illustration Mohammed Bendahmane, le chercheur et la rose
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Mohammed Bendahmane, le chercheur et la rose

Mohammed Bendahmane, directeur de recherche INRAE, travaille depuis 20 ans sur la rose. En 2018, lui, son équipe et leurs collaborateurs ont décrypté le génome du rosier, avec une grande précision puisqu’il s’agit de l’un des trois meilleurs assemblages de génome de plante. Il reçoit le 26 novembre 2019 le Grand Prix de l’Académie des sciences qui récompense la qualité de l’ensemble de ses travaux. Il nous livre l’histoire de ses recherches qui éclaire celle de la rose mais aussi la génétique humaine.

Publié le 26 novembre 2019

Il était une fois la rose, domestiquée il y a des milliers d’années, et un chercheur biologiste épris de la reine des fleurs. Entre Mohammed Bendahmane et la rose, c’est une longue et belle histoire qu’il nous conte avec passion et enthousiasme. La voici. C’est tout d’abord une histoire de famille : « avec un père professeur de biologie, j’ai grandi dans un environnement où la biologie était tout le temps présente » dit-il en précisant que son frère est également devenu chercheur INRAE. C’est donc tout naturellement qu’il s’oriente vers des études scientifiques avec l’envie de travailler dans la recherche en particulier dans le domaine du végétal. Il obtient une Licence de biologie au Maroc et poursuit ses études en France au début des années 90 où il mène une thèse au CNRS en virologie végétale. Après 6 ans passés aux États-Unis pour travailler sur les virus puis sur des plantes, il rejoint l’Inra en 2000 au Laboratoire de reproduction et développement des plantes à Lyon où il est toujours en poste actuellement. C’est à ce moment-là que sa romance avec la rose commence véritablement.

S’il te plaît, dessine-moi une rose !

Les premiers travaux de recherche de Mohammed Bendahmane à l’Inra ont porté sur la morphogénèse des organes des plantes, il s’agissait de comprendre comment se forment les pétales et ce qui détermine leur nombre : « Quand vous offrez des fleurs à quelqu’un, la première chose qu’il regarde c’est leur forme et donc leurs pétales ! ». Mais la finalité de ses travaux n’est évidemment pas qu’esthétique, même si cela a aussi son importance pour attirer les insectes pollinisateurs. Lui et son équipe ont identifié deux gènes impliqués dans la prolifération et l’expansion des cellules du pétale. L’un de ces gènes est d’ailleurs très important… chez l’homme ! En effet, il est associé à 80 % des cancers humains, et joue un rôle majeur dans la régulation de la vitesse à laquelle les cellules se divisent. Plus la vitesse de division cellulaire augmente, plus les cellules se divisent de manière anarchique : « cela explique ce qu’il peut se passer chez l’homme, mais nous l’avons démontré chez les plantes ». De nombreux chercheurs en cancérologie utilisent aujourd’hui ces résultats, mais Mohammed Bendahmane poursuit l’aventure avec les plantes en faisant l’hypothèse qu’il est possible, en modulant la quantité de protéines codées par ce gène, d’augmenter la vitesse de croissance de plantes d’intérêt agronomique. Cette découverte permettrait de gagner 4 jours de croissance sur une période de 40 jours et ainsi apporter des applications agronomiques concrètes, actuellement testées dans le cadre d’un partenariat entre l’Inra et une entreprise privée.

Du jardin à l’éprouvette

Le génome de la rose décrypté

Ce n’est pas seulement pour comprendre ce qu’il se passe au cœur de la soixantaine de rosiers de son jardin que Mohammed Bendahmane étudie les roses. Il y a aussi des intérêts scientifiques à l’étudier : « le rosier a la plus grande diversité de traits parmi toutes les plantes ornementales » et fait partie de la même famille que les fraisiers, framboisiers, poiriers et pommiers, les rosacées. Comprendre la génétique du rosier c’est aussi comprendre celle de ces autres plantes d’intérêt agronomique. Lorsque Mohammed a débuté ses recherches sur le rosier, il n’existait aucune information génomique, moléculaire ou biochimique sur cette plante. Avec son équipe, il a commencé par séquencer les gènes exprimés au cours du développement de la fleur, de la racine, des feuilles... « Mais tout cela ne représentait qu’environ 7 % du génome. Il a fallu passer au génome complet ! ». Un véritable challenge pour Mohammed Bendahmane, son équipe et leurs collaborateurs, puisque le génome du rosier est très complexe du fait de nombreux croisements entre les espèces depuis des milliers d’années. Première étape : choisir parmi les 200 espèces de rosiers celui dont le génome pourra être décrypté. L’heureux élu ? Rosa chinensis « Old blush », un rosier originaire de Chine qui fleurit plusieurs fois par an et qui est aussi l’ancêtre majeur des variétés de rosiers modernes. 8 années plus tard, en 2018, les chercheurs annoncent qu’ils ont séquencé le génome du rosier ! « C’est l’un des trois meilleurs génomes de plante séquencé dans le monde avec le riz et Arabidopsis » explique-t-il fièrement avant de rajouter modestement : « c’est un petit pas pour l’homme, le génome c’est une base, maintenant il y a encore 20 ans de recherches pour le lire et le comprendre ». Le décryptage du génome a déjà permis à cette équipe d’élucider les mécanismes par lesquels un gène contrôle la formation de multiples pétales, de la fleur ou des organes de reproduction. Plus marquant encore, les chercheurs ont identifié une protéine responsable de la biosynthèse du parfum et qui existe également chez l’homme où elle s’avère avoir la capacité de « détoxifier » nos cellules de molécules cancérigènes.

Montre-moi ton génome, je te dirais d’où tu viens

Construire l'arbre généalogique de la rose

Les rosiers modernes sont issus de croisements entre des rosiers chinois, européens et du Moyen-Orient, chacun ayant des traits très spécifiques : les rosiers chinois ont un parfum très particulier et fleurissent plusieurs fois dans l’année, les rosiers européens ont quant à eux une capacité à résister aux contraintes environnementales. Le décryptage du génome a permis de retracer cette domestication et de savoir quelles sont les origines des différentes variétés de rosier. Afin d’être plus précis dans leurs résultats, les scientifiques ne se sont pas limités à un génome mais ils ont séquencé celui de 14 autres rosiers, dont le premier rosier moderne hybride, appelé « La France » obtenu par croisement en 1867. Ces travaux ont permis d’identifier les provenances de plusieurs traits d’intérêt du rosier et de montrer pour certains quels gènes les contrôlent. Cela aide également à reconstituer l’arbre généalogique des rosacées, et montre par exemple que le fraisier et le rosier sont très proches. Et quand on sait que les poiriers ou pommiers mettent plusieurs années avant de fleurir alors que le rosier fleurit dès la première année, on comprend l’intérêt d’identifier les gènes qui sont responsables de ces caractères.

… et ce n’est que le début de l’histoire !

Pour Mohammed Bendahmane, « il y a encore plein de choses à découvrir » et ce génome est maintenant utilisé partout dans le monde. Quand on lui demande s’il souhaite travailler sur une autre plante que le rosier, cet amoureux de la nature répond avec philosophie et humour « la rose c’est une longue histoire avec l’homme, sa domestication date de 3000 ans avant J.-C., et cela continue, alors je ne vois pas pourquoi moi je devrais m’arrêter ! ». Ces travaux de grande ampleur sont aujourd’hui récompensés par le Grand Prix de l’Académie des sciences, une reconnaissance que le chercheur apprécie à sa juste valeur : « c’est un honneur en tant que scientifique et une fierté pour toute l’équipe qui a travaillé avec moi ». Un travail de longue haleine qui fait écho à une citation de Saint-Exupéry dans Le petit Prince « C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante ».

 

 

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