Biodiversité 3 min
Une méthodologie inspirée des marchés financiers pour optimiser le fonctionnement des écosystèmes
COMMUNIQUE DE PRESSE - S’inspirer des marchés financiers pour la gestion des écosystèmes ? Une équipe internationale de recherche, dirigée par INRAE et le CNRS, a conçu une méthodologie inédite en s’inspirant de l’optimisation des investissements boursiers pour étudier comment la distribution de la ressource entre espèces (leur biomasse) impacte le fonctionnement des écosystèmes. Faut-il miser sur une espèce phare et performante, ou au contraire partager équitablement la ressource entre plusieurs espèces pour maximiser les bénéfices de la biodiversité ? Ces résultats, publiés le 10 février dans la revue PNAS, montrent l’importance du partage équitable des ressources entre espèces pour maximiser le fonctionnement des écosystèmes.
Publié le 11 février 2021
Dans cette étude, les scientifiques ont analysé la manière dont la distribution de la ressource entre espèces (leur biomasse) impacte les grands cycles biogéochimiques1 ainsi que la décomposition de la litière (débris végétaux) et de la matière organique des sols. Faut-il favoriser une seule espèce au détriment des autres, ou bien, au contraire favoriser des écosystèmes où les ressources sont distribuées équitablement entre espèces afin de maximiser les bénéfices de la biodiversité ? Pour répondre à ces questions, les scientifiques se sont inspirés d’une méthode utilisée en économie, et notamment par les investisseurs sur les marchés financiers. Un investisseur peut en effet miser tout son argent sur une seule entreprise en bourse, ou le distribuer sous forme de petits investissements dans différents secteurs pour minimiser les risques.
Comment investir dans son écosystème ?
Pour tester leurs hypothèses, les chercheurs ont reconstitué 570 écosystèmes miniatures à partir de litière de feuilles de plus de 90 espèces provenant de six milieux écologiques différents, allant de la forêt tropicale à la toundra arctique en passant par des cortèges d’espèces cultivées (voir photo 1). Au sein de chaque écosystème, ils ont fait varier la biomasse disponible pour chaque espèce (la ressource) pour « manipuler » différentes facettes de la biodiversité :
- La dominance des espèces : en économie fait référence au secteur d’activité,
- La dispersion de la ressource : doit-on investir dans un cortège d’entreprises très différentes (variétés des espèces), ou se concentrer sur un secteur d’activité en particulier (favoriser une dominance) ?
- La rareté des espèces : doit-on réserver un peu d’investissement dans quelques start-ups émergentes ?
- L’équitabilité fonctionnelle : doit-on répartir équitablement ses investissements ou au contraire favoriser l’émergence d’une holding internationale ?
Les scientifiques ont ensuite suivi, en conditions contrôlées, la réponse des écosystèmes miniatures en mesurant de multiple fonctions écosystémiques comme la dégradation de la litière, la respiration des sols ou l’abondance et la diversité microbiennes des sols.
Partager équitablement pour maximiser le fonctionnement de son écosystème
L’étude montre qu’une distribution équitable de la ressource entre espèces va améliorer le recyclage de la litière et des nutriments, des paramètres clés de la fertilité des sols. Une forte équitabilité va également promouvoir l’abondance et la diversité microbienne des sols, tout en limitant la propagation des pathogènes pour les plantes. Enfin, l’étude suggère le rôle clé des espèces ayant des propriétés morphologiques et physiologiques rares. Par exemple, dans un écosystème dominé par des espèces de plantes ayant des feuilles coriaces, un petit fragment de feuille plus tendre va permettre aux microbes du sol d’obtenir l’énergie nécessaire pour initier la décomposition de la litière et ainsi permettre à l’écosystème de mieux fonctionner. Dans les six écosystèmes étudiés, très contrastés, les résultats montrent l’importance d’avoir une équité dans la répartition des différentes espèces de plantes et la présence d’espèces rares, suggérant qu’ils sont généralisables à différents contextes écologiques. Pour maximiser le fonctionnement des écosystèmes, on aurait donc intérêt d’une part à répartir de manière équitable ses investissements en évitant la formation de grosses entreprises (espèces dominantes) qui préempteraient l’ensemble des investissements, et d’autre part à favoriser l’émergence de quelques start-ups ayant des effets potentiellement favorables sur l’ensemble de l’écosystème.
La crise actuelle de la biodiversité causée par l'activité humaine est l'un des défis les plus importants auxquels la population mondiale est confrontée selon les agences internationales telles que la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et la FAO. Cette crise a donné lieu à une multitude d'études montrant l'importance de la biodiversité pour le fonctionnement des écosystèmes et les services qu'ils nous fournissent, par exemple la fertilité des sols, la régulation du climat ou la production alimentaire. Cette étude propose d’utiliser ces connaissances dans la gestion des écosystèmes et des systèmes agricoles grâce à l’identification des combinaisons d'espèces qui maximisent le fonctionnement des écosystèmes et limitent la propagation des pathogènes.
1 Un cycle biogéochimique est le processus de transport et de transformation cyclique d'un composé chimique, par exemple C, N, P, entre les grands réservoirs que sont les sols, l'atmosphère, l’eau et les tissus vivants associés à la biosphère
Référence Le Bagousse-Pinguet Y., Gross N., Saiz H., Maestre F.T., Maire, V. Deschamps L., Cornelissen, H., Dacal. M., Ruiz S., Asensio-Mansilla S., Gozalo B., Ochoa V., Milla R., Singh B., Garcia Izquierdo C., Garcia-Palacios P. Functional rarity and evenness are key facets of biodiversity to boost multifunctionality. DOI : 10.1073/pnas.2019355118 |