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Les bactéries, nos médicaments de demain ?

Il existe des milliards de bactéries. Elles sont déjà très utiles à l’être humain, mais pourraient-on les utiliser à des fins de santé ? C’est cette question qui a guidé les recherches de haut niveau de Philippe Langella, à l’origine d’une nouvelle génération de probiotiques.

Publié le 28 novembre 2023

illustration Les bactéries, nos médicaments de demain ?
© INRAE, MEYLHEUC Thierry, RIGOTTIER-GOIS Lionel

Depuis une vingtaine d’années, les liens entre différentes pathologies et altération du microbiote ont été montrés par les scientifiques. Et si les traitements de ces pathologies passaient par l’utilisation de bactéries ? C’est une piste prometteuse explorée depuis plusieurs années par Philippe Langella, directeur de recherche à Micalis, spécialiste des bactéries probiotiques. Entretien.

Utiliser des bactéries à des fins de santé, une idée nouvelle ?

Philippe Langella : C’est très fréquent aujourd’hui, mais quand j’ai commencé mes recherches dans les années 80, la microbiologie n’était pas un domaine très reconnu ! Dès les années 85/86, j’avais déjà en tête que l’on puisse utiliser des bactéries lactiques à des fins de santé. Si on ingère chaque jour des centaines de millions de bactéries lactiques par gramme d’aliment, pourquoi ne pas faire en sorte qu’elles soient bénéfiques pour notre santé ? L’idée était alors de manipuler génétiquement ces bactéries pour leur faire délivrer des molécules d’intérêt santé. Par exemple, on a réussi à créer des bactéries capables de secréter un antigène du papillomavirus et ainsi développer un candidat vaccin contre ce virus très répandu. C’était très original à l’époque et aujourd’hui cette idée est très reprise. On travaille avec des collègues de l’Inserm pour utiliser des bactéries lactiques qui délivrent une antiprotéase qui est déficitaire chez les patients atteints de maladies chroniques inflammatoires intestinales. En parallèle, je me suis intéressé aux effets santé des bactéries probiotiques. C’était un vrai défi car dans les années 2000, personne ne s’y intéressait vraiment, du moins à INRAE. 

Les probiotiques, c’est quoi ?

Philippe Langella : Ce sont des microorganismes vivants (bactéries, levures, champignons) que l’on ingère soit en mangeant des aliments fermentés (yaourt, fromage, kéfir, etc.), soit en prenant des compléments alimentaires. Ces probiotiques ont des effets bénéfiques sur la santé lorsqu’ils sont consommés en quantité suffisante. Jusqu’à présent, les bactéries utilisées comme probiotiques sont des bactéries alimentaires, principalement des lactobacilles et des bifidobactéries, que l’on retrouve principalement dans les aliments fermentés et les compléments alimentaires. Depuis 2007, je m’intéresse à des probiotiques de nouvelle génération. Ce sont des bactéries dites commensales issues de notre propre microbiote. Leur possible utilisation comme probiotique est très récente… et aussi très prometteuse !

PORTRAIT DE PHILIPPE LANGELLA

médaillon photo Philippe Langella

Comment faire en sorte que les recherches et découvertes scientifiques liées à la santé puissent bénéficier à la société ? Pour Philippe Langella, la réponse est sans appel : travailler avec des cliniciens et des entreprises. Microbiologiste de formation, son idée était d’utiliser les bactéries lactiques, par exemple celles qui transforment le lait en yaourt, à des fins de santé humaine. Philippe Langella est lauréat du Grand Prix des Lauriers 2023.  Découvrir son portrait.

Comment a-t-on découvert l’intérêt des probiotiques de nouvelle génération ?

Philippe Langella : Dans les années 2000, quand les recherches sur le microbiote intestinal ont explosé, je me suis dit qu’il y avait une mine de bactéries potentiellement bénéfiques pour la santé à explorer. Avec Dusko Ehrlich et Joël Doré, dans le cadre de programmes européens, on a alors développé de nombreuses études sur les bactéries de notre microbiote intestinal. Et en 2008 on a fait une découverte majeure ! En comparant le microbiote de patients atteints de la maladie de Crohn en rechute avec celui de patients Crohn en rémission, mon collègue Harry Sokol et moi-même avons constaté que dans le microbiote des patients en rémission se trouvait une bactérie absente de celui des patients en rechute : Faecalibacterium prausnitzii (ou plus simplement Fprau). On a ensuite montré qu’en supplémentant des souris présentant des symptômes de la maladie de Crohn avec Fprau, elles guérissaient ! Fprau a été la première bactérie probiotique issue du microbiote intestinal (dite de nouvelle génération) à être utilisée à des fins thérapeutiques. La publication issue de ces résultats est encore aujourd’hui une référence et fait partie des 10 publications les plus citées dans le monde dans le domaine du microbiote intestinal.

Comment faire pour que ces découvertes puissent bénéficier aux personnes atteintes de la maladie de Crohn ?

La start-up Exeliom Biosciences a levé plus de 24 millions d’euros de fonds

Philippe Langella : Il est indispensable, selon moi, de travailler avec les industriels pour que nos découvertes puissent profiter à la société, en particulier lorsque cela concerne la santé. J’ai toujours travaillé avec des partenaires privés et, en 2016, j’ai créé une start-up avec Harry Sokol, mon collègue Patrick Gervais (expert en production de bactéries commensales) et le soutien de Philippe Lénée, à l’époque directeur de l’Innovation et du Partenariat à INRAE, pour faire de Fprau un médicament pour la maladie de Crohn. La start-up Exeliom Biosciences est née en 2018 et notre médicament Fprau est aujourd’hui la première bactérie commensale testée chez des patients atteints de la maladie de Crohn. Aujourd’hui, les travaux se poursuivent pour trouver un traitement à une autre pathologie induite par la bactérie Clostridium difficile, pour laquelle aucun traitement n’existe. Fprau s’avère jouer également un rôle dans l’efficacité de l’immunothérapie des patients atteints de cancer. On va ainsi lancer plusieurs nouveaux essais cliniques avec Fprau comme médicament.

Existe-t-il d’autres probiotiques de nouvelle génération identifiés comme bénéfiques pour notre santé ?

Philippe Langella : Oui ! Aujourd’hui on travaille sur une nouvelle bactérie qui se révèle efficace dans de nombreux modèles précliniques pour traiter l’inflammation intestinale. On travaille aussi sur la transmission du microbiote de la mère vers l’enfant, primordiale dans les 1 000 premiers jours de vie de l’enfant, mais qui est déficiente dans le cas d’un accouchement par césarienne. Nos travaux cherchent à rétablir le microbiote des enfants nés par césarienne en leur administrant des probiotiques de nouvelle génération que l’on a pu isoler du microbiote des mères. On travaille avec des partenaires de l’agroalimentaire tels que Danone ou Lallemand pour que nos découvertes puissent déboucher sur la conception de laits maternisés enrichis de ces probiotiques.

Quelles sont les perspectives de vos travaux ?

Travailler avec des industriels peut permettre d’ouvrir de nouveaux fronts de science.

Philippe Langella : On poursuit nos travaux sur d’autres pathologies, notamment en lien avec l’axe intestin-cerveau, telles que la maladie d’Alzheimer, en partenariat avec l’industriel Pileje. Avec l’expertise que l’on a acquise ces 20 dernières années, on peut maintenant s’intéresser directement aux molécules d’intérêts santé produites par les bactéries. Mais reste à savoir si les effets santé sont uniquement dus aux molécules ou si la bactérie en elle-même joue un rôle. Je fais l’hypothèse que les effets de la bactérie pourront être supérieurs mais cela reste à prouver… et ça c’est notre prochain défi !

 

 

 

ELODIE REGNIER Rédactrice

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Philippe Langella Directeur de rechercheInstitut Micalis

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Alimentation, santé globale

Des probiotiques de nouvelle génération pour améliorer la santé humaine

Les probiotiques, médicaments ou compléments alimentaires, nous viennent traditionnellement de souches de bactéries lactiques présentes dans les aliments fermentés. Nos travaux envisagent une nouvelle source de probiotiques en s’intéressant au potentiel d’autres bactéries présentes dans notre microbiote. Les études sur les bactéries du genre Faecalibacterium permettent le développement d'applications prometteuses en santé humaine. Les maladies gastro-intestinales, mais aussi obésité, maladies métaboliques ou dépression sont concernées par les traitements probiotiques.

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