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A qui perd gagne au cours de l’évolution des espèces à génome complexe ?

COMMUNIQUE DE PRESSE - La perte de gènes dupliqués pourrait-elle servir de moteur à l’évolution au même titre que la duplication de gènes ? En étudiant la reproduction du colza, des chercheurs de l’Inra ont montré que, loin d’être délétère, la perte d’une des copies dupliquées d’un gène essentiel pour réaliser des échanges entre chromosomes au cours de la méiose pourrait conférer un avantage adaptatif. Publiés dans Nature Communications, ces résultats ouvrent des perspectives en amélioration des plantes, notamment pour sélectionner de nouvelles espèces cultivées présentant plusieurs sous-génomes, à l’instar du triticale, un hybride entre le blé et le seigle.

Publié le 06 juin 2019

illustration A qui perd gagne au cours de l’évolution des espèces à génome complexe ?
© INRAE

Marquage immunocytologique des échanges génétiques entre chromosomes (foyers verts) chez une plante de colza ne présentant qu’un seul allèle fonctionnel de MSH4
Marquage immunocytologique des échanges génétiques entre chromosomes (foyers verts) chez une plante de colza ne présentant qu’un seul allèle fonctionnel de MSH4

Toutes les plantes à fleurs ont connu au moins un, et souvent plusieurs évènements de polyploïdie (duplication complète de génome) au cours de leur évolution. Ce succès évolutif ne va pourtant pas de soi car la présence de plus de deux lots complets de chromosomes, souvent issus d’espèces différentes, conduit à des défauts au cours de la méiose. Depuis plusieurs dizaines d'années, les scientifiques cherchent à comprendre comment les espèces polyploïdes réussissent malgré tout à assurer une bonne transmission de leurs chromosomes à leur descendance au cours de cette étape essentielle à leur reproduction. Les travaux menés à l’Inra conduisent à envisager une réponse étonnamment simple à cette question : l’élimination d’une des copies dupliquées de gènes essentiels pour la recombinaison méiotique[1].

Toujours seuls !

Les chercheurs se sont intéressés à l’évolution des gènes codant une protéine impliquée dans les échanges génétiques entre chromosomes appelée MSH4. Ils ont montré que les gènes codant pour la protéine MSH4 sont revenus sous forme de copie unique suite aux évènements de polyploïdie qui ont jalonné l’histoire des plantes à fleurs. Seuls les polyploïdes plus récents[2] comme le au blé, le coton ou le colza présentent plusieurs copies. Etonnés par le caractère systématique de cette perte de gènes dupliqués sur un pas de temps court, les chercheurs ont étudié les conséquences de la perte d’une des copies de MSH4 chez le colza qui en possède deux.

Des pertes sans conséquence

L’inactivation simultanée des deux copies de MSH4 chez le colza conduit à une diminution drastique du nombre d’échanges génétiques entre chromosomes, confirmant le rôle essentiel que joue cette protéine dans la recombinaison méiotique chez cette espèce. En revanche, la perte de l’une ou de l’autre des deux copies est sans conséquence sur le bon déroulement de la méiose chez cette espèce. Il suffit d’un seul exemplaire (allèle) fonctionnel assurer une ségrégation équilibrée des chromosomes au cours de la méiose.

Moins il y en a, mieux c'est !

Il en va différemment si on s’intéresse aux échanges génétiques qui peuvent survenir entre les chromosomes hérités des espèces parentales du colza. Leur nombre est proportionnel au nombre de copie fonctionnelle de MSH4[3] : il est maximal lorsque les deux copies sont fonctionnelles, décroit progressivement au fur et à mesure que la plante accumule des allèles délétères pour l’une ou pour l’autre des deux copies, et il est pratiquement nul lorsque les deux copies sont inactivées. Loin d’être délétère, cette perte de copie dupliquée pourrait donc s’avérer bénéfique, en limitant les risques que des échanges illégitimes perturbent la ségrégation des chromosomes de colza. Ces travaux ouvrent donc la voie à la sélection de nouvelles espèces cultivées combinant les génomes de plusieurs espèces, comme cela a été fait pour le triticale.

Publication

Reducing MSH4 copy number prevents meiotic crossovers between non-homologous chromosomes in Brassica napus. Adrián Gonzalo, Marie-Odile Lucas, Catherine Charpentier, Greta Sandmann, Andrew Lloyd et Eric Jenczewski. Nature Communications. 29 mai 2019.

 

[1] Processus conduisant à un échange d'information génétique entre chromosomes

[2] Ces espèces se sont formées il y a environ 10 000 ans

[3] Ces mesures ont été réalisées sur des plantes présentant un lot unique mais complet de chaque chromosome de colza produites par des approches de biologie cellulaire