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Premières preuves scientifiques que des nanofilaments de polysaccharides extracellulaires manipulent la forme des cellules végétales

COMMUNIQUE DE PRESSE - Jusqu’à présent, on pensait que la forme des cellules végétales était déterminée par la seule pression hydrostatique à l’intérieur des cellules exercée contre la paroi cellulaire. Des chercheurs d’INRAE, en collaboration avec des scientifiques de l'université de Cambridge et de Caltech/Institut médical Howard Hughes, ont découvert que la paroi cellulaire a une part active dans la définition de la forme des cellules végétales. Publiés dans la revue Science le 27 février 2020, ces résultats ont aussi des implications dans le monde animal et pourraient, à l’avenir, inspirer le développement de nouveaux matériaux intelligents auto-extensibles.

Publié le 02 mars 2020

illustration Premières preuves scientifiques que des nanofilaments de polysaccharides extracellulaires manipulent la forme des cellules végétales
© INRAE

À première vue, elle a l'air d'une surface verte uniforme, mais sous un microscope, une feuille ordinaire révèle une mosaïque complexe de cellules aux formes irrégulières, comme des pièces de puzzle parfaitement emboîtées.

Selon le paradigme actuel, la forme des cellules végétales est donnée par la pression hydrostatique (turgescence) à l'intérieur des cellules exercée contre la paroi cellulaire rigide autour de celles-ci. Cette pression repousserait la paroi et agrandirait les cellules. Les parties les plus faibles de cette paroi s'élargiraient davantage, tout comme la pression de l'air force les zones les plus faibles d'un ballon à se gonfler davantage.

Une équipe de scientifiques a fait évoluer ce paradigme en démontrant que la turgescence peut ne pas être nécessaire ni à la croissance, ni à la détermination de la forme de la cellule. Les chercheurs d’INRAE, de l'université de Cambridge et de Caltech/Institut médical Howard Hughes, ont en effet découvert que la paroi cellulaire elle-même joue un rôle actif dans la définition de la forme des cellules végétales.

Les résultats de l'équipe incluent l'identification de nouvelles structures de la paroi cellulaire appelées nanofilaments de pectine : ces nanofilaments 1 000 fois plus fins qu'un cheveu humain influencent la forme des cellules indépendamment de la turgescence. Ces résultats ont aussi des implications pour le monde animal et pourraient inspirer le développement de matériaux intelligents à l'avenir.

Avant la découverte de l'équipe, la pectine était perçue comme une matrice gélatineuse et désorganisée, disposée entre les longues fibres de cellulose dans la paroi cellulaire. Selon le Dr Kalina T. Haas, auteure principale de la publication : « La biochimie est typiquement utilisée pour étudier les composants de la paroi cellulaire mais a ses limites : une analyse biochimique désintègre la paroi cellulaire afin d'en extraire les molécules. Les microscopes à fluorescence ordinaires d'une résolution de 200 nm ne sont d'aucune utilité non plus, car la paroi cellulaire mesure seulement de 50 à 100 nm d'épaisseur et est donc trop petite pour en examiner la structure en détails. Pour surmonter ces obstacles, nous avons utilisé deux types de microscopie de nouvelle génération, dSTORM et cryoSEM, qui nous ont permis de maintenir la paroi cellulaire intacte. Ensemble, ces microscopes ont révélé que les pectines ne forment pas une « gelée » mais créent plutôt une palissade (succession de colonnes) bien organisée, de dimension nanométrique, le long du bord de la paroi cellulaire. »

Le cryo-microscope à balayage1 (cryoSEM) développé au laboratoire Sainsbury à l'université de Cambridge a capturé les toutes premières images de ces filaments de pectine. Le Dr Raymond Wightman, responsable du service d'imagerie au laboratoire Sainsbury, explique : « C'était il y a 40 ans que des chimistes ont démontré pour la première fois que la pectine pourrait former des filaments, mais ceux-ci n'avaient jamais été observés au sein de la paroi cellulaire. Le cryoSEM nous a fourni les toutes premières images de pectine en tant que structures filamenteuses, et le microscope optique à haute résolution dSTORM a confirmé que nous observions bel et bien des structures de pectine. Ces résultats n'auraient pas pu être obtenus par un seul microscope. »

Le Dr Haas et le Dr Alexis Peaucelle d'INRAE ont adapté le microscope dSTORM du MRC/LMB afin d'analyser les cellules d'une feuille d'Arabidopsis thaliana (Arabette des dames) à haute résolution, 20-40 nm. Ils ont découvert qu'un seul type de changement chimique (perte du groupement méthyle) dans des nanofilaments de pectine entraîne un gonflement des filaments et produit une expansion radiale de ceux-ci d'environ 40 %. En contrôlant dans l’espace ce gonflement de la paroi, la cellule peut alors grandir et prendre une forme de pièce de puzzle.

Cellules de cotyledon en forme de pièce de puzzle
Feuille embryonnaire (cotylédon) au microscope électronique à balayage (SEM) © K. Haas et al., Pectin homogalacturonan nanofilament expansion drives morphogenesis in plant epidermal cells, Science.

 Le Dr Peaucelle ajoute : « Ceci est lié à un changement dans l'organisation des polymères de pectine à l'intérieur du nanofilament, d'un treillis serré à un treillis plus lâche. Une telle auto-expansion des composantes de la paroi cellulaire, en combinaison avec leur orientation, peut mener à l'émergence de formes complexes. À l'aide d'un modèle informatisé, nous avons observé que le petit changement de taille causé par un nanofilament modifié suffit à créer la forme de pièce de puzzle de la cellule. »

Des recherches plus approfondies seront nécessaires pour pondérer le rôle joué par la turgescence et la cellulose de la paroi cellulaire dans la forme des cellules. Selon l'équipe, il est probable que la turgescence et la cellulose œuvrent aux côtés des nanofilaments de pectine.

Le Dr Peaucelle reprend : « Les formes de pièces de puzzle des cellules épithéliales sont fascinantes. Lorsque nous transformons leur forme en son, on observe qu’elles sont organisées en ondes semblables à celles produites par un instrument de musique. Nous avons utilisé différentes cellules pour créer les notes d'une gamme chromatique, et jouer ‘Le Beau Danube bleu’ de J. Strauss. C’est par un heureux hasard qu’en étudiant la manière dont les cellules épithéliales forment leurs motifs ondulés que nous avons compris comment les pectines jouent un rôle dans le processus de croissance. Un tel changement de paradigme souligne le peu de connaissances que nous avons sur la croissance des plantes, alors que celles-ci sont vitales pour la pérennité de notre société. De plus j'imagine que de nouvelles découvertes surviendront en matière de santé humaine et végétale à mesure que la dynamique de la matrice extra cellulaire serra révélée grâce à la nouvelle génération de microscopes à haute résolution. Bien que les cellules animales ne soient pas entourées de parois cellulaires, elles sont entourées d'une matrice extracellulaire de protéines et de sucres qui pourrait, elle aussi, influencer la forme de ces cellules. »

Le Dr Haas conclut : « Les connaissances sur la structure de la paroi cellulaire sont essentielles pour comprendre comment les plantes prennent leurs formes complexes. Ces connaissances auront certainement des répercutions dans de nombreux domaines comme l'immunité végétale, les biocarburants, l’agriculture, l'adaptation des plantes aux changements environnementaux et même le développement de matériaux intelligents auto-extensibles. »

1 Imagerie à très basse température

Références

Kalina T. Haas, Raymond Wightman, Elliot M. Meyerowitz et Alexis Peaucelle (2020) Pectin homogalacturonan nanofilament expansion drives morphogenesis in plant epidermal cells, Science, 27-02-2020. DOI : 10.1126/science.aaz5103

Le laboratoire Sainsbury de l'université de Cambridge (SLCU) est un institut de recherche financé par la Gatsby Charitable Foundation. L'objectif de ce laboratoire est d'élucider les systèmes régulateurs responsables de la croissance et du développement des végétaux. SLCU offre un environnement de recherche collaboratif et pluridisciplinaire s'appuyant sur les approches de biologie moléculaire, cellulaire, informatique, quantitative/mathématique, de la plante entière et des populations afin d'examiner les mécanismes régulateurs responsables de la croissance et du développement des végétaux.


Lien vers la vidéo
Vidéo : Les nanofilaments de pectine manipulent la forme des cellules végétales. © K. Haas et A. Peaucelle