Société et territoires 6 min
Exposition « Cheval en majesté » : au coeur des émotions animales
En résonance avec les épreuves équestres des Jeux de Paris 2024, le château de Versailles présente du 2 juillet au 3 novembre 2024 une grande exposition, la première de cette ampleur, consacrée au cheval et à la civilisation équestre en Europe.
Publié le 25 juillet 2024
Un article à lire sur le site de The Conversation.
Accompagnant les diverses évolutions de la civilisation occidentale, mais aussi son imaginaire, le cheval est, à toutes les époques, un miroir de son temps, mais aussi un double des puissants qu’il accompagne dans leur conquête du monde, faisant du roi-cavalier un héros légendaire. En rassemblant près de 300 œuvres, l’exposition permet de porter un regard neuf et global sur cet animal au statut particulier. Léa Lansade, directrice de recherche en éthologie à INRAE, est spécialiste de la cognition et des émotions animales, en particulier des chevaux. Elle nous raconte sa visite de l’exposition.
La galerie qui nous accueille donne le ton, avec des portraits monumentaux de chevaux plus grands que nature, représentés pour eux-mêmes, sans cavaliers. Ces tableaux du XVIIe siècle représentent entre autres les chevaux préférés de Charles XI de Suède. Honorés comme les « grands hommes » cette façon de magnifier les chevaux dit quelque chose de leur importance dans l’histoire, mais aussi de leur statut très particulier, de leur long compagnonnage avec les humains et de la relation privilégiée qui nous lie à eux. Déjà dans l’art pariétal, c’est l’animal qui était le plus souvent représenté par nos ancêtres !
Il existe même une forme de « culte » autour de cet animal, ce dont témoigne le superbe portrait équestre de Léoplold de Médicis (présenté très théâtralement au fond de la galerie des Glaces) par le Flamand Justus Sustermans, l’un des grands peintres de la cour de Toscane au début du XVIIe siècle (voir ci-dessous).
La toile date de 1623. La jument andalouse à la longue crinière ondulée, majestueuse et splendide, est sans conteste la protagoniste du tableau, tandis que le prince paraît minuscule et fragile sur son dos. Habituellement, les enfants posaient plutôt sur le dos d’un poney ou d’un cheval de petite taille : l’image est hors du commun. À sa mort, la crinière de la jument a été conservée précieusement dans un coffre, tandis que sa peau a été placée sur un cheval de bois. Aujourd’hui encore, ce rapport d’admiration et de culte existe toujours. Les gradins des épreuves équestres des JO que l’on aperçoit à travers les fenêtres de la galerie des Glaces nous rappelle l’histoire de Jappeloup, ce cheval champion olympique de saut d’obstacles en 1988, aujourd’hui enterré dans la propriété de son cavalier Pierre Durand et qui a fait l’objet d’un film éponyme à succès.
Ce qui me fascine dans ce portrait de Leopold de Medicis sur sa jument, mais aussi dans une très grande majorité des œuvres exposées, c’est la véracité des expressions faciales des chevaux, même si elles sont parfois exagérées pour les besoins de la dramatisation picturale.
Le réalisme anatomique est impressionnant : on peut détailler chaque groupe de tendons et de muscles. Je suis sensible à cela, car il s’agit de mon sujet de recherche actuel. En effet, le cheval a une musculature de la face quasiment aussi complexe que la nôtre, ce qui lui permet tout comme nous d’exprimer ses émotions grâce à une large gamme d’expressions faciales. Le but de nos recherches est de décrypter ces expressions pour tenter de pénétrer leur monde intérieur et de saisir la profondeur de leurs émotions. Nous nous basons pour cela sur un système appelé FACS « (Facial Action Coding System »), un outil d’observation scientifique qui permet d’identifier et de coder les mouvements de chaque muscle présent sur la tête de l’animal (« Unités d’Actions Faciales »).
Nous relions ensuite les réseaux d’activation de ces Unités d’Actions avec les différentes émotions du cheval : anticipation positive, frustration, peur, etc. Dans les portraits de chevaux présentés ici, que l’on a la chance de pouvoir observer au plus près, je retrouve une précision quasi scientifique dans les expressions des chevaux ! C’est absolument étonnant.
Les peintres, fins observateurs de l’animal
J’ai grandi avec une mère peintre, et je le vérifie devant les chefs-d’œuvre picturaux de l’exposition : les peintres sont les premiers éthologistes, par leur sensibilité particulière et leur capacité à observer finement et reproduire fidèlement les expressions animales. S’ils aiment tant peindre les chevaux, c’est aussi parce que ces derniers sont très expressifs ; et puis par leur élégance, leur esthétisme, l’harmonie de leurs proportions, ce sont de merveilleux modèles.
Si l’objectif diffère, le travail de l’éthologiste et celui du peintre reposent en partie sur le même type d’observation. J’ai d’ailleurs dans mon bureau des reproductions de peintures de Degas, Stubbs, Toulouse-Lautrec et de dessins de Léonard de Vinci qui montrent justement ces détails expressifs si caractéristiques du cheval ; ils me servent d’inspiration, par leur justesse.