Société et territoires 4 min

Évaluer ses impacts, une expression de la responsabilité sociale et environnementale de la recherche publique

À l’occasion de la publication en 2016 du 9e avis du comité d’éthique Inra-Cirad sur les enjeux éthiques de l’évaluation des impacts de la recherche agronomique, François Houllier, PDG de l’Inra de 2012 à 2016, souligne l’engagement de l’Inra dans ce domaine, qui s’attache à évaluer ses impacts non seulement économiques mais aussi environnementaux, sociaux, politiques et territoriaux.

Publié le 17 mai 2016

© INRAE

À la suite d’une saisine conjointe par les présidents de l’Inra et du Cirad, le Comité consultatif commun de la recherche agronomique vient d’adopter un nouvel avis qui porte sur les enjeux éthiques de l’évaluation des impacts de la recherche. Particulièrement utile à l’Institut, cette réflexion vient enrichir et compléter les travaux que ce dernier a conduits depuis 2010 sur ce sujet qui fait l’objet d’une attention renouvelée sur un plan international.

Rendre compte des impacts socio-économiques des activités de recherche, notamment à l’égard de la puissance publique et des citoyens, est naturellement attendu lorsque ces activités sont principalement financées par une subvention pour charges de service public attribuée par l’État. Cette attente légitime est d’autant plus vive que le contexte budgétaire est contraint et que la recherche est appelée à relever des grands défis sociétaux ou à contribuer à l’innovation.

Telle qu’exprimée dans les statuts de l’Institut, notre ambition est de maintenir un équilibre entre des recherches suscitées par la curiosité ou portées par le mouvement interne de la science dans le domaine de l’alimentation, de l’agriculture, de l’environnement et des sujets qui leur sont liés, et des recherches guidées par des finalités sociétales ou orientées vers l’appui aux politiques publiques et l’innovation. Dans ce cadre, l’évaluation des impacts contribue à mieux connaître et faire connaître l’utilité sociale de la recherche publique agronomique.

Évaluer les impacts de la recherche : une méthode originale mise en place à l’Inra

Trop souvent, l’évaluation de la recherche est réputée se réduire à la seule caractérisation de sa production primaire : l’acquisition de nouvelles connaissances scientifiques et leur publication dans des revues internationales. Le besoin d’une évaluation plus complète des activités des chercheurs et des collectifs scientifiques — les unités, les départements, jusqu’à l’institut dans sa globalité —, qui reconnaisse leurs contributions en matière d’expertise, de formation, de transfert ou d’innovation, s’est renforcé depuis une dizaine d’années. Au sein du groupe Erefin (évaluation de la recherche finalisée), l’Inra a œuvré activement sur cette question, avec l’objectif de dessiner une cartographie des activités et de leurs produits à l’échelle d’une unité de recherche, et de proposer des critères pour les évaluer.

Avec la base de données Zoom, l’Inra a mis en place un répertoire de faits marquants qui rassemble, depuis 1996, plus de 1000 fiches qui illustrent l’intérêt des recherches de l’Institut hors de la sphère purement académique. Les informations contenues dans Zoom ne permettent cependant pas de juger de l’importance des bénéfices pour la société. Suivant les recommandations du comité international qui a évalué l’Institut en 2009, l’Inra s’est donc engagé dans une réflexion méthodologique visant à mieux évaluer les impacts socio-économiques de ses recherches.

L’état de l’art scientifique sur cette question distingue deux grandes catégories d’approches : d’une part, les approches économiques globales dont l’objectif est d’estimer le taux de retour sur les investissements en recherche ; d’autre part, les approches par études de cas permettant une compréhension fine des mécanismes qui engendrent les impacts. L’Inra a choisi de développer ces deux types d’analyse, qui sont complémentaires par leurs atouts et leurs limites. La mesure de l’impact économique de l’ensemble de la recherche sur la productivité agricole française montre ainsi que le retour sur l’investissement en recherche-développement a été d’environ 30 % sur la période 1945-2012. Par ailleurs, la méthode Asirpa (analyse socio-économique des impacts de la recherche publique agronomique), développée par l’Inra, repose sur une standardisation de la conduite d’études de cas : elle permet non seulement l’analyse contextualisée de la circulation et de la transformation des connaissances au sein des réseaux d’acteurs mais aussi d’appréhender la diversité des impacts (économiques, environnementaux, sociaux, politiques, territoriaux…) de la recherche agronomique. La démarche Asirpa procède d’une analyse rétrospective remontant des impacts observés par les utilisateurs socio-économiques vers les activités de recherches en amont : cette méthode d’analyse inverse en constitue l’une des originalités.

La devise de l’Institut « Science et Impact » illustre sa responsabilité sociale

Le Comité d’éthique rappelle que « Rendre compte des impacts socio-économiques des activités d’organismes de recherche finalisée est légitime puisque ces organismes ont été créés pour produire des connaissances qui répondent à des défis économiques et sociétaux ». Il précise toutefois que « lorsque la science vise l’utilité sociale, elle ne peut pas faire abstraction de la connaissance fondamentale. » Ce point est d’autant plus important que les études de cas de l’étude Asirpa ont montré que le délai moyen entre le début des recherches et l’impact avéré dans la société (chez les consommateurs, dans les fermes, dans les entreprises ou dans les politiques publiques) est long (une petite vingtaine d’années) et que les recherches ont eu d’autant plus d’impact (quel que soit la nature de celui-ci) qu’elles s’étaient appuyées sur des connaissances fondamentales.

c’est une part de la responsabilité des chercheurs que de mesurer les conséquences de leur travail et d’en évaluer les risques

 Le Comité d’éthique indique par ailleurs que « l’évaluation des impacts de la recherche constitue un enrichissement conceptuel qui n’altère en rien la liberté de chercher » et que, de fait, « la mise en œuvre du processus d’évaluation des impacts de la recherche apporte une nouvelle dimension à la recherche finalisée ». En somme, une recherche belle et utile, mais aussi partagée, car c’est l’un des fondements des bonnes pratiques d’évaluation des impacts que de s’appuyer sur l’observation des utilisateurs et la contribution des partenaires. Le Comité d’éthique estime ainsi que « l’évaluation des impacts bénéficierait d’une approche méthodologique mobilisant des collectifs de recherche, des partenaires, mais aussi des représentants de la société civile, avec l’objectif de comprendre et d’évaluer les impacts positifs et négatifs engendrés par les recherches. »

Le Comité d’éthique indique enfin que « c’est une part de la responsabilité des chercheurs que de mesurer les conséquences de leur travail et d’en évaluer les risques. […] L’évaluation des impacts de la recherche, conçue au bénéfice d’une délibération pluraliste, constitue alors une prise en compte collective de l’intérêt général. »
Cet avis vient ainsi compléter et remettre en perspective les résultats du projet Asirpa et les débats engagés sur ce sujet, en Conseil scientifique puis en Conseil d’administration (en septembre, puis octobre 2013). Il fournit aussi des éléments pour poursuivre la réflexion, ce à quoi, de façon indépendante, nous invite le HCERES dans son évaluation de l’Inra en 2015.

Un ultime avis du Comité d’éthique Inra-Cirad

Par ailleurs, cet avis n° 9 clôt l’ensemble des analyses du Comité d’éthique Inra-Cirad : à partir de cette année, celui-ci s’ouvre en effet à l’Ifremer. Cette évolution du périmètre institutionnel du Comité d’éthique coïncide avec la fin de la contribution dans cette instance de six membres qui ont achevé huit années d’un double mandat : le Président Schweitzer, Mesdames Benaboud et Duboc, Messieurs Bursztyn, Toulouse et Vermersch. Au nom de l’Institut, je les remercie chaleureusement, ainsi que Pierre-Henri Duée, pour leur investissement réflexif au bénéfice de la direction de l’Institut et de l’ensemble de ses personnels et de ses partenaires.

Le Président Schweitzer rappelle à cet égard que « les réflexions du Comité d’éthique ont toujours été conduites avec l’objectif d’apporter un éclairage faisant appel à la responsabilité de la recherche. » Ce dernier avis illustre parfaitement ces propos et incite vivement à mieux partager les recommandations du Comité au sein de notre communauté et de nos collectifs de travail.

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Comité d'éthique Inra-Cirad

Le 9e et dernier avis du comité d’éthique Inra-Cirad traite de l’évaluation des impacts de la recherche publique agronomique. Cette évaluation contribue à l’expression de la responsabilité sociale et environnementale pour les instituts de recherche publique.

Vers l'avis

François HoullierPDG de l'Inra entre 2012 et 2016

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