Dossier revue
Agroécologie

Une source de solutions

Capteurs embarqués sur les agroéquipements, offres de systèmes d’imagerie, logiciels « outils d’aide à la décision » (OAD), robots, plateformes d’échanges et outils de connectivité font partie du quotidien des agriculteurs et agricultrices. Et ce de façon plus intense depuis une dizaine d’années. Quels sont les piliers de ce numérique développé à grande vitesse ? État des lieux.

Publié le 25 janvier 2023

Producteur aux prises avec les aléas climatiques et du vivant, mais aussi gestionnaire, commerçant, l’agriculteur s’appuie depuis toujours sur des outils pour assurer ses activités. Utilisateur de la mécanisation puis de la chimie au siècle dernier pour augmenter les volumes de production et le soulager des tâches pénibles, il a intégré dès les années 1980 les bénéfices de l’informatique, avec la bioinformatique et les nouveaux outils de la sélection des variétés ou races, puis la robotique (robot de traite par exemple).

Depuis les années 2010, le numérique est de plus en plus présent dans les exploitations. Les capteurs ont décuplé les capacités d’observation au service d’une meilleure connaissance des agroécosystèmes. Le traitement de ces connaissances a amené le développement de logiciels de recommandation d’actions ou OAD. Parfois réalisées par des robots ou des systèmes automatisés, les actions peuvent être très précises pour apporter la bonne dose (d’eau, d’engrais, de produit phytosanitaire, de nourriture…) au bon endroit, au bon moment. Source de gain de productivité, le numérique et ses outils peuvent également réduire l’impact des systèmes agricoles sur l’environnement. Un potentiel que l’intelligence artificielle décuple et qui est aujourd’hui largement mis au service d’une agriculture de précision dédiée à la performance économique et à l’intensification durable.

Des robots pour traire, biner, désherber, semer, pulvériser

Schéma sur le numérique utilisé dans l'agriculture

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D’abord développés dans les bâtiments pour l’élevage, les robots y apportent une multiplicité de services (traite, alimentation, raclage des étables). Premiers à être entrés dans le paysage agricole dès 1992, les robots de traite équipent désormais 70 % des nouvelles installations en élevage, amenant à un taux d’équipement global de 10 % aujourd’hui, soit environ 10 000 robots.
Le grand enjeu pour l’agriculture est désormais de bénéficier de robots en extérieur. En effet, si la robotique s’est beaucoup développée dans l’industrie, les capacités d’adaptation et de navigation de ces automates aux champs posent problème. Comment rendre fonctionnels les « robots d’intérieur » sur terrain accidenté, poussiéreux et soumis à des aléas climatiques de plus en plus imprévisibles ? En 2014, INRAE (à l’époque Irstea) présentait au SIMA Baudetrob, le robot suiveur-porteur. Dirigé par Lidar, il suit l’agriculteur dans les champs et permet ainsi au maraîcher ou au vendangeur de réaliser sa récolte sans avoir à en supporter le poids. Financé par l’ANR, un autre projet vise plus loin. Son nom ? Adap2E1. Prototype de recherche, il développe une multiplicité de comportements robotiques rendant possibles les actions de cartographier une parcelle, traiter des cultures, désherber, semer ou pulvériser. Grâce à l’interprétation des données captées, le robot peut s’adapter en fonction de l’état de la culture observée et de l’opération attendue. Il peut identifier des zones de traitement prioritaire et agir en temps réel. Il est testé actuellement pour la pulvérisation de produits phytosanitaires dans les vignes.
Premier producteur mondial, la société française Naïo commercialise les robots Oz, Orio, Ted et Jo pour biner, désherber, tracer des sillons, semer ou porter les récoltes en autonomie. Proposés à partir de 25 000 €, ces robots sont aussi accessibles en leasing. L’achat en coopérative en facilite encore l’accès. Et désormais, au regard du coût de main-d’œuvre économisé, l’investissement devient envisageable. En France, en 2021, plusieurs centaines de robots étaient déployés, essentiellement en maraîchage et viticulture. 60 % d’entre eux sont utilisés en agriculture biologique.

1. La plateforme de production adaptative et autonome pour l’environnement (Adap2E) est un projet Jeunes chercheurs, porté par l’unité de recherche INRAE TSCF avec l’apport de l’UMR ITAP.

Des données de plus en plus nombreuses  pour des modèles toujours plus précis

Les agroécosystèmes sont complexes car composés d’une diversité d’entités : plantes, animaux, microorganismes, etc. Leurs fonctionnements restent mal connus, particulièrement les processus dits associés tels que le flux d’eau ou le cycle des nutriments. Par ailleurs, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale certaines exploitations agricoles se sont largement agrandies tandis que le nombre d’agriculteurs n’a cessé de baisser. 
Ces éléments appellent de nouveaux systèmes de suivi et de surveillance pour pallier une main-d’œuvre réduite. Heureusement, les capteurs sont là et ils sont nombreux et diversifiés. Fixes, comme les pièges, les objets connectés ou les stations météo, embarqués sur des machines agricoles ou bien portés par des animaux, hommes ou engins, comme un capteur d’activité ou de géolocalisation, ils transmettent des flux d’informations, stockées et traitées par calcul ou par des algorithmes d’intelligence artificielle. Ces informations deviennent, ainsi transformées, des connaissances et font avancer la compréhension des systèmes. L’invisible devient visible, de plus en plus précisément. Des modèles sont élaborés, de croissance des plantes ou de comportements des animaux par exemple, donnant vie à des logiciels de prévision, de détection et de recommandation d’actions.

Avec le numérique, l’invisible devient visible, de plus en plus précisément.

Les premiers OAD, logiciels de recommandation d’actions basés sur la modélisation, sont ainsi apparus dans les années 1980. Précieux pour un bon pilotage des exploitations, les outils numériques détectent les stress hydriques, certaines maladies, évaluent une concentration en carbone ou en azote dans le sol, etc. Ils fournissent des recommandations pour la planification des parcours culturaux, des traitements, du désherbage, le ciblage de l’irrigation… Certains logiciels conçus par INRAE sont des références, notamment ceux qui concernent la lutte contre les agresseurs ou Optirrig pour l’irrigation. De très nombreux logiciels ont également été développés par les instituts techniques agricoles en réponse aux besoins des agriculteurs.
Ces dernières années, une nouvelle génération d’OAD a émergé, qui utilisent la télédétection par satellite, le géopositionnement ou internet pour une information plus fine encore. Les drones peuvent aussi remplacer ou compléter les images satellitaires. Ainsi, la start-up Hiphen, née dans le giron de l’UMR EMMAH à INRAE Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui travaille sur le phénotypage des plantes, utilise les technologies d’imagerie des cultures, du capteur connecté au satellite en passant par le drone, avec des données accessibles par téléphone portable. Ces outils apportent une efficience inégalée. Sur le blé, par exemple, l’imagerie sur les zones d’expérimentation remplace les comptages fastidieux d’épis et les mesures de largeur de feuille qui, auparavant, étaient réalisés à la main. 
La modélisation doit s’adapter pour tenir compte du caractère multiobjectif de la production, et pour aider à la décision, sans forcément la remplacer, en fournissant à l’utilisateur différents types d’informations, un diagnostic, une prévision, une prescription. Elle peut être utilisée pour les OAD mais aussi en accompagnement de décisions collectives, pour la formation, etc. 

La puissance de l’intelligence artificielle

Avec la massification des données, de nouvelles techno­logies de traitement sont développées. L’IA permet aujourd’hui de créer des connaissances originales à partir de ces données massives.

Avec la massification des données, de nouvelles technologies de traitement sont développées. L’intelligence artificielle (IA) permet aujourd’hui de créer des connaissances originales à partir de ces données massives. Suffisamment nombreuses pour couvrir l’espace des possibles, celles-ci sont curées puis traitées pour prédire des valeurs ou réaliser des classifications pour les premières et simplement distinguer des motifs (patterns) pour les secondes. Les technologies de deep learning (ou apprentissage profond) et de machine learning (ou apprentissage automatique) sont utilisées pour le traitement des images complexes, d’images satellites ou encore de séries temporelles (par exemple, des mesures d’un paramètre réalisées de manière continue ou répétée sur un temps long). Les techniques de text mining (fouille de données textuelles) sont utilisées pour retrouver des informations dans les données issues d’internet.

Ainsi, la plateforme Padi-web du projet européen MOOD développée à l’UMR TETIS met en œuvre la fouille de données sur des textes disponibles sur internet et les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) pour détecter précocement l’émergence de maladies animales. 
Un des objectifs de la recherche est également de rendre ces nouvelles connaissances appropriables, en particulier en travaillant sur les vocabulaires et le web sémantique. Grâce à ces technologies, le sur-mesure est envisageable, même à grande échelle. ​​​​​​​

Une connectivité qui rapproche 

Les échanges entre producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs se font de plus en plus virtuels et rapides tout au long de la chaîne. La connectivité et les systèmes d’information sont au centre des activités industrielles, logistique comprise. 
Technophiles, les agriculteurs sont connectés. En 2022, 98 % des agriculteurs possèdent un ordinateur, 80 % un smartphone. Ils se connectent au moins une fois par jour, pour accéder à une information, prioritairement la météo mais aussi sur les nouvelles pratiques ou technologies, ou bien encore l’économie et les marchés. Adeptes des réseaux sociaux, en particulier YouTube, Facebook et WhatsApp, ils participent à de multiples communautés, soit pour des échanges d’information, soit pour construire des dispositifs partagés d’information (météo ou pression parasitaire par exemple). 31 % se disent hyperconnectés. Certains d’entre eux dépassent leur communauté de métier pour montrer, sur Twitter et d’autres réseaux, leurs pratiques, leurs contraintes, et donner une image plus réaliste et positive de leur métier.

Adeptes des réseaux sociaux, les agriculteurs participent à de multiples communautés, soit pour échanger des informations, soit pour construire des dispositifs partagés.

En forte progression depuis le confinement, les plateformes de distribution des produits alimentaires peuvent être portées par des distributeurs nationaux, à l’instar de l’émergence rapide du nouvel acteur « Grand frais ». Des initiatives plus locales, individuelles ou de collectifs, rapprochent le consommateur du producteur. Ainsi, La Ruche qui dit oui a pris des allures de start-up, augmentant de façon très forte son activité, de même de nombreuses initiatives « frais et local » de collectivités invitées à s’impliquer dans la territorialisation de l’alimentation par la loi Egalim ont vu le jour. Après avoir observé une progression de ces plateformes lors des confinements successifs, l’Observatoire ObSAT 2 animé par le réseau mixte technologique (RMT) « Alimentation locale » souligne depuis un fléchissement, dû souvent à un modèle économique pas assez travaillé. 

Aujourd’hui, le numérique peut servir tous les types d’exploitation, en conventionnel comme en agriculture biologique, grosses comme petites, même si historiquement c’est plutôt l’agriculture de grande taille et intensive qui a été la première concernée. Au-delà des pratiques agricoles et des performances individuelles, en rendant disponibles de nouvelles informations dans les chaînes de valeurs et en facilitant certaines connexions, le numérique modifie les rapports de force entre les acteurs de toute la filière et l’organisation de la chaîne de valeur de l’alimentation tout en réduisant les asymétries d’information. 

2. Le RMT « Alimentation locale » dont INRAE est coanimateur, a créé l’Observatoire des systèmes alimentaires territorialisés (ObSAT) avec la fédération des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (CIVAM) de Bretagne. www.rmt-alimentation-locale.org