Société et territoires 2 min
Science et émotion
Quelle est la place des émotions dans la recherche scientifique ? Elle est bien prépondérante, puisque la curiosité, la passion, la surprise, la rivalité, l’envie et d’autres émotions incontrôlables jalonnent le parcours de chaque chercheur. Les émotions sont mal vues car on pense qu’elles touchent à l’objectivité. Emmanuel Petit vous montrera qu’il n’en est rien.
Publié le 02 août 2022
Tous les chercheurs connaissent le plaisir intellectuel, la curiosité et la surprise associés à leur activité professionnelle. La plupart s’engagent avec ferveur dans leurs travaux et prennent à cœur de convaincre la communauté et/ou le grand public de leur pertinence et de leur importance. Peu de chercheurs reconnaissent cependant que leurs émotions peuvent avoir une incidence sur la façon dont ils abordent leur objet de recherche, ni sur la manière dont ils la pratiquent. Or l’émotion est un mode d’accès à la connaissance que la raison ne supplée pas complètement.
Les émotions modifient-elles le choix de l’objet d’étude ou celui des outils ? Influencent-elles la lecture et l’interprétation des résultats ou des faits scientifiques ? Le chercheur doit-il ou peut-il contrôler ses émotions ou tenter de les mettre à distance ? Faut-il au contraire leur accorder une place dans le processus même de la recherche ? Une émotion est-elle une source appropriée de la connaissance scientifique ? Comment évaluer les émotions ? C’est à toutes ces questions que cet ouvrage propose de répondre. Deux portraits de chercheurs sont dressés : Barbara McClintock, généticienne, et Gérard Debreu, mathématicien.
Emmanuel Petit est professeur de sciences économiques et chercheur à Bordeaux Sciences Économiques (CNRS). Depuis une quinzaine d’années il s’intéresse au rôle des émotions dans l’analyse économique.
Éditions Quæ – coll. Sciences en Questions – 80 pages, juin 2022 – 9,50 euros (livre papier), disponible gratuitement en PDF sur le site des éditions Quæ.
EXTRAIT
[…] il existe en fait très peu d’études permettant d’éclairer ce qui constitue la psychologie du scientifique. En l’absence de travaux spécifiques sur cette question, la psychologie du chercheur est idéalisée. La recherche serait le lieu où s’évertue un être rationnel, ouvert sur le monde, doté d’une intelligence supérieure, intègre, et qui, de surcroît, est capable de coopérer avec ses collègues en partageant ses connaissances. Un idéal qui correspond assez peu au monde très compétitif et parfois irrationnel dans lequel évoluent les chercheurs. Comme tout un chacun, un scientifique mène à bien des objectifs de carrière, se confrontant à des obstacles et tentant de les dépasser. L’image idéale que l’on a du chercheur porte également sur […] sa capacité à être objectif et dépassionné. La science, nous dit Skinner (1953, p. 12), « est une volonté d’accepter les faits même lorsque ceux-ci sont opposés aux convictions [du chercheur] ». Cela sous-tend que les scientifiques perçoivent les données en tant que telles (c’est-à-dire, sans distorsions préjudiciables pour l’enquête) et qu’ils sont capables de contrôler ou de ne pas manifester une émotion susceptible d’affecter d’une manière ou d’une autre le déroulement de leur recherche.