Agroécologie 3 min

Les impacts du Green Deal européen dans le secteur agroalimentaire

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Des chercheurs d’INRAE ont analysé les impacts marchands et non-marchands de l’application du Pacte vert* sur le système agro-alimentaire européen. Les impacts positifs sur le climat, l’environnement et la santé pourraient être significatifs, à condition de jouer simultanément sur l’offre, les pertes et gaspillages et la demande alimentaire. Sa mise en œuvre pourrait engendrer de réelles difficultés, notamment sur le plan économique, qui ne doivent pas être sous-estimées. Cette analyse a été publiée dans la revue Communications Earth and Environment en octobre 2023 et dans La revue de l’OFCE le 15 février 2024.

Publié le 15 février 2024

illustration Les impacts du Green Deal européen dans le secteur agroalimentaire
© INRAE

Le système agroalimentaire européen a des impacts négatifs sur le climat, l’environnement et la santé. Le Pacte vert européen s’intéresse à ces enjeux avec une approche globale, en considérant l’ensemble de la chaîne alimentaire, de la ferme à l’assiette. La démarche vise notamment à développer une agriculture agroécologique (levier 1), réduire les pertes et gaspillages alimentaires (levier 2), et favoriser l’adoption de régimes alimentaires plus sains et plus durables (levier 3). Si le premier levier a fait l’objet de nombreuses recherches, visant notamment à caractériser ses effets sur le plan économique, les impacts marchands et non marchands des deux autres leviers ont été beaucoup moins étudiés. Dans ce contexte, des chercheurs d’INRAE ont analysé les impacts économiques (productions, échanges, consommations, prix, recettes agricoles et dépenses alimentaires) et non marchands (émissions de gaz à effet de serre, indicateurs de biodiversité et nutritionnels) de chacun des 3 leviers, considérés séparément ou mis en œuvre conjointement. Les simulations ont été réalisées à partir d’un modèle original du secteur agroalimentaire européen calibré sur les données des 3 années 2018, 2019 et 2020.

Si l’orientation prônée par le Pacte vert apparaît justifiée d’un point de vue environnemental et de santé publique, il ne faut pas sous-estimer les difficultés économiques qu’il soulève. En outre, les résultats des simulations montrent que les impacts marchands et non marchands seront sensiblement différents selon qu’un seul levier est actionné ou que les 3 leviers sont mis en œuvre simultanément.

Le seul levier de l’agroécologie conduit à des impacts économiques relativement modérés qui pourraient se gérer dans le cadre d’une transition progressive, mais au prix de bénéfices climatiques et écologiques alors amoindris, notamment par les fuites d’émissions et de dommages vers l’étranger du fait d’un accroissement des importations. Ce seul levier aboutirait à une augmentation modérée des dépenses alimentaires et aurait un impact indéterminé sur les revenus des producteurs agricoles selon les importances relatives de l’augmentation des prix et de la baisse des volumes produits.

L’utilisation simultanée des 3 leviers prévus par le Pacte Vert augmenterait sensiblement les bénéfices climatiques, environnementaux et nutritionnels confirmant, de ce point de vue, le bien-fondé d’une action sur l’ensemble de la chaine alimentaire. Une telle utilisation bénéficierait économiquement aux consommateurs européens, sous réserve d’une évolution importante des comportements de consommation. L’augmentation des dépenses alimentaires induite par la hausse des prix due à l’adoption de pratiques agroécologiques pourrait être ainsi compensée par le rééquilibrage des protéines végétales et des protéines animales dans les régimes alimentaires. Les impacts sur l’économie des filières animales seraient, pour cette raison, très négatifs sous le double jeu d’un effet quantité négatif et d’un effet prix négatif. La transition alimentaire se traduirait par un certain transfert de valeur, depuis les filières animales vers les filières végétales.

Des points de tension importants

Les chercheurs ont analysé les principaux points critiques que poserait la mise en œuvre du Pacte vert dans le secteur agroalimentaire.

Au titre des enjeux soulevés par la baisse de la production européenne induite par le développement des pratiques agroécologiques, ils abordent 3 questions, soit : l’existence d’une alternative à l’extensification de l’agriculture européenne, les rendements de l’agroécologie, et les tensions qui pourraient résulter de l’ambition de développer simultanément une agriculture agroécologique et l’agriculture biologique.

Au titre de la sécurité alimentaire européenne, ils examinent la manière de réduire la hausse des importations agro-alimentaires et les fuites de pollution vers l’étranger qui y sont associées. Ils abordent aussi la question de l’accès à des régimes sains et équilibrés pour tous les consommateurs européens, en particulier dans un contexte de fortes différenciations sociales des comportements et des pratiques alimentaires.

Les deux dimensions les plus complexes ont trait aux évolutions des comportements de consommation de produits alimentaires et au futur des productions animales. Sur la première dimension, il s’agit notamment d’analyser les politiques publiques de demande qu’il serait utile de mettre en œuvre pour faire évoluer les consommations dans un sens plus favorable à la santé et l’environnement. Dans cette perspective, les chercheurs soulignent la nécessité d’agir non seulement au stade de la consommation finale pour éviter une augmentation massive des importations mais aussi, simultanément, sur la qualité de l’offre alimentaire. Sur la seconde dimension, l’ampleur du choc fait que les filières animales, et les territoires où l’élevage est l’activité agricole dominante, ne pourraient pas s’adapter seuls. Des soutiens publics forts et ciblés seraient nécessaires.

Ils concluent en notant que toutes ces difficultés doivent être bien caractérisées, en considérant l’ensemble du système alimentaire, pour rendre possible un débat public qui reconnaît, à la fois, la nécessité de profondes transformations pour répondre aux enjeux environnementaux et de santé publique, mais aussi l’ampleur des enjeux économiques et sociaux que ces transformations soulèvent.

*L’UE souhaite faire de l’Europe le premier continent au monde neutre pour le climat avec un engagement au titre de la loi européenne sur le climat de réduire de 55% les émissions de GES d’ici 2030 par rapport à 1990. https://commission.europa.eu

Références
- Guyomard H., Soler L.-G., Détang-Dessendre C., Réquillart V. (2023). The European Green Deal improves the sustainability of food systems but has uneven economic impacts on consumers and farmer. Communications Earth & Environment 4, article number: 358, Published: 07 October 2023. doi.org/10.1038/s43247-023-01019-6

Guyomard H., Soler L.-G., Détang-Dessendre C. (2024). La transition du système agro-alimentaire européen dans le cadre du Pacte Vert : mécanismes économiques et points de tension. Revue de l’OFCE, 183. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/5-183OFCE.pdf

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