Se protéger contre les chutes de blocs
Du fait de leur fréquence et de leurs volumes parfois très importants, les chutes de blocs rocheux font partie des risques naturels majeurs. Ouvrages de génie civil ou solutions fondées sur la forêt son au nombre des mesures destinées à s'en protéger. Détails.
Publié le 15 avril 2024
En matière de chute de blocs, les dispositifs de protection (ou parades) sont de deux types :
- Actifs, ils ont pour objet de supprimer l’aléa lui-même. Ils comprennent les mesures qui maintiennent en place les masses rocheuses. Appartiennent également à cette catégorie les actions qui visent à supprimer les masses instables.
- Passifs, ils chercheront à en limiter les conséquences néfastes pour les aménagements (constructions, voies de communication). Ils incluent les mesures destinées à arrêter, contrôler ou dévier la trajectoire des blocs.
« La marque de fabrique INRAE, c’est de prendre en compte la forêt dans la propagation du risque rocheux », souligne Franck Bourrier, chercheur INRAE à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE).
Des forêts pour arrêter les chutes de blocs
La forêt est essentielle pour prévenir les risques naturels : les racines des peuplements forestiers exercent une fonction de piégeage et d’ancrage des pierres, des blocs et des éboulis en zone de départ ; les arbres sains ou morts sur pied, les troncs couchés au sol et les souches constituent des obstacles vis-à-vis des pierres et des blocs qui se détachent. C’est sur ce second aspect que se concentrent les travaux INRAE.
Un peu de vocabulaire
Les forêts dont la conservation est reconnue nécessaire au maintien des terres sur les montagnes et sur les pentes, à la défense contre les avalanches, les érosions et les envahissements des eaux et des sables ainsi que les bois et forêts […] situés à la périphérie des grandes agglomérations, ainsi que dans les zones où leur maintien s'impose, soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être de la population peuvent être classées comme forêts de protection, pour cause d'utilité publique (Code forestier - Art. L411-1 à L413-1).
En 2020, 163 500 ha de la surface forestière de l’Hexagone (soit 1 %) étaient concernés par ce statut (Source : Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire).
Quel est l’arbre qui peut dissiper le maximum d’énergie des blocs rocheux suite au choc tout en ayant une forte capacité à guérir de ses blessures ? Quelles sont les caractéristiques (essence, diamètre, densité, répartition…) des arbres qui sont nécessaires et compatibles avec une gestion durable de la protection offerte par le peuplement forestier ?
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de connaitre la quantité, les caractéristiques et la répartition de la ressource forestière sur le territoire étudié. Les photographies aériennes ont été pendant longtemps les seules sources permettant de cartographier des territoires.
Depuis une trentaine d’années, le scanner laser (LiDAR) aéroporté a révolutionné la télédétection en foresterie, grâce à la capacité du signal laser à pénétrer la végétation forestière jusqu’au sol. Les équipes INRAE travaillent au développement de méthodes de cartographie forestière par télédétection et à l’utilisation de ces cartographies produites pour évaluer, notamment, l’effet de protection des forêts contre les risques naturels (En savoir plus : projet Protest - Prospective territoriale spatialisée)
Les données d’évènements réels permettent de conduire des expériences grandeur nature de chutes de rocs ou d’effectuer des mesures sur des bancs d’essais ou des expérimentations en modèle réduit. Les résultats de ces expériences ont permis de développer et de valider différents modèles. Ceux-ci simulent l’effet protecteur d’un arbre, d’un peuplement ou d’une forêt constituée d’une mosaïque de peuplements.
« Nous avons mis au point un protocole non destructif qui consiste à tirer sur un arbre pour le mettre en tension et à le lâcher d’un coup. L’arbre est équipé de capteurs et nous pouvons ensuite retrouver les grandeurs mécaniques d’intérêt pour bien prendre en compte les arbres dans les modèles », détaille Sylvain Dupire, ingénieur INRAE au Laboratoire des écosystèmes et sociétés en montagne (Lessem).
« Nous sommes capables de simuler la trajectoire de blocs rocheux individuels ainsi que l’extension de la zone en danger. Lors de ces simulations, nous pouvons intégrer ou non l’action des arbres en tant qu’obstacles », détaille Frédéric Berger, ingénieur INRAE au Lessem.
SylvaRock, déployé depuis 2020, permet de simuler la propagation de blocs rocheux le long de versants à l'échelle régionale dans le but d’identifier et de cartographier les forêts avec une fonction de protection potentielle. Initialement appliqué à l’ensemble de l’arc alpin, ce modèle couvre désormais l’ensemble du territoire français hexagonal, à partir de données nationales. L’ensemble des cartes peut servir de base aux politiques de gestion des risques aux niveaux national, régional et départemental.
Plusieurs résultats saillants émergent des travaux des équipes INRAE et de leurs partenaires. La forêt couvre 40 % de la région alpine européenne : 14 % des forêts ont une fonction potentielle de protection contre les chutes de rocs, cette proportion s’élève à 21,5 % si l’on ne considère que le cœur de l’espace alpin (excluant par exemple la vallée du Rhône ou la plaine du Pô) ; 80 % des forêts de protection protègent des routes, 55 % des bâtiments et 6 % des voies ferrées.
La meilleure protection est offerte par des forêts composées d’une mosaïque de peuplements à différents stades de développement et de diamètres très variés.
Les questions d’ordre économique liées à la fonction de protection des forêts sont également investiguées par les équipes INRAE. Citons l’évaluation de la valeur de protection des forêts sur différents sites de l’arc alpin ou, plus récemment, dans le cadre du projet ForestEcoValue – Soutenir les services écosystémiques forestiers avec de nouveaux marchés et chaînes de valorisation (économie circulaire, bio-économie forestière) (EU, 2021-2027), l’évaluation de cadres de marché et de systèmes de paiement pour les services écosystémiques forestiers.
Les Solutions fondées sur la Nature pour les risques gravitaires et incendie en France
UICN Comité français, 2022. Les Solutions fondées sur la Nature pour les risques gravitaires et incendie en France. Paris, France.
De la parcelle au territoire
En Isère, dans la commune de Crolles, les chercheurs INRAE se sont intéressés à une falaise calcaire, siège de nombreux éboulements et témoin d’un déclin agropastoral important et d’une périurbanisation rapide.
Évolution de l’occupation du sol du versant sud-est du Massif de La Chartreuse entre 1911 (A) et 2017 (B). In : Farvaque M. et al. (2019)
Au fil des décennies, le couvert forestier a augmenté, réduisant le risque de chute de blocs, mais les scientifiques ont montré que cette plus-value pouvait être fortement diminuée par une réorganisation paysagère dans la zone de transition située entre la forêt et le front urbain (par ex. le remplacement du vignoble par des prairies). D’où l’intérêt de prendre en compte l’occupation des sols et son évolution pour mieux évaluer, notamment pour les gestionnaires et pouvoirs publics, le risque de chute de blocs.
Des ouvrages de génie
La protection contre le risque rocheux peut s’appuyer sur des ouvrages dont la fonction est d’intercepter les blocs avant qu’ils n’atteignent les infrastructures ou les maisons. Ils doivent tout à la fois résister à l’impact qu’ils subissent et agir tel qu’attendu sur la propagation des blocs rocheux. Les travaux menés à INRAE pour répondre à ces deux questions essentielles s’appuient sur des expérimentations à l’échelle réelle et sur des modélisations numériques. Ils concernent essentiellement des merlons pare-blocs, c’est-à-dire des ouvrages qui consistent en une levée de terre ou d'enrochement, des filets métalliques et des murs pare-blocs.
Les expérimentations sont indispensables et toujours impressionnantes. « Il s’agit d’envoyer sur l’ouvrage expérimental un bloc de plusieurs tonnes à une vitesse allant jusqu’à 100 km/h », détaille Stéphane Lambert, ingéieur INRAE à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE).
Elles contribuent à la compréhension de la réponse mécanique des ouvrages et à la vérification de leurs capacités effectives, dans des conditions expérimentales données. Les mesures collectées lors de ces expérimentations permettent par ailleurs de calibrer les modèles numériques de ces ouvrages. Du fait de leurs capacités prédictives, ceux-ci sont utilisés en retour pour approfondir la compréhension du fonctionnement des ouvrages ou encore identifier les mécanismes menant à leur défaillance pour, par exemple, améliorer leur conception.
Les modèles numériques permettent en particulier d’évaluer l’efficacité des ouvrages dans des situations réelles, pour des sites donnés. Pour ce faire, des simulations tenant compte de la grande diversité des trajectoires des blocs rocheux à leur arrivée sur l’ouvrage sont réalisées. Ces simulations permettent de vérifier que les ouvrages permettent de maitriser la trajectoire des blocs et qu’ils résistent aux impacts attendus sur le site considéré.
Des techniques complexes de modélisation ont été mises en œuvre pour interpréter les données collectées sur des ouvrages de protection en conditions réelles, par exemple pour qualifier à distance le niveau d’endommagement de ces ouvrages ou pour retrouver l’énergie du bloc qu’ils ont arrêté. Ce travail, conduit dans le cadre du projet SMART-PROTECT dont INRAE était partenaire, visait à développer un mur pare-blocs innovant et équipé de capteurs.
PriDyn - Protection contre les risques naturels dynamiques
Le projet PRIDYN, dont INRAE est partenaire, a permis de développer de nouveaux types d’ouvrages de protection des routes contre les risques naturels dynamiques à usage notamment des communes et collectivités locales exposées aux aléas naturels (chutes de blocs, coulées de boues) dont l’intensité et la fréquence sont accrus par le changement climatique. Les innovations ont porté sur l’adaptation aux contraintes des chantiers en zones difficiles d’accès, l’amélioration de l’intégration des ouvrages dans leur environnement (utilisation du couvert forestier pour implémenter des ouvrages de protection), et de nouveaux modes constructifs d’ancrage économes en matériaux.
Filet pare-blocs ancré sur les arbres : ouvrage expérimental et modèle numérique. Collaboration INRAE / NGE Fondations
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Catherine Foucaud-Scheunemann
Rédactrice