Changement climatique et risques Temps de lecture 4 min
Les aquaporines impliquées dans l’adaptation à la sécheresse
Grâce à de nouvelles techniques de microscopie super-résolutive, les chercheurs sont parvenus à mesurer les déplacements individuels de chaque molécule d’aquaporines, ces protéines membranaires impliquées dans le transport de l’eau chez les plantes. Cette mobilité des aquaporines jouerait un rôle important dans les mécanismes de tolérance à la sécheresse ou à l’excès de sel.
Publié le 25 mars 2015

De plus en plus loin dans l’intimité des cellules…
A la fin du XIXe siècle, un des pionniers de la microscopie, le physicien allemand Ernst Abbe, soutenait qu’il était théoriquement impossible de voir des objets de moins de 200 nm, à cause de la diffraction de la lumière. D’après lui, on n’aurait jamais pu voir ni les virus ni les protéines. En associant leurs techniques respectives, trois chercheurs en biologie animale ont démontré le contraire, et obtenu le prix Nobel de Chimie 2014 pour cette découverte.
Application aux plantes
Des chercheurs d'INRAE Occitanie-Montpellier, en collaboration avec leurs collègues du CNRS de Bordeaux, ont transposé cette microscopie dite « super-résolutive », dans le domaine des plantes, sur l’espèce modèle Arabidopsis thaliana. C’est ainsi qu’ils ont pu visionner comment chaque molécule de protéine se déplace dans une membrane cellulaire. « Nous nous intéressons aux aquaporines, des protéines présentes dans la membrane de l’épiderme des racines d’Arabidopsis. Ces protéines sont des canaux permettant les échanges d’eau entre la plante et le milieu extérieur. Elles ont donc une fonction importante en cas de sécheresse ou d’augmentation de la salinité, ce que l’on appelle le stress osmotique », explique Doan Luu. En effet, lorsque le sol est sec, où lorsque la plante manque d’eau et concentre des sels, il y a des mouvements d’eau de la plante vers l’extérieur, par le mécanisme d’osmose (1), ce qui accroît les pertes d’eau pour la plante.
Les protéines prises en filature
Pour voir comment ces aquaporines se comportent, les chercheurs ont utilisé les techniques mises au point par les trois prix Nobel, techniques qui permettent de pister le déplacement de chaque molécule d’aquaporine dans la membrane. « Nous nous sommes aperçus que ces molécules se déplacent peu dans les conditions normales de culture des plantes, ce qui contredit un peu l’image de « mosaïque fluide » (2) utilisée classiquement pour décrire les membranes cellulaires. Mais surtout, nous avons montré que la mobilité des aquaporines augmente en cas de stress osmotique, et que cette mobilité permet l’internalisation des aquaporines par endocytose. Cette disparition des aquaporines de la surface membranaire réduit les mouvements d’eau et permet vraisemblablement à la plante de lutter contre la sécheresse ou l’excès de sel » poursuit Doan Luu.
Objectif : une meilleure adaptation à la sécheresse
Actuellement, les recherches visent à décortiquer les mécanismes qui modifient la mobilité des aquaporines dans les conditions de stress osmotique. Il a été montré qu’il existe juste sous la membrane des câbles d’actine organisés en réseau, contre lesquels les protéines membranaires se heurtent lors de leurs mouvements latéraux. Il se pourrait que ce réseau d’actine soit perturbé en conditions de stress osmotique, ce qui favoriserait le mouvement des protéines. Autre hypothèse, une modification des lipides membranaires… Les chercheurs étudient aussi les composants de l’endocytose, en s’inspirant des connaissances acquises dans le domaine animal et en utilisant différentes plantes mutées pour ces composants.
« In fine, nous espérons mettre à jour des mécanismes qui nous permettront de sélectionner des plantes plus tolérantes à la sécheresse, parce qu’elles auront des aquaporines membranaires plus mobiles et seront plus rapides dans les mécanismes d’endocytose. Nous allons transposer ces recherches sur des plantes d’intérêt agronomique, en particulier le riz », conclut Doan Luu.
(1) L’eau passe du milieu le plus concentré en sels au milieu le moins concentré.
(2) Dans le modèle de « mosaïque fluide », la membrane est composée de lipides, dans lesquels les protéines « flottent » assez librement.
Référence :
Hosy E. et al. 2014. Super-resolved and dynamic imaging of membrane proteins in plant cells reveal contrasting kinetic profiles and multiple confinement mechanisms. Molecular Plant 8: 339.