Alimentation, santé globale 10 min
Jeanne-Marie Membré, innover à grands pas
Férue de modélisation, Jeanne-Marie Membré a développé de nombreuses approches et outils pour évaluer, de manière quantitative, les risques et les bénéfices des aliments. Des travaux au service de la sécurité des aliments et de la santé des consommateurs pour lesquels elle reçoit le Laurier 2021 Innovation pour la recherche.
Publié le 28 novembre 2021
La recherche, savoir à quoi cela peut servir potentiellement
Sur les bords de Loire, Nantes. Son patrimoine culinaire vous emporte de l’entrée au dessert. Des mets qui sonnent bon, de la mâche au curé nantais en passant par le canard de Challans. Des aliments que Jeanne Marie Membré considère plutôt sous l’angle du risque, qu’il soit microbiologique, toxicologique ou encore nutritionnel. Une palette qu’elle explore depuis longtemps, innovant sans cesse pour mieux les évaluer. Un parcours à grandes enjambées, comme lorsqu’elle arpente les couloirs de l’unité.
La bonne personne, à la bonne place et au bon moment
Ingénieure agronome, Jeanne-Marie Membré intègre l’Inra, devenu depuis INRAE, en 1989. Tandis qu’elle prend ses marques dans ce qui était le Laboratoire de génie des procédés et technologie alimentaires en région Hauts-de-France, la jeune recrue d’alors prend part, de façon fortuite, à un dispositif national de formation dédié aux statistiques. FPSTAT vient de voir le jour, né du constat que beaucoup de publications institutionnelles sont à ce moment-là rejetées pour des insuffisances en matière statistique. « La chance de ma vie » reconnait Jeanne-Marie. Dans le même temps, émerge, dans l’Institut une nouvelle thématique, la microbiologie prévisionnelle.
Ni une, ni deux ! Jeanne Marie Membré s’y engouffre, en lien avec l’Institut Pasteur de Lille. De la modélisation à l’appréciation du risque au service de la sécurité des aliments et de la santé des consommateurs, cette thématique qu’elle fera évoluer sans relâche, ne la quittera plus.
Six mois en Australie lui permettent de consolider son expérience dans une équipe pionnière en matière de modèles prévisionnels. De retour en France, Jeanne-Marie Membré se voit confier les rênes du projet Sym’Previus. Un projet d’envergure nationale qui s’achève en beauté en 2003, avec la mise en ligne d’un logiciel d’aide à la décision en microbiologie et sécurité des aliments, basé sur la microbiologie prévisionnelle. Géré désormais par le Centre technique agroalimentaire - Adria de Quimper, il est à disposition des industriels.
Le bénéfice et le plaisir de travailler à l’échelle internationale
Un peu à l’étroit dans son labo d’origine, Jeanne Marie Membré change de cap et intègre un grand groupe industriel. La dimension internationale est omniprésente, les échanges en sont d’autant plus spontanés et le niveau scientifique est excellent. Jeanne Marie découvre le monde industriel… et ses contraintes. Fin 2009, elle fait ses valises, ce sera la recherche plutôt que les responsabilités managériales qu’on lui propose alors.
Des risques microbiens aux risques bénéfices de santé
Retour à INRAE où elle rejoint l’unité Sécurité des aliments et microbiologie - Secalim, en Pays de la Loire. La région plait à la fille du Nord qu’elle n’est plus vraiment, la liberté qu’on lui offre s’ouvre à elle comme un boulevard d’opportunités scientifiques. Elle en profite et fonce. Pendant plusieurs années, elle va travailler sur l’appréciation des risques microbiens dans les aliments avec des questions sous-jacentes à propos des jeux de données, leur analyse et leur utilisation au service des industriels, des experts et de la santé des consommateurs.
Faire du risque bénéfice de santé, c’est un schéma de pensée nouveau, c’est agréger des connaissances de différents domaines
2015, « stratégie de recherche ou recherche de stratégie », Jeanne-Marie Membré voit (encore) plus loin, s’intéressant à la façon dont elle pourrait quantifier la somme des risques et des bénéfices pour un aliment ou un groupe d’aliments. La notion de bénéfices risques de santé prend alors tout son sens.
Ses choix et son approche convainquent l’Institut comme les partenaires. Thèses et projets se multiplient. Jeanne Marie accumule les succès tout autant qu’elle agrège les risques, microbiologiques, toxicologiques et nutritionnels, pour mieux les hiérarchiser, sans oublier les bénéfices nutritionnels. Plus récemment, les dimensions environnementales et économiques s’ajoutent à cette évaluation santé. Une approche multicritères en phase avec les défis auquel le monde d’aujourd’hui est confronté et qu’elle décline sur fond de mathématiques et d’outils de modélisation.
« Quand on raisonne le risque pour le consommateur, la dimension nutritionnelle est loin d’être négligeable, alors pourquoi ne pas aller travailler directement avec les gens dont c’est le sujet » commente Jeanne-Marie Membré qui consacre désormais une (petite) partie de son temps à la nutrition humaine dans l’unité Physiologie de la nutrition et du comportement alimentaire (INRAE, AgroParisTech).
Des connaissances au service du bien commun
Logiciels, modèles, approches ou encore résultats chiffrés, les travaux et résultats de Jeanne-Marie revêtent de nombreuses formes, utiles aux scientifiques comme aux industriels ou encore aux pouvoirs publics quand ils ne sont pas intégrés dans des normes ISO ou discutés dans des journaux de vulgarisation scientifique destiné au grand public. Jeanne-Marie Membré partage aussi avec enthousiasme ses connaissances et son savoir-faire.
La scientifique est également experte au sein du comité d'experts spécialisé « Evaluation des risques biologiques dans les aliments » de l’Anses. Au Conseil scientifique de l’Actia, le Réseau français des instituts techniques de l’agro-alimentaire, elle évalue les structures de partenariats scientifiques et techniques que sont les unités et réseaux mixtes technologiques. Une activité d’autant plus captivante qu’elle lui donne à voir tout (ou presque) le paysage scientifique et technique.
Au cœur de l’Institut, Jeanne-Marie a notamment participé à plusieurs prospectives scientifiques interdisciplinaires (Gestion des risques naturels, alimentaires et environnementaux, Nexus Santé et Approches prédictives pour la biologie et l’écologie). Conduites sur la période 2017-2019, ces études ont permis d’anticiper les besoins de recherche d’INRAE et de nourrir le projet global d’établissement. Des contributions pour innover avec un pas d’avance…
Et après ?
« Demain, je pense que je bougerai encore » réfléchit Jeanne-Marie Membré à haute voix. Localisation, thématique… elle ne sait pas encore. Le côté sain et durable l’attire, apporter quelque chose aux autres et apprendre d’eux lui convient.Celle dont ses collègues disent qu’« elle dépote », parle avec mesure de son parcours : « une évolution constante mais sans rupture » de la microbiologie prévisionnelle à l’évaluation risques-bénéfices de santé en passant par l’appréciation des risques microbiens et qu’elle voudrait poursuivre tout en préservant un certain équilibre entre ses différentes activités.
Le Laurier INRAE ?
C’est à la faveur d’un appel téléphonique de Philippe Mauguin, que Jeanne-Marie apprend la nouvelle. Elle y voit la reconnaissance de son parcours, de sa contribution à l’innovation et de l’impact de ses travaux, scientifique, sociétal ou encore vis-à-vis des pouvoirs publics. « Très, très étonnée mais très, très contente » appuie-t-elle avec beaucoup d’enthousiasme.
Mini-CV
55 ans
- Parcours professionnel
Depuis 2010 : Ingénieure de recherche, UMR Sécurité des aliments et microbiologie (INRAE, Oniris), centre INRAE Pays de la Loire
2003-2009 : Unilever, Bedford (GB)
1989-2002 : Ingénieure de recherche, Laboratoire de Génie des procédés et technologie alimentaires, Villeneuve d’Ascq (59). - Formation
2012 : Habilitation à diriger les recherches, Univ. Bretagne occidentale - UBO
2011 : Doctorat en Sciences et techniques, UBO
1988 : Diplôme Ingénieure École nationale supérieure d'agronomie et des industries alimentaires, Nancy. - Loisirs : Bridge, badminton