Biodiversité 8 min

Le génome d'un poisson « ancien » séquencé

Le séquençage du génome du Sterlet, petit esturgeon d’Europe, a permis de mettre en évidence un mécanisme original de l’évolution du génome. Ce séquençage permet également de franchir une étape importante dans la gestion des populations d’élevage.

Publié le 26 mai 2020

illustration Le génome d'un poisson « ancien » séquencé
© INRAE

Les esturgeons appartiennent à une famille de poissons extrêmement ancienne. Leur apparition est ainsi antérieure à celle des 30 000 espèces de poissons osseux (téléostéens) actuels,  donc de plus de 96 % de toutes les espèces de poissons vivants et d'environ la moitié de toutes les espèces de vertébrés connues.
 Les chercheurs ont  séquencé, assemblé et annoté le premier génome de référence de haute qualité pour une espèce d’esturgeon chez le sterlet (ou Esturgeon du Danube), Acipenser ruthenus. Ils ont ensuite pratiqué une analyse phylogénétique * de ce génome.

Une duplication du génome il y a 180 millions d'années !

Les résultats de ce travail montrent, entre autres, que les esturgeons ont bifurqué sur leur propre branche évolutive au cours du Dévonien supérieur ou du Carbonifère, il y a environ 345 millions d'années.  
Les analyses réalisées ont révélé que le génome du sterlet comprend 60 paires de chromosomes, environ 47 500 gènes codant pour des protéines et 1,8 milliard de paires de bases. Les chercheurs ont également montré que le sterlet a dupliqué son génome il y a environ 180 millions d'années, durant le jurassique. Ainsi l'espèce est passée d’un statut dit diploïde (2 ensembles de chromosomes), à un statut tétraploïde (4 ensembles de chromosomes). Cette tétraploïdie issue d’une duplication complète du génome n'est pas une surprise : de tels processus ont eu lieu à plusieurs reprises au cours de l’évolution des vertébrés ; ils ont eu un impact majeur sur l'évolution de leur génome. Les ancêtres de l’ensemble des vertébrés actuels ont ainsi tous déjà subi deux fois une "duplication complète de leur génome entier" au cours de leur histoire évolutive. Et certaines espèces sont passées par ce processus jusqu'à trois, quatre voire six fois chez certaines espèces d’esturgeons. Pour le sterlet, cela n’est intervenu qu’une fois et vraiment très tôt dans son histoire évolutive. Ce qui est encore plus surprenant est que malgré la très longue période qui s’est écoulée depuis, une large portion de son génome dupliqué est restée inchangée. En effet, chez beaucoup d’organismes tétraploïdes, la plupart des segments de gènes dupliqués évoluent rapidement après la duplication, en étant soit perdus, soit réduits au silence, ou bien acquièrent une nouvelle fonction avec le temps.

Un mécanisme dit de « rediploïdisation segmentaire »

Le statut génomique exact de l’esturgeon a longtemps été controversé. Alors que certains chercheurs le pensait polyploïde, donc  dupliqué plusieurs fois, d'autres interprétaient l'esturgeon comme un "diploïde fonctionnel", c'est-à-dire une espèce qui a dupliqué son génome, passant par un stade transitoire de tétraploïde, mais qui a ensuite fait évoluer son génome par un phénomène que l’on appelle la rediploïdisation. Ce phénomène implique une évolution divergente de la séquence et de la structure des segments dupliqués, incluant des pertes de gènes ou des évolutions de leurs fonctions.
En réalité, le sterlet n'est pas complétement revenu à l'état de diploïde fonctionnel. Il a au contraire conservé un degré étonnamment élevé de tétraploïdie structurelle et fonctionnelle qui peut être attribuée à la lenteur de l'évolution moléculaire de son génome. Mais curieusement, il semble que ce phénomène de rediploïdisation n’ait pas affecté le génome du sterlet de façon homogène : on note en effet des pertes apparemment aléatoires de chromosomes entiers dupliqués : un processus original et intriguant qui est appelé rediploïdisation segmentaire.

Les recherches en génétique pour mieux gérer les espèces

Le séquençage des génomes constitue une étape préalable importante pour de nombreuses applications pratiques, comme le suivi génétique des populations d’espèces protégées d'esturgeons sauvages ou encore un meilleur contrôle de la reproduction ou de la production de caviar en élevage. Ce premier séquençage de haute qualité de l’esturgeon va donc permettre de mieux gérer ces espèces anciennes, improprement mais souvent considérées comme des « fossiles vivants ».

 

*La phylogénie correspond à l'étude des liens existant entre espèces apparentées. Grâce à elle, il est possible de retracer les principales étapes de l'évolution des organismes depuis un ancêtre commun et ainsi de classifier plus précisément les relations de parentés entre les êtres vivants.

Ce travail est le fruit d’une collaboration internationale à laquelle ont participé des laboratoires INRAE de Rennes (Laboratoire de Physiologie et de Génomique des Poissons) et de Toulouse (Equipe SIGENAE et Plateforme Get-PlaGe)

Sylvie André rédactrice

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