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Habiter en zone inondable : quelle prise en compte du risque lors des choix résidentiels des ménages ?

Le risque d’inondation est le risque naturel le plus répandu en France : 46 % des communes et 17 millions d’habitants y sont exposés, et les dommages économiques s’élèvent en moyenne à 1,3 milliard d’euros par an. Pourtant, de plus en plus de personnes choisissent d’acheter ou de louer leur résidence dans des zones à risque afin de bénéficier d’aménités naturelles ou urbaines et de prix immobiliers plus bas. Pour comprendre leurs motivations, les économistes d’INRAE, Katrin Erdlenbruch (CEE-M) et Serge Garcia (BETA), ont conduit deux études financées par la Fondation MAIF qui nous renseignent sur la façon dont le risque d’inondation est pris en compte dans les choix résidentiels des ménages de communes de l’arc méditerranéen français.

Publié le 20 février 2023

illustration Habiter en zone inondable : quelle prise en compte du risque lors des choix résidentiels des ménages ?
© C. Tailleux

Pourquoi acheter ou louer un bien immobilier situé en zone inondable ? Plusieurs explications sont possibles : les ménages pourraient mettre en balance les aménités et les risques, et donc négliger plus facilement les risques encourus ; ils pourraient préférer des biens immobiliers moins chers ; ils pourraient sous-estimer les risques encourus ; ils pourraient enfin ne pas craindre le risque tout en étant bien informés. Afin de mieux cerner le problème Katrin Erdlenbruch (CEE-M) et Serge Garcia (BETA) – chercheurs en économie à INRAE, ainsi que leur doctorant Boniface Derrick Mbarga (CEE-M), ont mobilisé deux approches complémentaires. Ils ont réalisé une étude dite de « prix hédoniques » qui permet de décomposer le prix du logement selon la valeur de ses caractéristiques. Ils ont également mené une expérience par les choix où les enquêtés devaient choisir parmi des logements lotis de différentes caractéristiques. Les deux études se sont intéressées à l’importance des différents attributs du logement : son prix, sa localisation en zone inondable ou pas, ainsi que d’autres caractéristiques comme la surface du logement, et la proximité d’aménités urbaines (équipements et services de centre-ville) et naturelles (la côte maritime, un site naturel attractif). Ces études ont permis d’estimer la valeur que les personnes accordent à une zone sans risque d’inondation en tenant compte des autres caractéristiques du logement. De plus, l’expérience par les choix a permis de tester la réaction des ménages à différents dispositifs d’information sur les inondations.

Les études ont porté sur sept communes françaises situées dans sept départements de l’arc méditerranéen. Pour l’étude des prix hédoniques, elles ont été regroupés en trois zones : Saint-Laurent de la Salanque dans les Pyrénées Orientales, Cuxac-d’Aude dans l’Aude, Lattes dans l’Hérault, et Sommières dans le Gard sont regroupées dans une zone « Occitanie » ; Roquebrune-sur-Argens dans le Var et Biot dans une zone « Var Alpes-Maritimes » ; et la commune d’Aubagne dans les Bouches-du-Rhône correspond à une dernière zone distincte.

Les deux études utilisent les données collectées fin 2019 et début 2020 dans une enquête quantitative auprès de 721 ménages habitants dans des communes soumises aux inondations le long de l’arc méditerranéen (voir carte ci-dessus). Les résultats présentés ici portent sur les 472 propriétaires de l’échantillon.

Les ménages cherchent à éviter les zones inondables pour leur lieu de résidence

Moins demandés, les logements en zone inondable sont de fait moins chers sur le marché immobilier que les biens hors zone inondable. L’étude des « prix hédoniques » permet de quantifier cet écart et atteste de la prise en compte du risque dans le prix immobilier de façon plus ou moins importante selon la zone d’étude. Ainsi, dans la zone « Occitanie » les logements en zone inondable sont 10 % moins chers et 21 % moins chers dans la zone « Var Alpes-Maritimes ». Cela correspond à une réduction du prix en zone inondable de 26 780 € dans le premier cas, et 74 305 € dans le second cas, pour des prix médians du logement respectivement de 260 000 € et 350 000 €.

Pour en savoir plus sur l’étude des « prix hédoniques » consultez la synthèse >>>

L’étude d’expérimentation par les choix confirme ce résultat. Elle montre que, selon la façon dont ils sont informés du risque, les ménages étudiés sont prêts à payer en moyenne entre 38 000 € et 77 000 € selon les hypothèses des modèles pour éviter de vivre en zone inondable. Cela correspond à entre 11 % et 22 % du prix du logement, dont la valeur moyenne dans l’échantillon est de 343 000 €.
Le risque d’inondation apparait ainsi comme ayant une valeur importante pour les résidents à côté d’autres caractéristiques du logement et de sa localisation, comme la proximité des aménités. De plus, les ménages qui disposent d’une information explicite et illustrée sur les conséquences négatives et les dégâts engendrés par les inondations, consentent à payer plus pour résider hors de portée des inondations, comparés à ceux qui sont simplement informés de la localisation du bien en zone inondable ou pas.

Pour en savoir plus sur l’étude d’expérimentation par les choix consultez la synthèse >>>

Mieux informer sur le risque d’inondation pour favoriser sa prise en compte dans les choix résidentiels

Alors que 53 % des personnes interrogées habitent dans une zone inondable selon le zonage des plans de prévention des risques d’inondation (PPRi), seulement 37 % l’ont déclaré lors de l’enquête. Cet écart indique que les ménages sous-estiment le risque qu’ils encourent ou n’ont pas conscience de leur situation. Il se pose alors la question de la meilleure façon d’apporter des informations sur le risque objectif encouru pour favoriser sa prise en compte lors des choix résidentiels. L’expérimentation par les choix apporte quelques premiers éléments de réponse. Ses résultats montrent que l’information générale, comme celle dispensée par les PPRi n’a pas d’impact significatif sur les choix résidentiels, alors que l’information acquéreur-locataire (IAL) – plus spécifique et personnalisée, joue dans le sens d’une plus grande prise de conscience du risque.
Les études réalisées par les chercheurs INRAE révèlent le besoin d’améliorer l’accès à l’information sur les risques d’inondation et posent la question des canaux de diffusion à mobiliser. Il s’agit de fournir une information individualisée et concrète, films ou photos à l’appui, sans générer un coût important pour les collectivités. Les chercheurs proposent plusieurs pistes. L’IAL qui touche directement les nouveaux habitants pourrait être améliorée grâce à la formation des agents immobiliers et municipaux de façon à ce qu’ils puissent apporter une aide à l’interprétation aux nouveaux résidents. Il est aussi essentiel de s’assurer que l’IAL intervienne bien en amont de la signature des contrats, pour laisser aux acquéreurs et locataires le temps d’assimiler cette information. Un autre type d’actions à promouvoir, bien que moins individualisées et ne pouvant atteindre les futurs habitants, relève de la politique d’information du citoyen développée par les communes et leurs syndicats de bassin versant. Il s’agit notamment d’expositions de photos ou de récits filmés réalisés dans le cadre de programmes d’action pour la prévention des inondations (PAPI), ou encore d’activités pédagogiques dans les écoles et les collèges qui pourraient être élargies pour cibler également les adultes, par exemple au travers des activités organisées sur les marchés ou lors des manifestations festives locales. Enfin, les assureurs pourraient jouer un rôle dans l’information individualisée sur le risque, par exemple en rappelant les informations de l’IAL dans leurs contrats, en majorant leurs tarifs en zones à risque et en portant cette information tarifaire à connaissance des acheteurs au même titre que l’IAL.

A PROPOS DE LA FONDATION MAIF POUR LA RECHERCHE

  

Consultez le site web de la Fondation MAIF >>>

 

 

 

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