illustration Sophie Nicklaus, comme un goût d'enfance
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Alimentation, santé globale 5 min

Sophie Nicklaus, comme un goût d'enfance

C’est d’abord son appétit pour la biologie qui conduit Sophie Nicklaus aux sciences. Rapidement, elle se rend compte que l’alimentation sera son credo : « travailler sur la qualité des aliments du point de vue du consommateur m’intéressait. » Ce qui lui plait dans la recherche : « Tout ! » Il était une fois, une scientifique animée par le désir d’élucider ce qui régit nos choix de consommation alimentaire dès la petite enfance.

Publié le 03 mai 2018

Après un diplôme d’ingénieur agronome, Sophie Nicklaus se lance dans une thèse à l’Inra de Dijon (1) qui sera sa première expérience de recherche sur le développement des préférences alimentaires chez les enfants. Elle mène une étude auprès d’une cohorte, en collaboration avec le pédiatre d’une crèche de Dijon qui avait enregistré la consommation alimentaire des enfants qu’il suivait. « Il m’a donné libre accès à ses données et m’a conseillé de venir avec une brouette ! Le suivi de certains depuis l’enfance jusqu’à l’âge de 22 ans a permis d’éclairer en quoi les préférences alimentaires établies au plus jeune âge déterminent le comportement alimentaire jusqu’au début de l’âge adulte. » Très vite, Sophie commence à mettre en pratique des méthodes d’évaluation sensorielle, gustative et olfactive des aliments, pour comprendre leur relation avec les préférences et choix de consommation, une expertise au cœur de ses travaux de recherche futurs.

De l’éveil des sens…

La formation précoce du comportement alimentaire

En séjour post-doctoral aux États-Unis (2), elle travaille sur les premières expériences sensorielles chez le nourrisson : « les nourrissons ont les capacités de goûter et sentir les aliments, par exemple à travers le lait maternel. Cette expérience d’une variété de flaveurs peut augmenter l’appréciation d’un nouvel aliment au début de la diversification alimentaire. Nous avons également observé que la consommation d’une variété d’aliments dès le début de la diversification alimentaire est un facteur entraînant un effet positif sur l’appréciation d’un nouvel aliment. » En 2006, de retour à l’Inra de Dijon en tant que chargée de recherche au Centre des sciences du goût et de l’alimentation (3), Sophie Nicklaus poursuit ses travaux avec la coordination du projet ANR Opaline (4) : une approche observationnelle, dont les résultats ont été traduits sous forme de modèles, sur le développement des préférences gustatives et alimentaires chez l’enfant dès le dernier trimestre de grossesse jusqu’aux 2 ans. Puis avec la participation au projet européen HabEat, visant à comprendre les facteurs et les périodes critiques dans la formation des habitudes alimentaires chez l’enfant de moins de 6 ans. « L’approche était ici expérimentale : nous avons formulé des hypothèses a priori, testées en demandant aux parents de modifier leurs pratiques alimentaires habituelles. »
Actuellement, Sophie Nicklaus coordonne le projet ANR PUNCH, pour lequel elle collabore avec des experts en sociologie, économie expérimentale, sciences du consommateur, marketing, psychologie cognitive. Plusieurs volets sont étudiés, de la régulation quantitative des prises alimentaires chez les nourrissons (perçues par les parents), aux leviers de promotion des choix alimentaires sains chez les enfants en âge scolaire : « Dans ce cas, l’objectif est d’aller au-delà des messages de santé publique institutionnels connus : favoriser le plaisir de consommer des aliments sains en trouvant la bonne formulation entre propriétés sensorielles et densité énergétique, favoriser les interactions sociales positives autour de la prise alimentaire, ou encore valoriser la représentation des aliments sains. » Une volonté qui fait écho à une citation de Claude Lévi-Strauss « Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger, il doit être bon à penser ».

... aux choix alimentaires de demain

Prendre du plaisir à manger sain

Sophie Nicklaus s’estime chanceuse : « Ma thématique de recherche est très proche des préoccupations des citoyens. Les résultats obtenus permettent de proposer des actions concrètes : recommandations, collaborations avec les industriels pour améliorer la qualité de l’offre alimentaire, ou avec des professionnels de la santé alimentaire comme les pédiatres et les diététiciens qui sont prescripteurs. » Des travaux qui trouvent des applications en matière de politique de santé publique, reconnus notamment par le prix « Danone International Prize for Alimentation », remis lors du congrès Nutrition 2018 à Boston. Une occasion pour Sophie Nicklaus de promouvoir sa vision : « Il faut prendre en compte les quatre fonctions de l’alimentation, que sont la nutrition, le plaisir, l’identité, la socialisation. Souvent on se focalise avant tout sur les enjeux nutritionnels, mais les objectifs de santé publique pourraient être plus facilement atteints en prenant en compte ces quatre dimensions. » Avec ce prix, Sophie Nicklaus souhaite « faire sortir les travaux du laboratoire », afin que le public le plus large s’empare des connaissances, en ciblant plus particulièrement les parents des jeunes enfants et les enfants en âge scolaire : « Il faut travailler sur les messages : comment bien alimenter un enfant dès le plus jeune âge, éduquer à l’alimentation pour permettre à ces consommateurs de demain de faire des choix plus éclairés. » Pour la chercheuse, partager son engagement est une priorité : « Il me semble important de s’adresser aux classes sociales les moins favorisées pour éviter de creuser encore plus les inégalités de santé ». Car pour elle la « faim » heureuse existe bel et bien : « Il n’est jamais trop tard pour apprendre à manger sain. »

 

(1) Unité mixte de recherche Flaveur, vision et comportement du consommateur (Inra-Enesad-Université de Bourgogne), centre Inra Dijon Bourgogne Franche-Comté
(2) Monell Chemical Senses Center, équipe de J. Mennella, Philadelphie (USA)
(3) Unité mixte de recherche Centre des sciences du goût et de l’alimentation (AgroSup Dijon-CNRS-Inra-Université Bourgogne Franche-Comté), centre Inra Dijon Bourgogne Franche-Comté
(4) Opaline : Observatoire des Préférences ALImentaires du Nourrisson et de l’Enfant

 

Julie Cheriguene Rédactrice

Contacts

Sophie NicklausCentre des sciences du goût et de l’alimentation (AgroSup Dijon, CNRS, INRAE, Univ. Bourgogne Franche-Comté)

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