Agroécologie 5 min

La moitié du phosphore disponible des sols agricoles à l’échelle mondiale provient des engrais minéraux

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Le phosphore est un nutriment essentiel pour la croissance des plantes. L’usage d’engrais minéraux phosphatés en agriculture a permis d’accroître fortement la fertilité en phosphore des sols et, ainsi, les rendements des cultures. Cependant ces engrais sont fabriqués à partir de roches phosphatées, une ressource non renouvelable et mal distribuée sur la planète. Une équipe de recherche d’INRAE et de Bordeaux Sciences Agro a développé un modèle calculant pour chaque pays dans le monde, la fraction du phosphore disponible des sols agricoles qui provient des engrais minéraux, et son évolution depuis le milieu du XXe siècle. Leurs résultats, publiés dans Nature Geoscience, montrent qu’en moyenne près de la moitié du phosphore disponible des sols agricoles à l’échelle globale est issue des engrais minéraux, avec de fortes inégalités entre les régions du monde : l’Europe de l’Ouest, l’Amérique du Nord et l’Asie présentent des signatures supérieures à 60 %, contre 40 % pour l’Amérique du Sud et autour de 30 % pour l’Afrique. Cela témoigne de la dépendance très forte des systèmes agricoles à l’utilisation des engrais minéraux phosphatés. Ces résultats appellent à accélérer la transition agroécologique dans les pays du Nord pour préserver la fertilité acquise des sols, faciliter les retours aux sols des effluents agricoles et urbains et à diriger les ressources minières restantes vers les pays du Sud, notamment en Afrique, dont les sols sont encore très déficitaires en phosphate et limitants pour la production agricole.

Publié le 05 janvier 2023

illustration La moitié du phosphore disponible des sols agricoles à l’échelle mondiale provient des engrais minéraux
© INRAE - Jean WEBER

Le phosphore est naturellement présent dans les sols en quantité et en disponibilité variables selon les régions du monde et les types de sols. Depuis les années 1950, l’usage des engrais minéraux phosphatés a permis d’augmenter la disponibilité en phosphore des sols et, ainsi, les rendements agricoles. Cependant, ces engrais minéraux proviennent de l’extraction minière et du traitement chimique de roches phosphatées (phosphates naturels) dont les réserves sont finies et inégalement réparties dans le monde (le Maroc concentrant à lui seul 70 % des ressources, l’Europe en étant quasiment dépourvue), et dont les procédés de transformation sont polluants. Au rythme d’extraction actuel, les études convergent pour affirmer que le pic d’extraction de ces roches devrait être atteint vers le milieu du siècle, entrainant une augmentation probable du prix des engrais et des risques de tensions géopolitiques. Dans ce contexte, il est important de mieux comprendre la dépendance des systèmes agricoles actuels à l’utilisation passée et actuelle des engrais minéraux phosphatés.

C’est pourquoi des chercheurs d’INRAE et de Bordeaux Sciences Agro ont mené une étude pour quantifier la fraction du phosphore disponible des sols qui provient de l’application d’engrais minéraux, aussi appelée signature anthropogénique en phosphore des sols. Les chercheurs ont développé un modèle qui simule l’évolution de la disponibilité en phosphore des sols agricoles pour chaque pays dans le monde sur la période 1950-2017. Ce modèle est fondé sur les données relatives aux stocks de phosphore disponible du sol, aux rendements des cultures, aux utilisations d’engrais minéraux, aux effectifs d’animaux d’élevage et aux échanges internationaux. Pour chaque pays, les calculs ont été réalisés sur un sol agricole moyen composé de prairies et de cultures avec des niveaux d’intensification variables selon les pays.

Une fertilité des sols très dépendante des engrais minéraux de synthèse

À l’échelle globale, la signature anthropogénique du phosphore disponible des sols agricoles se situe autour de 47 % (à plus ou moins 8 %), suggérant que la moitié de la fertilité actuelle en phosphore des sols provient du recours aux engrais minéraux. Ce résultat reflète l’intensification de l’agriculture qui a recouru massivement aux engrais de synthèse dans de nombreux pays depuis les années 1950.

Les résultats mettent en évidence de fortes disparités à la fois spatiales et temporelles dans la dépendance des pays aux engrais minéraux phosphatés. Les pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord ont vu leurs signatures fortement augmenter dès les années 1950 pour atteindre en 2017 des valeurs supérieures à 60 %. Depuis les années 1970 les signatures anthropogéniques du phosphore des sols agricoles d’Europe de l’Ouest se sont stabilisées, du fait d’une diminution de l’usage d’engrais minéraux, partiellement compensée par l’utilisation des effluents d’élevage. Les pays d’Asie voient leurs signatures augmenter à partir des années 1970, période marquée par la Révolution Verte et un recours massif aux engrais minéraux. Leurs signatures ont aujourd’hui rattrapé celles des pays d’Europe de l’Ouest, mais, contrairement à ces derniers, la signature des pays d’Asie continue de croître à cause d’un recours toujours important aux engrais minéraux phosphatés. L’Amérique du Sud et l’Europe de l’Est présentent en 2017 des signatures plus faibles, de l’ordre de 40 %. Enfin, les pays d’Afrique et d’Océanie montrent des signatures inférieures à 30 %, témoignant d’un recours plus faible aux engrais minéraux au cours de leur développement.

Carte mondiale de la signature en phosphore d'origine humaine des sols
Signature anthropogénique du phosphore disponible des sols agricoles à l’année 2017. Les pays en gris et gris hachuré ne sont pas considérés par manque de données et par mauvaise performance du modèle, respectivement.

Vers une gestion plus juste et durable de la ressource en roches phosphatée

Ce travail met en évidence le niveau de recours des systèmes agricoles aux engrais minéraux phosphatés pour assurer les niveaux de productivité que l’on observe aujourd’hui. Ceci pose question quant à la capacité des systèmes agricoles à s’affranchir de cette ressource dont l’utilisation n’est pourtant pas durable. L’étude soulève aussi des questions d’équité de répartition des ressources. Les pays ayant très tôt intensifié leur agriculture, comme l’Europe de l’Ouest ou l’Amérique du Nord, ont fortement enrichi leurs sols en phosphore disponible par l’usage massif des engrais minéraux phosphatés. Il est désormais nécessaire pour ces pays de protéger et de valoriser cette fertilité acquise grâce à un recyclage amélioré et une transition agroécologique s’appuyant sur le développement des systèmes de polyculture élevage diversifiés, la diminution de l’érosion des sols et le retour au sol des effluents urbains. À l’inverse, les pays d’Afrique ont eu peu recours aux engrais minéraux phosphatés. Or beaucoup de leurs sols sont très déficients en phosphate, ce qui limite leur production agricole et alimentaire. C’est pourquoi il paraît nécessaire d’avoir une gestion plus équitable des ressources restantes en roches phosphatées pour les diriger vers les pays qui en ont le plus besoin et favoriser ainsi la sécurité alimentaire mondiale.

Quelles alternatives aux engrais minéraux phosphatés ?

Si les engrais minéraux phosphatés ont contribué à augmenter les rendements agricoles et assurer la sécurité alimentaire de nombreux pays, ils proviennent de roches phosphatées dont les ressources mondiales sont limitées. De plus, du fait des activités minières pour extraire le phosphate des roches, la production de ces engrais présente un fort impact environnemental. Dans les pays ayant accumulé des stocks importants de phosphore disponible (comme la France), il est aujourd’hui nécessaire de réduire massivement l’usage des engrais minéraux phosphatés. En effet, selon les types de sols, l’absence d’apport n’entraine pas nécessairement une baisse de rendement car les cultures sont capables de mobiliser le phosphore disponible accumulé dans les sols. Certaines espèces cultivées, comme le lupin blanc ou le sarrasin, permettent de mobiliser le phosphore fortement lié à la phase solide des sols et ainsi d’augmenter la disponibilité pour les différentes cultures de la rotation. De plus, il est urgent dans ces pays de préserver la fertilité acquise en phosphore des sols en limitant l’érosion des sols (par exemple avec des couverts végétaux ou le retour des haies dans les paysages agricoles) et en favorisant le recyclage des matières organiques (effluents d’élevage, boues de stations d’épuration, etc..).

Référence

Demay J., Ringeval B., Pellerin S et al. (2023). Half of global agricultural soil phosphorus fertility derived from anthropogenic sources. Nature Geoscience. 5 January 2023. DOI: 10.1038/s41561-022-01092-0

 

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