Agroécologie 5 min
Emmanuelle Jacquin-Joly, l’odorat, le sens de l’imagination
Depuis plus de 28 ans, Emmanuelle Jacquin-Joly, directrice de recherche à INRAE (anciennement Inra), n’a cessé de s’intéresser aux insectes et aux odeurs. Si le lien entre les deux est évident, puisque les insectes utilisent leur flair pour analyser leur environnement, se nourrir et se reproduire, le mélange peut être également détonnant lorsque les cultures ont à en pâtir !
Publié le 06 juin 2019
Quelques 80 publications dans des revues scientifiques internationales, pas moins de 12 chapitres d’ouvrages et deux brevets, voici en quelques chiffres un bref aperçu de la carrière d’Emmanuelle Jacquin-Joly, en charge du département d’Écologie sensorielle de l’Institut d’Écologie et des sciences de l’environnement de Paris (1).
Cherchant à mieux comprendre les mécanismes physiologiques et moléculaires de la communication chimique entre insectes et odeurs, Emmanuelle Jacquin-Joly ambitionne, à terme de pouvoir modifier les comportements notamment olfactifs et contribuer au développement du biocontrôle des insectes néfastes. Elle ne compte (presque) plus ses victimes : papillons de nuit, comme les noctuelles ravageuses de culture, punaises hématophages vectrices de maladies ou encore vers à soie ou drosophiles.
Des substances chimiques odorantes…
Combiner passion et devoir
Emmanuelle Jacquin-Joly s’est d’abord intéressée aux phéromones sexuelles, des substances chimiques qu’émettent notamment les femelles de papillons pour attirer les mâles en vue de se reproduire, explorant leur biosynthèse et sa régulation. Elle se tourne ensuite vers les mécanismes de la réception des signaux olfactifs, un champ de recherche alors prometteur dans la perspective d’agir sur les comportements des insectes. Par des approches innovantes en transcriptomique, elle identifie les premiers récepteurs olfactifs de noctuelles. Puis c’est toute la chaine de transport et de détection des odeurs dans les antennes des insectes qu’elle analyse, des protéines de transport aux enzymes de dégradation.
Progressant dans les nombreux méandres de la communication olfactive des insectes, Emmanuelle et son équipe découvrent de nouveaux paradigmes, comme la reconnaissance des phéromones sexuelles par les chenilles pourtant immatures, qui les détourneraient de leur fonction première pour chercher leur nourriture. Un large éventail de champs potentiels d’exploration s’offre alors à nos scientifiques.
Choisir, c’est renoncer ? Pas vraiment. Pour Emmanuelle Jacquin-Joly, décider de s’intéresser aux récepteurs olfactifs des insectes, c’était alors combiner passion et devoir, c’était faire résonner des recherches et travaux d’équipe avec les objectifs de l’Institut. De la neurobiologie à l’agronomie, du gène au comportement, l’identification et la caractérisation des récepteurs olfactifs s’est en effet imposé à elle comme un enjeu majeur dans la mesure où ils constituent des cibles pertinentes pour mettre au point ou optimiser des stratégies de lutte destinées à réduire les effets néfastes des insectes.
… à l’adaptation des insectes à leur environnement
Ces dernières années, avec son équipe, Emmanuelle Jacquin-Joly a développé des approches fonctionnelles pour comprendre le rôle de ces récepteurs olfactifs dans les choix que font les insectes. Identification du premier récepteur aux phéromones chez le carpocapse des pommes ou chez la noctuelle du coton Spodoptera littoralis; détermination chez cette dernière du premier répertoire de récepteurs olfactifs et des odorants qui les activent, ou encore démonstration de l’efficacité du système d’édition du génome CRISPR/Cas9 chez cette même noctuelle, c’est dans tous les cas une expertise qu’elle s’est forgée et qui a suscité de multiples collaborations en France comme à l’international, tout comme l’intérêt des professionnels notamment dans des perspectives de biocontrôle.
Parce que l’évolution du système chimiosensoriel des insectes a pu être le moteur de leur adaptation, Emmanuelle s’intéresse depuis peu à sa contribution au changement d’hôte, à l’adaptation aux pressions anthropiques ou aux invasions dans la perspective de mieux prédire tout cela. Génomique et bioinformatique sont ici de précieux alliés. En 2017, c’est le génome des noctuelles du genre Spodoptera et Helicoverpa qui est séquencé et analysé, révélant des expansions de gènes chimiosensoriels remarquables, probablement liées au régime alimentaire polyphage de ces insectes voraces.
Recherche, enseignement, formation, la chercheuse a plus d’une corde à son arc. Plus encore, parce que les insectes ravageurs n’ont pas de frontières, son quotidien scientifique s’ouvre plus que jamais à l’international. Projets, consortiums, réseaux, congrès et autres sont autant d’opportunités au cours desquelles son expertise est appréciée. Et même si elle prend aujourd’hui grand plaisir à motiver ses collègues, piloter et gérer des projets de recherche, elle tient à garder le contact avec la paillasse, faisant sienne cette bien jolie phrase de Jean-Henri Fabre, entomologiste passionné de nature. « Ces merveilles m'étaient connues par la lecture ; mais voir, de ses propres yeux voir, et du même coup expérimenter un peu, c'est bien autre chose. » (2)
(1) IEES Paris (Inra, CNRS, Sorbonne Université, IRD, UPEC, Université Paris Diderot).
(2) Les « Souvenirs entomologiques » représentent l'œuvre maîtresse de l'entomologiste Jean-Henri Fabre (1823-1915).
- 52 ans
- Depuis 2014 : directrice du département d’Écologie sensorielle de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris – IEES Paris (Inra, CNRS, Sorbonne Université, IRD, UPEC, Université Paris Diderot)
- Depuis 2006 : directrice de recherche - Inra
- 1994 : chargée de recherche - Inra
- 1989 : attachée scientifique - Inra
- 2005 : habilitation à diriger des recherches – Université Pierre et Marie Curie, Paris
- 1992 : doctorat - Institut national agronomique Paris-Grignon et Univ. Cornell (USA)
- 1992 : master Biochimie des protéines - Institut Pasteur, Paris
- 1989 : ingénieur agronome, spécialité Protection des cultures - Institut national agronomique Paris-Grignon