Bioéconomie 4 min
Réutiliser les eaux usées pour irriguer la vigne
Chaque été, les vignes doivent faire face à des températures de plus en plus élevées et au manque d’eau. L’Unité expérimentale de Pech Rouge à Gruissan a développé une solution pour lutter contre le dépérissement de la vigne malgré la diminution des ressources en eau : utiliser des eaux usées traitées pour l’irrigation.
Publié le 11 août 2020
Le changement climatique se traduit par une augmentation de l’évapotranspiration, des pluies plus irrégulières et des sécheresses plus sévères. Ces fortes contraintes hydriques ont de graves conséquences sur le développement de la vigne, en réduisant les rendements et la qualité du raisin, avec par exemple des arômes moins intenses. L’irrigation de la vigne devient donc indispensable : depuis les années 2000, 15% des vignes des régions Languedoc-Roussillon et PACA sont irriguées, soit environ 45000 ha auxquels s’ajoutent 2000 ha chaque année.
Satisfaire cette forte demande en eau crée des tensions sur la ressource disponible, d’autant plus que les besoins de la vigne coïncident avec l’augmentation de la population estivale dans les régions méditerranéennes. L’arrivée des estivants engendre également une augmentation du volume des eaux usées domestiques (ménagères et eaux-vannes). Or, en France, seulement 2% des eaux usées traitées sont réutilisées tandis que 98% sont rejetées dans les hydrosystèmes.
Mieux gérer la ressource en eau
A travers son projet collaboratif de recherche Irri-Alt’Eau 2.0 (1), l’Unité expérimentale INRAE de Pech Rouge (UEPR) développe avec ses partenaires la réutilisation des eaux usées et répond ainsi au triple enjeu de la gestion de l’eau et de l’irrigation de la vigne :
- Remédier au manque d’eau dans les sols, conséquence des sécheresses continues, sans prélever sur les ressources en eau naturelles.
- Eviter les conflits d’usages en utilisant une ressource disponible et sans risque de restriction/coupure d’eau.
- Assurer une ressource alternative d’eau de qualité physico-chimique et microbiologique maitrisée, dans un cadre réglementaire précis, et diminuer le rejet dans les milieux naturels des eaux usées insuffisamment traitées et polluantes.
Un traitement spécifique pour pallier les risques sanitaires
Pour l’irrigation de la vigne, le projet Irri-Alt’Eau 2.0 a mis en place au niveau de la station d’épuration de Narbonne Plage un nouveau traitement, dit tertiaire, qui vient s’ajouter au traitement classique (2). Il se déroule en deux étapes principales : la chloration et l’irradiation UV. Son but est d’éliminer de façon ciblée les micro-organismes pathogènes, bactéries ou virus, présentant des risques de contamination pour l’environnement, la santé humaine, animale et végétale. Ce traitement tertiaire est rigoureusement suivi par l’Agence Régionale de la Santé qui réalise notamment le traçage de molécules dangereuses (comme celles présentes dans les médicaments) afin de vérifier que leur quantité ne dépasse pas le seuil autorisé dans l’eau potable. De nombreuses analyses de l’eau sont ainsi réalisées dès la sortie de la station d’épuration, puis au niveau du sol, des raisins et jusque dans le vin, afin que les exigences sanitaires soient strictement respectées.
Les bienfaits des eaux traitées pour des vignes 100 % bio
« L’eau d’irrigation provenant des eaux usées traitées est une ressource traçable, ce qui n’est pas le cas de l’eau brute à usage agricole qui n’est pas soumise à des réglementations de contrôle de qualité » explique Hernán Ojeda, chercheur dans l’équipe Viticulture Qualité Raisin de l’UEPR. Autre avantage : les eaux usées apportent des nutriments, azote, phosphore et potassium, qui jouent un rôle essentiel d’engrais pour la vigne, ce qui permet de diminuer significativement le recours aux engrais de synthèse.
Jusqu’à présent cultivée dans une démarche expérimentale, seule une partie des vignes de Gruissan est irriguée avec de l’eau traitée. Le 1er millésime destiné à la production de vins devrait voir le jour en 2021, lorsque les 40 ha de vignes seront irrigués avec ce nouveau dispositif.
Ainsi, Irri-Alt’Eau 2.0 participe à la transition agroécologique : le vin de demain s’inscrira dans un processus de recyclage de proximité, selon les principes de l’économie circulaire, en cultivant de façon durable des raisins sans pesticides et de qualité, en limitant le gaspillage des ressources en eau ainsi que la production de déchets, tout en prenant en compte les impacts environnementaux et sociaux (ni risque de contamination, ni intrant) à chaque étape de la production. De quoi convaincre un bon nombre de consommateurs !
- Le projet Irri-Alt’Eau 2.0 implique : INRAE (Unité expérimentale de Pech Rouge et Laboratoire de Biotechnologie de l'Environnement), Veolia (traitement des eaux usées), AQUADOC (spécialiste des systèmes d’irrigation), la Cave de Gruissan, l’agglomération du Grand Narbonne.
- Voir encadré 1.
Les eaux usées rejetées dans l’environnement subissent classiquement deux traitements :
Traitement primaire :
- Elimination des déchets les plus importants qui sont retenus par des grilles et des tamis puis évacués.
- Décantation : Le sable et les graviers se déposent au fond d’un bassin tandis que les huiles et les graisses remontent à la surface grâce à de petites bulles d’air ; ces huiles sont collectées et éliminées biologiquement. Un coagulant est ensuite ajouté à l’eau. Progressivement, les matières résiduelles se collent entre elles pour former des grumeaux appelés flocs qui, sous l’effet de la gravité, tombent au fond du bassin de décantation, puis sont évacués. A la surface, un réseau de goulotte recueille en continu l’eau clarifiée.
Traitement secondaire :
- Les matières organiques sont digérées par des bactéries fixées sur des billes de polystyrène présentes dans le bassin. Les bactéries mortes et les matières résiduels forment alors des boues qui sont extraites pour être à leur tour traitées.
L’irrigation de la vigne se doit d’être précise afin d’éviter le gaspillage de l’eau et d’obtenir des raisins d’une qualité optimale : on parle d’irrigation qualitative. Elle fournit la quantité d’eau minimale nécessaire au développement de la vigne. La période d’irrigation peut varier selon les régions pour s’adapter aux différentes conditions environnementales. Les techniques de gestion de l’irrigation mis en place à Pech Rouge permettent une telle précision. Il s’agit en effet d’une irrigation en fonction des besoins spécifique de la vigne mais aussi de la ressource en eau et de son coût. Par ailleurs, ce système n’occasionne pas de gêne pour accéder au vignoble. La déperdition en eau est moindre et l’eau parvient efficacement aux racines, sans que les feuilles ne soient mouillées. Les pertes par évaporation, ruissellement ou infiltration profonde sont limitées.
Réglementée par le décret de 2006, l’irrigation des vignes aptes à la production de raisins de cuve est interdite du 15 août aux vendanges (du 1er mai à la récolte pour les AOC, appellation d’origine contrôlée). Cette restriction peut être levée par des dérogations couramment pratiquées aujourd’hui en raison du changement climatique.
La quantité d’eau à prélever autorisée et son prix diffèrent selon la qualité de l’eau (et donc de la station d’épuration). Les prix sont en moyenne de l’ordre de 35 centimes par m3 pour l’eau agricole, 70 centimes / m3 pour l’eau traitée et 1,30 € / m3 pour l’eau potable.