Agroécologie 4 min

La rétroaction, un concept clé pour comprendre le vivant, de la cellule à la planète

Olivier Hamant est directeur de recherche à INRAE et spécialiste de la croissance et de la forme des plantes, mais il a considérablement élargi son champ de réflexion. Il s’intéresse au fonctionnement des systèmes biologiques et, particulièrement, au concept de rétroaction. Interview en trois questions.

Publié le 16 novembre 2020

illustration La rétroaction, un concept clé pour comprendre le vivant, de la cellule à la planète
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En biologie, connaître chaque constituant d’un ensemble ne suffit pas à en comprendre le fonctionnement. Par exemple, caractériser tous les gènes humains ne dit rien du fonctionnement du génome. Ce sont les interactions entre les constituants qui permettent de comprendre les propriétés du système. Pour Olivier Hamant, la rétroaction est une des formes d’interactions les plus importantes dans le fonctionnement du vivant.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au concept de rétroaction ?

Olivier Hamant : Dans mon travail de biologiste, je m’intéresse depuis longtemps au phénomène de rétroaction. Je travaille sur la forme des cellules végétales, qui, comme tous les traits du vivant, est régie par l’expression des gènes. Nous travaillons depuis des années sur les rétroactions qu’exercent en retour la forme des cellules sur les gènes. Récemment, nous avons montré que cette rétroaction est de grande ampleur : les changements de forme d’une cellule influent sur l’ensemble de la chromatine (1) de son noyau et donc, sur l’expression d’un grand nombre de gènes, via des molécules qui commencent à être bien caractérisées (2).

Nous dépendons désormais des choses qui dépendent de nous. Michel Serres (Le contrat naturel)

Les rétroactions sont permanentes dans le fonctionnement du vivant et lui confèrent sa robustesse : par exemple, quand on marche, la rétroaction nerveuse exercée sur le cerveau par la contraction des muscles des jambes permet d’ajuster le mouvement, qui sinon serait très lent et chaotique. On peut élargir ce mécanisme de rétroaction à l’échelle de la planète : la période que nous vivons a été appelée Anthropocène, parce que les humains ont aujourd’hui une empreinte sur la Terre entière. Mais la planète exerce une rétroaction sur l’humanité : les ressources s’épuisent, l’environnement se dégrade, le climat devient plus variable. Nous croyons contrôler la nature, mais c’est plutôt la nature menacée qui devient menaçante. Nous sommes au cœur d’une gigantesque boucle de rétroaction!

Quelles sont les conséquences de cette rétroaction à l’échelle de la planète ?

O. H. : Comme en biologie, une rétroaction appelle une réponse : la civilisation humaine doit répondre au signal de risque émanant de la planète. Pour l’instant, notre stratégie a surtout été de vouloir réduire le risque en augmentant encore le contrôle, par exemple en développant la géo-ingénierie pour réguler le climat. Quand on regarde le fonctionnement humain, on observe qu’il est tendu en permanence vers l’« optimisation », la recherche de la performance. Mais cette performance est basée sur un ou deux critères seulement, comme la vitesse ou l’économie financière. Cela aboutit inévitablement à des externalités négatives dans les sphères sociale et environnementale (lire encadré).

Le rendement de la photosynthèse est de seulement 2 %

Cette pensée réductionniste, est très différente du fonctionnement systémique de la nature. Prenons par exemple la photosynthèse, mécanisme à la base de la vie des végétaux, et donc de la plus grande partie de la biosphère… Le rendement de la photosynthèse est de seulement 2 %, ce qui est très faible. Par contre, la photosynthèse peut s’adapter à de grandes fluctuations d’environnement, ce qui permet aux végétaux de vivre pratiquement partout dans le monde. Les mécanismes biologiques fonctionnent avec des redondances, de l’aléatoire, voire des incohérences, qui ne les rendent pas très performants, mais plutôt adaptables et résilients. En cherchant à optimiser un système sur le seul critère de la performance, les humains se privent de marges de manœuvre pour s’adapter.

Comment situez-vous votre rôle de chercheur dans cette problématique ?

O. H. : L’Anthropocène et l’observation du vivant nous indiquent que nous devons profondément changer de système si nous voulons éviter d’être confrontés à une impasse. Bien sûr, il ne faut pas copier le vivant au point de donner une trop grande place au hasard. Il s’agirait plutôt de définir de nouveaux critères, plus systémiques. Cette révolution émerge probablement déjà.  Pour prendre un exemple dans le domaine de l’agronomie, si on utilise un mélange de variétés de blé, plutôt que la variété la plus performante, on aura un rendement inférieur, mais plus stable car moins dépendant des aléas climatiques.

Associer le progrès à la seule performance est une forme de paresse intellectuelle. Trouver des nouveaux types de fonctionnement plus systémiques et durables demande une grande capacité de recherche et d’innovation. Par exemple, la recherche sur le numérique devrait mettre l’accent sur sa propre durabilité et sur la cybersécurité, bien avant les gains de vitesse et de débit promis par la 5G (lire l'encadré). C’est notre rôle de chercheurs que d’identifier ces questions en priorité et de dégager des pistes pour y répondre.

  1. La chromatine, composée d’ADN, d’ARN et de protéines, est le constituant des chromosomes. Sa conformation détermine l’expression des gènes.
  2. Canaux mécanosensibles, récepteurs membranaires déformables, régulateurs du cytosquelette, facteurs de transcription…

La « grande accélération » risque d’être suivie d’une grande décélération

Des travaux publiés en 2007 * ont établi que l’année 1950 marque un point de rupture simultané pour un grand nombre de paramètres de société, un phénomène qualifié de « grande accélération » : que ce soit la consommation d’énergie, la population urbaine, la consommation d’eau, ou la production de papier, tous ces paramètres montrent une accélération spectaculaire à partir de 1950. En miroir, les pollutions globales, l’acidification des océans, ou le réchauffement atmosphérique décollent aussi depuis 1950. Il s’agit d’une bifurcation globale, inédite dans toute l’histoire de l’humanité. Selon le rapport Meadows au Club de Rome (1972, ré-actualisé en 2009), le dépassement des limites planétaires limiterait nos capacités futures de développement dès 2030 et dans tous les secteurs (agricole, économique, démographique, géopolitique). 

*“Steffen et al. 2007. The Anthropocene: Are humans now overwhelming the great forces of nature? Ambio Vol. 36-8, 614-621

Innover pour un déploiement durable du numérique

« L’effet rebond est le type de rétroaction le plus simple à comprendre », explique Olivier Hamant. C’est un effet « paradoxal », contraire à ce que l’on attendait. Par exemple, le déploiement de la 5G devrait générer des économies d’énergie, car cette technologie est moins énergivore que les précédentes à usage constant. Mais, par effet rebond, il est probable qu’au contraire, cette technologie entrainera une consommation d’énergie et de ressources beaucoup plus élevée, car les usages risquent d’augmenter considérablement via la prolifération des objets connectés ou des centres de données. Il existe des pistes d’innovations qui permettraient un développement durable du numérique, telles que de nouvelles formes de stockage froid des données ou l’invention d’objets numériques entièrement réparables et basés sur le carbone photosynthétique, sans éléments rares.

En résumé, inverser notre mode de pensée
 

Olivier Hamant dispense des conférences et des formations interdisciplinaires sur l’Anthropocène vers le grand public, des étudiants, des entrepreneurs et propose une série d’ «inversions» de modes de pensée et de fonctionnement :    

  • Construire une société de la sobriété fondée sur l’abondance des interactions plutôt qu’une société de la croissance fondée sur des pénuries réelles ou artificielles,
  • Utiliser le temps pour préserver la matière plutôt qu’utiliser la matière pour gagner du temps,
  • Utiliser la production pour contribuer aux services écosystémiques plutôt qu’exploiter les écosystèmes pour augmenter la production,
  • Construire l’adaptabilité sur les faiblesses des systèmes plutôt que construire la croissance sur l’optimisation des procédés. 
  • Alimenter la résilience plutôt qu’améliorer la performance.

Pour aller plus loin :

Pascale MollierRédactrice

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