Biodiversité 6 min

La biologie évolutive au service de la santé des plantes

La biologie évolutive répond à nombre de questions sur les espèces envahissantes, tout en proposant des solutions pour renforcer les défenses des cultures. Éric Lombaert, ingénieur de recherche INRAE dans l’équipe Biologie des Populations Introduites (BPI) de l’Institut Sophia Agrobiotech (ISA), fait le point sur les grands thèmes de recherche en biologie évolutive concernant les invasions d’insectes.

Publié le 06 septembre 2021

illustration La biologie évolutive au service de la santé des plantes
© INRAE, Gérard PAILLARD

L’évolution, outil fondamental et appliqué pour étudier les bioagresseurs

La biologie évolutive, discipline qui étudie l’évolution des espèces, aborde un large éventail de questions centrales sur les invasions biologiques et les processus adaptatifs liés aux caractères invasifs, des plus fondamentales aux plus appliquées. « La biologie évolutive est surtout utilisée pour comprendre les processus d’invasion et le devenir des populations envahissantes », résume Éric Lombaert. « De manière plus appliquée, on étudie par exemple la façon dont des mutations de résistances aux pesticides deviennent majoritaires dans les populations de bioagresseurs, afin de trouver des stratégies pour limiter la dispersion de ces résistances. »

Routes d’invasion les plus probables de la coccinelle asiatique
Des chercheurs INRAE ont déterminé les routes d’invasion les plus probables de la coccinelle asiatique par des simulations et des analyses statistiques utilisant des marqueurs génétiques neutres

Pour identifier l’origine géographique des populations d’insectes envahissants, les chercheurs utilisent des marqueurs génétiques dits « neutres », comme les microsatellites - de petites séquences d’ADN hautement variables. « Ces marqueurs renseignent sur l’histoire démographique d’une population, car ils ne sont pas soumis à la sélection naturelle », explique Éric Lombaert. Par exemple, des chercheurs d’INRAE de Montpellier ont analysé en 2017 vingt-cinq microsatellites de la mouche Drosophila suzukii pour déterminer le scénario le plus probable d’arrivée de ce bioagresseur en Europe. Verdict : les Drosophila suzukii européennes viennent de leur aire de distribution native, au Nord-Est de la Chine, avec des apports limités de mouches d’Amérique du Nord-Est, où l’espèce était déjà implantée comme espèce exotique envahissante.

Comprendre les invasions biologiques…

La génétique aide encore mieux à retracer l’origine de certaines espèces envahissantes quand elle s’allie à l’étude de paramètres environnementaux favorables aux ravageurs. En 2012, des scientifiques d’INRAE ont supposé que la population israélienne de Wasmannia auropunctata, une espèce de fourmi envahissante d’Amérique du Sud, provenait d’une population argentine, sur la base de modèles de distributions d’espèces fondés sur des variables climatiques. Située à l’extrémité sud de la distribution naturelle de la fourmi électrique, cette région d’origine potentielle était plus froide que le reste de son aire de répartition, permettant une adaptation à des rigueurs hivernales comparables à celles du climat méditerranéen. Des analyses génétiques ont ensuite confirmé l’origine argentine de la population israélienne de fourmis électriques.

Outre des conditions climatiques similaires entre aire native et aire d’introduction, d’autres facteurs expliquent le succès de certaines espèces à s’implanter sur plusieurs continents. « Je travaille sur l’hypothèse de la purge du fardeau génétique [l’ensemble des mutations délétères, NDLR] qui suggère que le succès des populations envahissantes pourrait être lié à une perte, au cours de l’invasion, d’une partie des mutations délétères présentes naturellement dans leur génome. Nous sommes en train de tester cette hypothèse sur une douzaine d’insectes nuisibles, en comparant le fardeau génétique des populations envahissantes avec celui des populations d’origine », développe l’ingénieur de recherche sophipolitain.

« L’analyse de marqueurs génétiques non neutres peut permettre d’identifier des gènes qui sont particulièrement soumis à la sélection naturelle au cours d’une invasion biologique », complète Éric Lombaert. Des scientifiques d’INRAE ont ainsi scanné en 2020 l’ensemble du génome de 22 populations de mouches Drosophila suzukii réparties dans le monde entier, dont seize envahissantes et six natives, à la recherche de versions de gènes significativement plus fréquentes dans les populations invasives que natives.

Des variants de 2 gènes, dont le gène cpo, ont pu être associés aux populations envahissantes. Un résultat prometteur, sachant que des variations dans cpo ont déjà été associées à la durée de la diapause, c’est-à-dire l’arrêt temporaire du développement, chez d’autres espèces de drosophiles. Les populations sans diapause ont un temps de développement plus court et une fécondité précoce par rapport aux populations ayant une diapause, des caractéristiques potentiellement avantageuses pour les populations envahissantes.

… pour mieux les anticiper

L’analyse de la phylogénie des insectes et de leur physiologie complète le profil-type de l’insecte susceptible de devenir bioagresseur hors de son aire de répartition native. « Par exemple, les fourmis sont de bonnes candidates comme espèces envahissantes, car elles produisent beaucoup d’individus, sont petites et peuvent s’adapter à de multiples sources alimentaires », détaille Éric Lombaert. 

Une espèce envahissante peut également réussir car elle est pré-adaptée à son nouvel environnement : « les conditions environnementales entre agroécosystèmes se ressemblent fortement d’un pays à l’autre. Un champ de maïs en Europe sera très similaire à un champ de maïs en Amérique pour la chrysomèle des racines du maïs [un ravageur du maïs originaire d’Amérique détecté en France en 2002, NDLR]. »

Exploiter la biologie évolutive pour limiter la progression des ravageurs

La biologie évolutive permettra-t-elle à terme de prévoir l’arrivée de certains nuisibles ? « On voit se dessiner des tendances, comme par exemple des points chauds d’origine de nombreuses populations envahissantes, mais aussi des têtes de pont, comme l’Europe ou le Nord-Est des Etats-Unis, d’où elles essaiment vers d’autres régions du monde, probablement en raison des échanges commerciaux. Des pays comme l’Australie sont déjà particulièrement attentifs à ce type de résultat », ajoute Éric Lombaert.

La biologie évolutive représente enfin un champ de recherche particulièrement adapté pour explorer les moyens d’augmenter la durabilité des gènes de résistance des plantes. Une revue exhaustive de la littérature scientifique, écrite par des chercheurs INRAE en 2016, soutient qu’utiliser plusieurs gènes de résistance dans une même variété de plante cultivée, méthode appelée pyramidage, est la meilleure manière de limiter l’apparition de résistances chez les insectes ravageurs. Le pyramidage devançant le mélange en parcelle de variétés ayant chacune un gène de résistance, ou l’alternance sur une parcelle de variétés mono-résistantes.

Ce résultat confirme que la biologie évolutive peut aider à mettre en place des pratiques agricoles optimales et à développer une vigilance ciblée quant à l’implantation de nouvelles populations envahissantes, des initiatives salutaires dans un contexte de mondialisation des échanges et de dérèglement climatique.

Références : 
  • Fraimout, A., Debat, V., Fellous, S., et al. (2017). Deciphering the routes of invasion of Drosophila suzukii by means of ABC Random Forest. Molecular Biology and Evolution, 34, 4, 980-996. https://doi.org/10.1093/molbev/msx050
  • Rey, O., Estoup, A., Vonshak, M., et al. (2012). Where do adaptive shifts occur during invasion? A multidisciplinary approach to unravelling cold adaptation in a tropical ant species invading the Mediterranean area. Ecology Letters, 15, 1266-1275. https://doi.org/10.1111/j.1461-0248.2012.01849.x
  • Olazcuaga, L., Loiseau, A., Parrinello, H., et al. (2020). A Whole-Genome Scan for Association with Invasion Success in the Fruit Fly Drosophila suzukii Using Contrasts of Allele Frequencies Corrected for Population Structure. Molecular Biology and Evolution, 37, 8, 2369–2385. https://doi.org/10.1093/molbev/msaa098
  • Delmotte, F., Bourguet, D., Franck, P., et al. (2016). Combining Selective Pressures to Enhance the Durability of Disease Resistance Genes. Frontiers in Plant Science, 7, 1916. https://doi.org/10.3389/fpls.2016.01916

 

François MALLORDYRédacteur

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Éric LOMBAERT IngénieurInstitut Sophia Agrobiotech (ISA)

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