Société et territoires 5 min

Se baigner à nouveau dans la Seine et dans la Marne : le grand défi

Enquêtes, entretiens, observations… Gabrielle Bouleau nous livre son regard de sociologue sur le retour de la baignade en eaux libres. Des travaux qui soulignent que les enjeux vont bien au-delà de la seule question de la qualité sanitaire et remettent en perspective le sujet de la gestion de l’eau en milieu urbain.

Publié le 28 septembre 2023

illustration Se baigner à nouveau dans la Seine et dans la Marne : le grand défi
© Zatevakhin (AdobeStock)

Se baigner dans la Seine ? Une pratique interdite depuis 1923 pour cause de conflits avec la navigation fluviale et de risques associés aux berges industrielles. Ce qui semblait une utopie il n’y a encore pas si longtemps est en passe de devenir réalité : aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (JOP 2024), les athlètes inaugureront la natation dans le fleuve, ouvrant la voie à cette pratique pour les loisirs en région francilienne. Une vingtaine de sites répartis sur 16 communes de la métropole du Grand Paris, bordés soit par la Seine soit par la Marne, sont actuellement pressentis pour devenir de futurs sites de baignade.

Une perspective et un défi de taille dont Gabrielle Bouleau, spécialiste des politiques publiques environnementales et de gestion de l’eau dans le laboratoire interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés a exploré les enjeux dans le cadre du projet DigitalWaterCity.

Une question plus complexe qu’il n’y parait

Piétonnisation des berges (1995), opération Paris plage (2002), création du parc Paris Rives de Seine (2017) et bientôt baignade en eaux libres (2024), la Seine est au cœur d’objectifs de transformation urbaine (développement urbain et attractivité, activités industrielles, reconquête du front de l’eau au bénéfice des habitants, assainissement…) bien antérieurs à la candidature de la ville de Paris aux JOP 2024, même si celle-ci leur a donné un nouvel élan. 

Au-delà de la question de la baignade, la Seine a caractère de symbole à même de favoriser l’adhésion autour des JOP 2024 et de créer du lien à l’échelle des territoires, entre les différents sites prévus pour les épreuves sportives. Parmi les promoteurs de ce projet, certains y voient aussi des bénéfices pour l’écosystème du fleuve, d’autres un élément d’adaptation au changement climatique. Vaste programme !

 

voir la video dans sa version longue

Des risques et leur perception

Des freins sanitaires et sécuritaires qui dépassent le risque bactériologique.

L’ouverture d’un site à la baignade est avant tout conditionnée par sa qualité microbiologique[1]. À Paris et dans sa région, c’est donc d’abord la question sanitaire qui concentre toute l’attention des gestionnaires et des autorités. Pourtant l’association entre bonne qualité bactériologique de l’eau et possibilité de se baigner n’est pas si évidente pour les riverains et usagers du cours d’eau auprès desquels Gabrielle Bouleau et ses collègues ont enquêté. Pour ces personnes, la qualité de l’eau est primordiale mais elles considèrent d’abord les déchets visibles au bord de l’eau et ensuite la pollution industrielle, ignorant largement les risques bactériologiques.

Plus encore, les futurs baigneurs mentionnent d’autres points d’attention : le passage de bateaux, le risque de se faire emporter par les courants, voire le caractère abrupte et lisse des berges qui pourraient gêner la sortie de l’eau.

Les personnes familières de la baignade en eaux libres soulignent également le risque d’accident lié au manque de connaissances qu’ont les baigneurs du milieu et à leur perception trop faible des dangers.

 


[1] Directive 2006/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 février 2006 concernant la gestion de la qualité des eaux de baignade

Quels usages pour quel public ?

Des observations menées en 2021 à Berlin ont souligné la diversité des pratiques sur les sites de baignade : retrouvailles entre amis pour un pique-nique, un barbecue ou un verre ; jeux avec les enfants ou moments de détente pour lire, se promener ou prendre le soleil.

Sur les sites de baignade des lacs ou des cours d’eau périurbains, la coexistence des usages s’organise dans l’espace par connaissance des lieux ; à l’intérieur de la ville, dans l’arrondissement de Pankow par exemple, le site est payant et la gestion du public est assurée par un prestataire privé. Celui-ci a installé des zones distinctes selon les activités au cœur desquelles la régulation des usages se fait sans marque d’autorité.

 

Des conflits d’usage qui posent le défi de la régulation.

Les sites de baignade sont également des espaces où s’expriment des conflits d’usage.

En témoigne le ressenti qu’expriment des représentants des autorités qui, à Berlin, voient dans la baignade une menace pour d’autres objectifs (respect de l’ordre public, propreté des espaces publics, renaturation des berges, protection de la faune) plutôt qu’une opportunité.

La fréquentation par les baigneurs fait craindre également une dégradation de la qualité de l’eau. À Berlin, les zones de captage de l’eau se trouvent dans les zones périurbaines où se situent également de nombreux sites de baignade officiels. En Ile-de-France, les enquêtes et entretiens pointent « l’usage de crèmes solaires ou les excrétions des usagers susceptibles de nuire à la faune ».

Et en pratique ?

À moins d’un an des JOP 2024, l’assainissement de la Seine se poursuit : installation de systèmes de dépollution des eaux rejetées en milieu naturel ; résorption des mauvais branchements dans les habitations pour réduire la contamination des eaux de pluie par les eaux usées ; mise aux normes des bateaux amarrés ; végétalisation des berges de Seine pour favoriser l'écoulement de l'eau de pluie vers le sol. « Qui dit nouveaux usages dit entre autres, nouvelles infrastructures qu’il va falloir gérer. Quant aux anciennes infrastructures, il faut les surveiller désormais pour ce nouvel usage », détaille Gabrielle Bouleau.
La question de l’aménagement des sites de baignade (infrastructures, insertion dans le paysage…) est toutefois encore peu abordée. Elle reste largement du ressort des élus et la participation du public à d’éventuelles discussions reste faible.

DigitalWaterCity - Accompagner la gestion de l’eau urbaine vers son avenir numérique

 

La protection de la santé publique, la modernisation des infrastructures en eau et l’implication des utilisateurs dans la gestion de l’eau demandent une approche innovante. Le projet européen  DigitalWaterCity a pour objectif de développer des solutions numériques pour promouvoir la gestion intégrée de l’eau dans les zones urbaines et périurbaines de 5 grandes villes européennes, dont Paris et Berlin. Dans le cadre de ce projet, Gabrielle Bouleau et ses collègues ont replacé l’intérêt potentiel des solutions numériques sur la qualité des eaux de baignade pour de futurs gestionnaires et usagers des sites de baignade dans le cadre plus large de l’évolution des pratiques liées à l’eau.

 

Durée : 2019-2022 ; 26 participants, dont INRAE ; Coût total : 5 897 783 €

Gabrielle Bouleau, nouvelle directrice du PIREN-Seine

Gabrielle Bouleau est la directrice scientifique de la phase 9 du Programme interdisciplinaire de recherche sur l’eau et l’environnement du bassin de la Seine (PIREN-Seine) qui se construit dès à présent pour commencer en 2025.
Initié en 1989, le PIREN-Seine, dont INRAE est partenaire, est un groupement de recherche financé par les gestionnaires de l’eau du bassin de la Seine. Son objectif : développer une vision d’ensemble du fonctionnement du système formé par le réseau hydrographique de la Seine, son bassin versant et la société humaine qui l’investit (en savoir plus)

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Gabrielle Bouleau Laboratoire interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés

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