Biodiversité Temps de lecture 4 min
Les scientifiques d’INRAE au chevet de la protection de l’anguille en Europe
Quand 100 civelles arrivaient sur nos côtes dans les années 80, moins de 10 arrivent aujourd’hui. C’est le constat alarmant porté par les scientifiques européens depuis le tournant des années 2000. Ce déclin est dû à une combinaison de plusieurs facteurs. Barrages, destruction d’habitats, pollutions, exploitation licite ou illicite, changement climatique, parasite…
Publié le 06 juillet 2021
En 2007, l'Union européenne a pris des mesures de gestion pour essayer de reconstituer les stocks d'anguilles. Cela n'a pas suffi. Alors le Portugal, l’Espagne et la France travaillent conjointement dans le projet SUDOANG autour des axes qui, selon les scientifiques, fragilisent les efforts de reconstitution de l’espèce :
- Même si l’anguille européenne constitue une seule et même population, et donc un seul stock de pêche, elle est évaluée et gérée par unités à l’échelle de chaque pays.
- Chaque pays met en place ses propres suivis, entraînant parfois des manques de données et une variabilité des méthodes d’évaluation, qui compliquent l’évaluation de l’état de la population.
- Enfin, la gestion implique une multiplicité d’acteurs impliqués (scientifiques, gestionnaires, pêcheurs, ONG, police de l’eau) à divers niveaux (local/régional/national), ce qui complique le dialogue et la mise en place de stratégies communes.

Le projet SUDOANG se termine, retour sur 3 ans de coopération européenne.
Fournir des outils communs de gestion et d’évaluation
Pour garantir rapidement un accès efficace à l’ensemble des données et indicateurs concernant la population d’anguille européenne, les acteurs du projet SUDOANG se sont engagés à fournir un outil unique aux gestionnaires européens : VISUANG
VISUANG permet aux gestionnaires d’accéder simplement à des données complexes, par exemple les estimations de l’échappement (départ des adultes reproducteurs vers la mer), du recrutement (arrivée des jeunes civelles) et un calcul des taux d’exploitation de pêche, et ce à différentes échelles spatiales et temporelles.
Cet outil met également l’accent sur les effets des barrages sur la population d’anguille, comme obstacle à la colonisation sur les bassins versants, mais fournit aussi une estimation des mortalités dues au passage dans les turbines lorsque les géniteurs repartent vers la mer.
Au final, VISUANG fournit un atlas interactif, présentant l’ensemble des données sur l’anguille et son habitat, outil essentiel aux gestionnaires pour détecter les principaux obstacles à la migration mais aussi pouvoir confronter l’augmentation d’habitat disponible que représenterait la démolition de chaque obstacle au risque de mortalité à la descente.
Sur le terrain: utiliser des méthodes communes pour harmoniser les connaissances
Au tout début du programme, en 2018, un atelier de travail s’est tenu à Anglet avec toutes les équipes de chercheurs et de techniciens concernés afin d’harmoniser les protocoles de collectes de données.
En plus des taux de recrutement, et d’échappement, une variable importante pour décrire le fonctionnement de la population d’anguille concerne l’estimation de l’âge à la taille, autrement dit la croissance, et de l’âge à l’argenture (phase par laquelle passe les individus juste avant leur départ vers leur site de reproduction océanique).
Cela est rendu possible grâce à la lecture d’otolithes. Les otolithes sont des concrétions calcaires présentes dans l’oreille interne des poissons, dont la composition chimique témoigne de l’environnement dans lequel ils évoluent. Outre cette connaissance de la qualité du milieu (qui joue sur la croissance), la structure physique de l’otolithe intègre, comme pour un arbre, des marques de croissance. Chaque année de croissance est matérialisée par un cercle, et plus on est près du centre, plus on se rapproche de la naissance :

Pour la première fois, le projet SUDOANG a permis la tenue d’un atelier de lecture d’âge sur des anguilles venant de France, d’Espagne et du Portugal, mais aussi d’autres régions d’Europe. La comparaison de ces données a révélé bien des surprises, ce qui confirme tout l’intérêt d’harmoniser les protocoles à large échelle géographique pour mieux comprendre l’impact du milieu sur l’histoire de vie de cette espèce.
Un autre enjeu est de capturer des jeunes stades (civelles) à leur arrivée dans nos fleuves pour estimer le recrutement. Ce travail n’est pas toujours simple, et de nouveaux protocoles sont constamment mis au point. La vidéo suivante montre les scientifiques de l’UMR ECOBIOP sur le terrain.
Renforcer la coopération entre les acteurs impliqués dans la gouvernance de l’anguille
L’une des difficultés liées à la gestion de la population d’anguille européenne est de faire travailler ensemble tous les acteurs concernés par l’espèce, de l’échelle du bassin versant jusqu’à l’échelle européenne. Le projet SUDOANG a permis aux acteurs de la gestion de l’anguille, au travers d’ateliers d’échange, de découvrir comment chaque pays s’empare de ce sujet. Le modèle français, basé sur des comités régionaux de gestion des poissons migrateurs (COGEPOMI), pouvant remonter des recommandations ou des informations à un échelon national (comité national anguille), est apparu comme un modèle dont pouvait s’inspirer l’ Espagne et le Portugal. Des plateformes tests ont ainsi été mis en place à l’échelle de bassins pilotes (rivière Nalon en Espagne) et des pays (Espagne et Portugal) pour voir comment des groupes multiacteurs pouvaient s’emparer de questions et communiquer entre eux pour résoudre des problèmes.
À terme, la constitution d’une plateforme internationale devrait permettre de coordonner ce qui existe en France avec ce qui se met progressivement en place dans les 2 autres pays.
Cette plateforme a un nom : GOUVERNANG, et les recommandations de fonctionnement et de mise en œuvre sont déjà disponibles en ligne sur le site du projet.