’engrais et de produits phytosanitaires, voire d’eau d’irrigation, sur des surfaces qui n’en consommaient pas ou peu auparavant.
Un potentiel limité par le changement climatique
Le changement climatique aura un impact significatif mais encore difficile à évaluer sur la biomasse disponible (quantité et qualité) dans les années à venir, en particulier en ce qui concerne les ressources en eau disponibles.
Vers une instance de référence sur la biomasse et ses usages, en appui aux politiques publiques
Destiné à éclairer les décideurs politiques, ce rapport suggère qu’il existe des opportunités de renforcement de la production d’énergie à partir de différents types de biomasse agricoles. Il pointe également de nombreuses incertitudes et questions encore en suspens à même d’inciter à une certaine prudence dans la construction de scenarios d’utilisation de la biomasse.
Développement du biométhane ou des biocarburants… les objectifs proposés par l’actuel document sur la Stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC) voient dans ce contexte leur atteinte encore incertaine. Ils nécessitent d’évaluer plus précisément les ressources actuelles et leur dynamique mais aussi les éléments concernant l’investissement industriel et le coût des différentes formes d’énergie.
La Stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC) constitue la marche à suivre de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et assurer l’adaptation de notre société au climat futur.
Elle réunit la première loi de programmation énergie-climat (LPEC), la 3e stratégie nationale bas carbone (SNBC), la 3e programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 2024-2033) et le 3e plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC).
La construction d’une vision globale des possibilités permises par une utilisation raisonnée et durable de la biomasse permettra de mieux connaitre et rendre visible les usages actuels et le potentiel de la biomasse ainsi que l’évolution future de ce dernier, compte tenu des tendances observées (parmi lesquelles le changement climatique), les conditions de sa mobilisation, leurs contraintes et limites.
Elle sera portée par un dispositif transversal, de type groupement d’intérêt scientifique (GIS) dont la création a été officiellement annoncé le 1er mars 2024. Composé d’établissements publics reconnus pour leur compétence et leur expertise (INRAE, ADEME, FranceAgriMer, IGN), il constitue une instance de référence sur la biomasse et ses usages, en appui aux politiques publiques dans le cadre de la transition énergétique.
* Liste des auteurs et autrices de ce rapport :
Thierry Caquet, Monique Axelos, Jean-François Soussana, Eric Martin, Pierre Renault, Laurent Augusto, René Baumont, Nicolas Bernet, Julie Constantin, Luc Fillaudeau, Lorie Hamelin, Nathalie Korboulewsky, Nicolas Marron, Thomas Nesme, Sylvain Pellerin.