Alimentation, santé globale 10 min

La biologie prédictive : une discipline entre science et science-fiction

Et si demain il était possible de prédire nos maladies avant même l’apparition des symptômes ? C’est une des possibilités de la biologie prédictive. Rencontre avec la biologiste Blandine Comte, qui cherche à mieux comprendre comment la nutrition et l’environnement influencent notre état de santé par des approches à haut débit de métabolomique.

Publié le 28 octobre 2020

illustration La biologie prédictive : une discipline entre science et science-fiction
© INRAE - Stephan BOUET

Qu’appelle-t-on biologie prédictive ?

Blandine Comte : C’est une discipline qui offre, par exemple, la possibilité de prédire l’apparition d’une maladie par l’analyse d’un grand nombre de constituants du corps : analyse de l’ADN (génomique), des ARN (transcriptomique) et des protéines (protéomique) et des métabolites (métabolomique).

Ainsi, la métabolomique1 consiste à identifier et quantifier les milliers de petites molécules, présentes dans un prélèvement biologique tel que le sang, les cheveux, la salive, ou encore l’urine. Ces molécules, appelées marqueurs biologiques, sont de natures diverses : acides aminés, acides gras, sucres, … et donnent un état des lieux du métabolisme du patient. On peut ainsi détecter des marqueurs de l’alimentation, comme par exemple la proline bétaine qui renseigne sur l’ingestion d’agrumes, mais aussi des marqueurs de l’état de santé. Grâce à l’approche métabolomique, il est possible de comparer la composition d’échantillons biologiques de personnes saines et de malades. En combinant ces données à des modèles mathématiques et statistiques, on peut savoir si un individu présente un risque de développer certaines pathologies d’ici 5 à 10 ans. Bien évidemment, ce type de calculs comportent des incertitudes.

L’apparition des pathologies humaines est très influencée par notre environnement et notre alimentation.

Depuis de nombreuses années, on sait l’importance d’une composante génétique dans le développement de nombreuses maladies. Par exemple, les Pimas, peuple amérindiens d’Arizona, ont beaucoup plus de chance de développer le diabète de type 2 que le reste de la population mondiale : plus de la moitié des adultes âgés de plus de 35 ans sont touchés par la maladie et plus de 75 % d’entre eux sont en surcharge pondérale ou obèses.  Or aujourd’hui, nous savons que l’apparition des pathologies humaines ne se résume pas à notre seule hérédité mais qu’elle est également très influencée par notre environnement (ex : quantité et qualité de l’exercice physique, conditions de vie …) et notre alimentation.

 La métabolomique est une science très récente qui étudie l'ensemble des métabolites primaires (sucres, acides aminés, acides gras, etc.) et des métabolites secondaires dans le cas des plantes (polyphénols, flavonoïdes, alcaloïdes, etc.) présents dans une cellule, un organe, un organisme. C'est l'équivalent de la génomique pour l'ADN. Elle utilise la spectrométrie de masse et la résonance magnétique nucléaire. Source : Wikipédia.


En quoi cette « nouvelle approche » révolutionne la médecine d’aujourd’hui ?

B.C. : Cette approche nous oblige à poser un autre regard sur nos maladies et notre façon de les traiter, non plus à l’échelle d’un ou plusieurs organes, mais à l’échelle du corps entier (holistique).

La biologie prédictive pourrait ainsi permettre, selon l’hygiène de vie des uns et des autres, de développer des approches thérapeutiques ou de prévention plus personnalisées.

Aujourd’hui, le Dr Jeremy Nicholson, pionnier de la métabolomique, gère par cette approche le service d’urgences de l’Imperial College de Londres. A l’arrivée d’un patient, il prélève un peu de sang, et réalise une analyse métabolomique. Le graphique obtenu donne une image de l’état de santé de la personne : on parle de phénotype métabolique. Les résultats permettent d’orienter celui-ci vers le service et le parcours thérapeutique le plus adapté. Il procède de même lors d’opérations chirurgicales pour certains cancers : les chirurgiens prélèvent un échantillon de tissu qui est immédiatement analysé, et en fonction des résultats obtenus, ils décident d’ôter ou non le tissu.

En recherche, ce type d’approche permet une meilleure compréhension des maladies. Par exemple, concernant le diabète de type 2 que j’étudie, les scientifiques ont longtemps parlé d’une maladie principalement liée au foie et au pancréas.

Cette vision devient obsolète à mesure que l’on découvre le rôle en particulier du tissus adipeux (graisse) que l’on pensait métaboliquement ‘inertes’, dans le développement de cette maladie. Et au-delà de l’étude du métabolome, nous développons des approches pour identifier des marqueurs prenant en considération les différentes dimensions de ce que nous sommes (biologique, sociologique, environnementale, alimentaire…).

Peut-on déjà établir des liens prédictifs entre nutrition et le développement d’une maladie ?

B.C. : Oui et non. Pour de nombreuses maladies, même si on peut dégager une tendance ou association, il est difficile d’établir des liens de causes à effets, comme dans le cas du diabète et des maladies cardiovasculaires dont le taux est fortement lié à une alimentation riche en produits sucrés, salés et gras.

une réalité émerge grâce à l’analyse du métabolome : les différences subtiles entre les hommes et les femmes.

Mais une réalité émerge grâce à l’analyse du métabolome : les différences subtiles entre les hommes et les femmes. Dans le cadre d’une étude sur des sujets âgés de 65 ans et plus (projet Européen NU-AGE), une période de la vie où les hormones sexuelles sont peu, voire pas actives, nous avons pu montrer que dépendamment de l’état physique des sujets, les hommes et les femmes n’étaient pas dans le même état métabolique et ne réagissaient pas de la même façon à un régime alimentaire (dépendamment des situations, ils partageaient aucun ou quelques dizaines ou métabolites en commun). Des modèles statistiques spécifiques ont donc été construits pour les hommes et les femmes. Ceci suggère que certains éléments du métabolisme sont très différents et implique que des liens prédictifs entre nutrition et maladie pourraient être spécifiques au sexe. 

L’analyse du passé permet de comprendre certains phénomènes qui paraissaient étranges sur le moment. Par exemple, dans les années 1990, le Pr David Barker (Université de Southampton, Angleterre) a mis en évidence l’importance de la nutrition prénatale sur le développement des maladies à l’âge adulte : il a remarqué qu’au sein d’une cohorte (population) de Hollandais âgés de 65 ans et plus, beaucoup étaient atteints d’hypertension. Les investigations ont ainsi montré que ces personnes étaient, de façon générale, nées à terme mais avec des petits poids de naissance (soit moins de 2,5 kg), juste après la seconde guerre mondiale, période de grande famine aux Pays-Bas (Hivers de la faim). On a pu en déduire que cette carence alimentaire subit au stade fœtal, sans doute dû au rationnement vécu par les mères, a programmé dans le métabolisme, un risque plus important que la moyenne de développer de l’hypertension à l’âge adulte. L’étude des mécanismes mis en jeu constitue un domaine de recherche important encore aujourd’hui. Néanmoins, pour conduire ce type d’études, il est nécessaire de constituer des cohortes d’individus suivis sur de longues périodes, avec un recueil de d'échantillons (sang, urines, fèces,...) et de données biologiques, sociologiques, nutritionnelles, etc.

Pourra-t-on, un jour, éviter le développement d’une maladie ?

ll faut garder à l’esprit que ces recommandations font appel à un choix individuel

B.C. : Si l’on considère par exemple le diabète de type 2, nous aurons d’ici quelques années, les moyens d’identifier la maladie plus tôt, grâce à des marqueurs prédictifs de sa phrase précoce de développement (le syndrome métabolique). Les scientifiques s’attèlent ainsi à déterminer 15 à 20 marqueurs sanguins en liens avec le métabolisme et le microbiote intestinal. Une fois cette signature sanguine identifiée, des recommandations pour des changements d’hygiène de vie (habitudes alimentaires, exercice physique… ) pourraient ainsi éviter le développement du diabète.  Cependant, il faut garder à l’esprit que ces recommandations font appel à un choix individuel et si l’on en croit les réponses observées suite aux campagnes de prévention contre le tabac et l’alcool, le fait de savoir la présence d’un risque n’est pas toujours efficace. Néanmoins, une approche personnalisée devrait permettre une réponse plus efficace.

Il reste donc beaucoup d’interrogations à lever avant de développer une prévention et une médecine personnalisée et efficace, sans compter qu’il reste un certain nombre de verrous technologiques dans la biologie prédictive, liés à l’analyse des données, leur conservation (fiabilité), leur stockage et leur partage.

 

Sarah-Louise FilleuxRédactrice

Contacts

Blandine ComteBiologiste Nutrition Humaine

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