« Depuis 40 ans, le front ne fait que reculer » : état des lieux des glaciers alpins
Les glaciers, ces énormes réserves d'eau douce planétaires, sont en péril. En cause ? Le réchauffement climatique, qui accélère la fonte des glaces depuis une trentaine d'année. De multiples conséquences, de l'accès à une ressource vitale aux risques d'inondation et de perte de la biodiversité, sont à prévoir. Zoom sur ces géants rocheux, de leur formation à la menace de leur potentielle disparition.
Publié le 07 novembre 2024
Crampons attachés, casque sur la tête et contrôleur GPS à la main, Emmanuel Thibert se lance à l’assaut des 16 balises posées l’année précédente sur le glacier Blanc, au cœur du massif des Écrins (Hautes-Alpes).
Depuis des années, le glaciologue mesure l’évolution de plusieurs glaciers français. Et il dresse un constat pour le moins alarmant :
« Ici, le front recule d’environ 30 mètres par an depuis une trentaine d’années. Certaines années, il recule beaucoup plus. »
« Ici, le front recule d’environ 30 mètres par an depuis une trentaine d’années. Certaines années, il recule beaucoup plus. »
Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas.
« Il y avait des phases où les glaciers étaient en équilibre avec le climat et les fronts des glaciers étaient stables. Il y a même des phases, en 1890, en 1920 et en 1980, où ils ont avancé. C’est ce qu’on appelle des crues glaciaires. Mais depuis 40 ans, ça ne fait que reculer. »
Si le glacier Blanc est à peine à l’équilibre en ce 20 août 2024, alors qu’il reste encore plusieurs semaines de fonte à venir, d’autres massifs ne sont pas si bien lotis. Emmanuel Thibert et l’équipe Ecrins de l’Institut de Géosciences de l’Environnement ont fait d’autres mesures sur des glaciers situés à 2 800 m d’altitude. En 15 jours, certains ont perdu 1 m de glace !
En 2023, on assistait aux obsèques du glacier de Sarenne
Si les mesures se font aujourd’hui sur le massif des Écrins, ce n’est pas pour la beauté du paysage. C’est parce que, lui, n’a pas encore fondu.
Depuis 1949, les mesures se faisaient sur le glacier de Sarenne, dans le massif des Grandes Rousses (Isère). Mais ça, c’était avant.
Avant qu’il ne fonde à vue d’œil.
Avant que les agents d’INRAE et de l’IGE ne soient contraints, en 2019, de transférer leurs recherches sur un autre massif.
Avant que certains amoureux de la montagne organisent, en 2023, les funérailles du glacier de Sarenne.
La situation désastreuse de ce glacier situé dans le massif des Grandes Rousses n’est pas un cas isolé. Mylène Bonnefoy-Demongeot, ingénieure d’étude en cartographie des risques naturels à INRAE, considère la situation dans sa globalité :
« Les glaciers ont tendance à fondre sur l’ensemble de la planète. Ce n’est pas que dans les Alpes ; c’est une tendance globale due au changement climatique. »
« Les glaciers ont tendance à fondre sur l’ensemble de la planète. Ce n’est pas que dans les Alpes ; c’est une tendance globale due au changement climatique. »
Toujours plus long, toujours plus haut, toujours plus fort !
Si les glaciers fondent plus vite que prévu, c’est à cause de 2 phénomènes tous deux liés – sans surprise – au dérèglement climatique.
D’une part, la période de fonte est de plus en plus longue, puisqu’elle démarre désormais dès le printemps et finit plus tard, à l’automne. Non seulement la période de fonte est plus longue, mais elle est aussi plus intense, particulièrement au cœur de l’été. D’autre part, l’air est de plus en plus chaud. Or, l’air chaud peut transporter plus d’humidité que l’air froid. Et c’est là où le bât blesse.
Lorsque l’air est sec, la glace peut s’évaporer, ce qui limite les effets des énergies infrarouges sur le glacier, et donc la fonte des glaces.
« Lorsque l’air est chaud et humide, c’est l’inverse qui se produit. La vapeur d’eau présente dans l’air se condense sur la glace. Et cette énergie fait fondre la glace », développe le glaciologue Emmanuel Thibert.
Vous l’aurez donc compris : le dérèglement climatique a pour conséquence un air trop humide pour permettre à la glace de s’évaporer. Résultat : elle fond.
Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir ?
Un glacier peut disparaître en 150 à 200 ans. Mais, bonne nouvelle, il peut aussi se (re)créer en quelques centaines d’années.
« Dans les Alpes, les glaciers se régénèrent assez vite parce qu’il y a beaucoup de précipitations de neige. En Antarctique et au Groenland, il y a peu de précipitations. Là-bas, ça mettrait beaucoup de temps à se renouveler vu que les masses sont énormes. »
Si les 3 conditions pour former un glacier sont réunies, à savoir du froid, de la neige et de l’altitude, il y a l’espoir que les glaciers alpins gagnent de la masse dans les décennies à venir.
Un grand merci à Emmanuel Thibert, glaciologue à INRAE, pour sa patience et sa capacité à vulgariser les recherches et enjeux scientifiques.