Agroécologie Temps de lecture 4 min
Évaluation multicritère de la durabilité de systèmes en agriculture de conservation
Des systèmes mobilisant les principes de l’agriculture de conservation en France et à Madagascar fournissent, par comparaison avec les systèmes conventionnels labourés, de meilleures performances environnementales, avec une attractivité économique comparable, mais avec un « coût » social.
Publié le 08 janvier 2020

Les chercheurs (1) ont évalué la contribution au développement durable d’une diversité de systèmes de culture utilisant du travail superficiel (TCS) avec et sans couverts, ou mobilisant l’ensemble des principes de l’agriculture de conservation (ACS). Une comparaison a été faite avec des systèmes analogues mais pratiquant le labour.
La méthode d’évaluation multicritère utilisée, appelée MASC®, analyse trois grandes composantes de la durabilité : environnementale, économique et sociale. Cette méthode permet aussi de prendre en compte les préférences des acteurs.
Systèmes sans labour : environnement ≥ économie > social !
Les résultats convergent, malgré les différences entre les deux pays : pour les deux séries de systèmes qui ont été évalués, les performances environnementales des systèmes sans labour (TCS et ACS) sont meilleures que celles des systèmes avec labour, tandis que les performances économiques sont comparables. En revanche, les systèmes sans labour en semis direct sous couverts sont moins performants pour les aspects sociaux, ce qui peut s’expliquer par leur plus grande complexité de mise en œuvre (gestion des couverts) et par le risque sur la santé des travailleurs, occasionnés par l’utilisation plus fréquente de produits phytosanitaires dans certains systèmes.
« Mais attention, tempère Frédérique Angevin, ces résultats d’évaluation ne sont valables que dans les cas où l’on réussit à optimiser les couverts dans les systèmes sans labour, grâce à des rotations longues et à un choix judicieux des cultures intermédiaires. C’est seulement à cette condition que ces systèmes donnent leur pleine mesure environnementale, grâce à un bon stockage de la matière organique dans le sol, à la préservation de la faune favorable du sol, à l’économie de ressources fossiles ou à la maîtrise de l’érosion. »
L’intérêt de l’évaluation multicritère
Le modèle utilisé apporte une solution d’ordre qualitatif à la problématique de l’évaluation multicritère. À savoir la difficulté de porter un jugement global sur un système de culture caractérisé par de multiples indicateurs disparates, allant par exemple de la qualité du milieu (sol, air, eau), à la productivité et à la santé de l’agriculteur… C’est tout l’intérêt du modèle MASC®, mis en œuvre grâce au logiciel DEXi.
Trois piliers de la durabilité: environnementale, économique et sociale.
39 critères sont répartis selon les trois piliers de la durabilité - environnementale, économique et sociale - sous forme d’un arbre hiérarchique qui permet de pondérer leur importance dans l’évaluation finale. « Nous avons hiérarchisé les différents critères en concertation avec les acteurs. Il est ensuite possible d’analyser la note de durabilité totale, mais aussi toutes celles attribuées aux différents critères composant l’arbre. Cela permet de discuter des points forts et faibles d’un système et de déterminer quels sont les leviers potentiels de changement pour l’agriculteur » explique Frédérique Angevin.

En France, l’évaluation a porté sur 33 systèmes de culture existants dans dix départements, en labour, travail superficiel avec ou sans couverts (TCS) ou semis direct sous couverts (ACS), avec ou non une exploitation optimale de la multifonctionnalité des couverts. À Madagascar, huit systèmes de culture ont été évalués, trois en labour, deux mixtes (mélange labour et semis sous couvert), trois en semis sous couvert.
France et Madagascar : deux conceptions différentes de la durabilité
« MASC reflète aussi la part de subjectivité associée au concept de contribution au développement durable. Quand on regarde les deux modèles d’évaluation pour la France et pour Madagascar, on voit qu’ils traduisent les préoccupations des acteurs et finalement, deux conceptions différentes de la durabilité. Le modèle français comporte beaucoup plus d’indicateurs environnementaux, ainsi que des indicateurs de qualité des produits ou de contribution à l’emploi, qui répondent aux attentes de la société française. Le modèle malgache (MASC-Mada) est plus simple, avec des indicateurs moins précis, et plus d’indicateurs économiques qu’environnementaux, car il s’agit avant tout pour les producteurs d’assurer la survie de leur exploitation d’une année sur l’autre » poursuit la chercheuse. Le modèle malgache comporte aussi des indicateurs spécifiques, comme la fréquence de culture du riz ou l’aléa de divagation des animaux.
« Au final, ce type de modèle inclut à la fois des indicateurs calculés et des indicateurs qualitatifs, mais son estimation finale de la durabilité est d’ordre qualitatif et permet de comparer les systèmes de culture. C’est aussi un modèle très pédagogique, visuel, qui a bien diffusé parmi les partenaires agricoles » conclut Frédérique Angevin.
Pour télécharger MASC® et sa documentation, c'est ici.
Voir aussi le cours en ligne issu du projet PEPITES.
- Dans le cadre du programme ANR PEPITES (2009-2013) dédié à l’agriculture de conservation). Partenaires : INRAE, Vivescia, Cetiom, Isara Lyon, Chambres d’agriculture de Dordogne et de l’Eure, Cirad, Fofifa, Université d’Antananarivo.
La méthode d’évaluation multicritère MASC® permet d’évaluer des systèmes existants mais aussi d’aider à la conception de nouveaux systèmes. Ainsi, en Champagne-Ardenne, les chercheurs et les agriculteurs ont conçu des systèmes qui mobilisent les principes de l’agriculture de conservation pour diminuer le recours aux ressources fossiles tout en préservant le revenu des agriculteurs. Ce travail de conception s’est appuyé sur l’évaluation de systèmes existants dans deux zones de collecte de la coopérative Vivescia (1).
Une autre étude conduite en Rhône-Alpes et Auvergne (2) a permis de concevoir des prototypes de systèmes combinant agriculture de conservation et agriculture biologique.
(1) Projet ADEME Sysclim (2009-2016), INRAE, coopérative Vivescia. Référence : Angevin, F., Colnenne-David, C., Jeuffroy, M.H., Pelzer, E., Doré, T., 2016. Vers des systèmes de grande culture moins dépendants des énergies fossiles. Agronomie, environnement et sociétés 6, 66-76. Lien
(2) Programme ANR PEPITES (2009-2013). Référence : Peigné, J., Lefèvre, V., Craheix, D., Angevin, F., Capitaine, M., 2015. Évaluation participative de prototypes de systèmes de culture combinant agriculture de conservation et agriculture biologique. Cahiers Agricultures 24, 134-141. Lien
Craheix, D., Angevin, F., Bergez, J.E., Bockstaller, C., Colomb, B., Guichard, L., Reau, R., Doré, T., 2012. MASC 2.0, un outil d’évaluation multicritère pour estimer la contribution des systèmes de culture au développement durable. Innovations Agronomiques 20, 35-48. Lien
Sester, M., Craheix, D., Daudin, G., Sirdey, N., Scopel, E., Angevin, F., 2015. Évaluer la durabilité de systèmes de culture en agriculture de conservation à Madagascar (région du lac Alaotra) avec MASC-Mada. Cahiers Agricultures 24, 123-133. Lien
Craheix, D., Angevin, F., Doré, T., de Tourdonnet, S., 2016. Using a multicriteria assessment model to evaluate the sustainability of conservation agriculture at the cropping system level in France. European Journal of Agronomy 76, 75-86. Lien