Le rôle primordial du cortège symbiotique dans l’adaptation à la plante d’une espèce hautement invasive, l’aleurode du tabac

Dans le cadre du projet IDEX Micro-be-have (Scientific Breakthrough Program), le laboratoire BF2i (Biologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions) s’est associé avec le LBBE (Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive, UMR 5558 Université Claude Bernard Lyon 1, VetAgroSup, CNRS) pour étudier l’implication des symbiotes dans l’adaptation à la plante hôte d’un redoutable ravageur de plantes ornementales et cultivées, l’aleurode du tabac Bemisia tabaci. Ces découvertes viennent d’être publiés dans le prestigieux journal mBio, edité par l’ASM (American Society for Microbiology).

Publié le 06 décembre 2021

illustration Le rôle primordial du cortège symbiotique dans l’adaptation à la plante d’une espèce hautement invasive, l’aleurode du tabac
© INRAE

A l’occasion de cette collaboration, les deux laboratoires ont recruté Sylvain Benhamou en tant que doctorant pour étudier la question complexe du rôle des symbiotes dans l’adaptation des insectes à l’environnement, et plus particulièrement à la plante hôte. Sylvain a utilisé comme modèle expérimental l’aleurode du tabac Bemisia tabaci, classé parmi les 100 espèces les plus invasives au monde par l’IUCN (International Union for the Conservation of Nature, http://www.issg.org). D’origine tropicale et subtropicale, l’expansion de l’aleurode du tabac depuis son aire géographique d’origine, l’Afrique, a largement été facilitée par les échanges internationaux depuis la fin des années 1970. Aujourd’hui, cet insecte a colonisé toute la planète. Il sévit dans les climats tropicaux ou tempérés, en serre ou en plein champ, où il constitue un risque remarquable puisqu’il est capable de s’attaquer à plus de 600 espèces de plantes, dont d’importantes cultures maraichères et ornementales, en leur transmettant plus de 100 phytovirus différents.

La particularité de l’aleurode du tabac est qu’il se satisfait d’un régime alimentaire très contraignant, la sève phloémienne des plantes, qui est riche en sucres mais très désequilibrée en acides aminés et en vitamines essentiels à la croissance de l’insecte. L’aleurode du tabac doit cette capacité d’adaptation à son symbiote obligatoire, dit ‘primaire’, qui lui procure les nutriments dont il a besoin pour son développement, sa survie et sa reproduction, et qu’il ne trouve pas dans son alimentation. Comme les autres insectes hémiptères (aleurodes, pucerons, cicadelles, cochenilles, …), Bemisia tabaci est également associée à des symbiotes facultatifs, dits ‘secondaires’. Si le rôle nutritionnel des symbiotes primaires est bien décrit, le rôle des symbiotes secondaires dans l’exploitation métabolique des plantes est encore peu connu.

Au cours de sa thèse, Sylvain a mis au point une série d’élégantes expérimentations de croisements génétiques qui lui ont permis d’écarter l’implication du génotype de l’insecte dans l’adaptation à la plante hôte, et de démontrer que le cytotype (qui contient notamment le cortège de bactéries symbiotiques) joue un rôle majeur dans ce processus. Plus particulièrement, la présence de certains symbiotes secondaires est déterminant pour l’adaptation au lantana (Lantana camara), une plante ornementale très populaire mais qui constitue un véritable défi pour l’insecte en raison de ses pauvres qualités nutritives.

Cette étude apporte de nouveaux éléments de compréhension des mécanismes qui façonnent le remarquable succès adaptatif de l’aleurode du tabac. Une meilleure connaissance de la biologie de cet insecte ouvre la voie au développement de nouvelles méthodes de lutte contre ce ravageur.

Grâce à ces résultats, le développement d’alternatives aux traitements conventionnels pour le contrôle des populations d’aleurodes, via une action ciblant les symbiotes (voire certains symbiotes), est envisageable. Ces traitements seraient conçus de manière spécifique vis-à-vis de cette espèce invasive, et n’aurait pas d’impact sur les autres espèces présentes, et notamment les espèces d’insecte bénéfiques. De manière plus générale, ces résultats et les perspectives qu’ils offrent permettront de mieux comprendre l’incidence des symbiotes sur l’écologie et l’évolution de leurs hôtes.

Ces données ont été obtenues dans le cadre de la thèse de Sylvain Benhamou, qui est codirigée par Laurence Mouton (LBBE) et Federica Calevro (BF2i), avec le coencadrement de Fabrice Vavre et Emmanuel Deshouant (LBBE).

Contacts
Sylvain Benhamou : sylvain.benhamou@insa-lyon.fr
Laurence Mouton : laurence.mouton@univ-lyon1.fr
Federica Calevro : federica.calevro@insa-lyon.fr
 

Référence

Sylvain Benhamou, Isabelle Rahioui, Hélène Henri, Hubert Charles, Pedro Da Silva, Abdelaziz Heddi, Favrice Vavre, Emmanuel Desouhant, Federica Calevro & Laurence Mouton. 2021. Cytotype affects the capability of the whitefly Bemisia tabaci MED species to feed and oviposit on an unfavorable host plant. mBio 12:e00730-21. https://doi.org/10.1128/mBio.00730-21

Federica Calevro et Laurence Mouton co-corresponding et co-dernières auteures.

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