Alimentation, santé globale 5 min

Pour que durent les résistances

Les interactions entre un hôte et ses pathogènes font appel à des mécanismes très complexes, que les chercheurs s’attachent à décrypter. Cette étape est essentielle pour développer des méthodes de lutte contre les bioagresseurs, et pour aider la plante ou l’animal à se défendre plus efficacement, en gardant une longueur d'avance sur la capacité d'adaptation de leurs pathogènes qui peut leur permettre de contourner la résistance des plantes.

Publié le 29 juin 2020

illustration Pour que durent les résistances
© INRAE, Soyer

Des champignons sous pression

Les champignons phytopathogènes sont des champions de l’adaptation. Prenez Leptosphaeria maculans (L. maculans) par exemple. Cet agent pathogène des Brassicacées (crucifères), et plus particulièrement du colza, provoque la nécrose de la base de la tige, entraînant une perte de rendement importante pour l’agriculteur. Oubliez les fongicides, peu efficaces sur ce champignon. Ce qui fonctionne en revanche, c’est d’utiliser des cultivars dotés d’un gène de résistance contre L. maculans. L’avantage, c’est que l’on évite l’emploi de produits phytosanitaires, la plante étant naturellement protégée de l’agresseur.

Des champignons capables de "sauts d'hôte"

Mais il y a deux problèmes. D’abord, des gènes de résistance, les chercheurs n’en ont identifié qu’une poignée. Mais surtout, le champignon, confronté à cette pression de sélection, évolue à vitesse grand V, parvenant très rapidement à contourner la résistance. Les chercheurs s’efforcent donc d’approfondir leurs connaissances de ce redoutable agresseur, tout en contrôlant les populations, en collaboration avec les agronomes, semenciers et autres instituts techniques. La situation est d’autant plus préoccupante que L. maculans, comme bon nombre de champignons phytopathogènes, peut s’adapter à de nouvelles espèces végétales, lorsque ses cibles de prédilection ne sont pas disponibles. On parle alors de « saut d’hôte ». Or, depuis quelques années, les agriculteurs utilisent une nouvelle Brassicacée, la moutarde d’Abyssinie (Brassica carinata). Réputée pour sa résistance aux stress abiotiques, elle s’emploie principalement en inter-culture, pour composer un couvert végétal et protéger le sol, même si cette plante constitue également une source intéressante d’huile pour les biocarburants. Ce qui surprend, c’est que malgré sa très proche parenté phylogénétique avec le colza, elle fait preuve d’une résistance extrême vis à vis de L. maculans. Mais cela pourrait ne pas durer. En effet, les chercheurs ont montré en laboratoire que le champignon peut s’adapter à B. carinata.

Pour éviter que cela n’arrive dans les champs, il convient de prendre des mesures pour limiter la pression de sélection qui forcerait l’agresseur à évoluer. Par exemple, en évitant de cultiver la moutarde d’Abyssinie à proximité d’un champ de colza, ou même en inter-culture avec cette espèce. L’adaptation de L. maculans à B. carinata au laboratoire ouvre aussi la voie au décryptage des mécanismes de résistance de B. carinata. Cette compréhension permettrait d’identifier de nouvelles sources de résistance durables, ou de fournir des éléments pour la gestion des résistances déjà connues.

Les blés font de la résistance

0n sait que les agents pathogènes évoluent et finissent par contourner les défenses de leur hôte végétal

La rouille jaune, la rouille brune et la septoriose sont des maladies fongiques à développement rapide, qui impactent les cultures de blé dans le monde entier. Les fongicides montrent une bonne efficacité pour lutter contre ces maladies, mais leur usage est nuisible à l’environnement. L’usage de variétés de blé naturellement résistantes est jugé préférable, mais on sait que les agents pathogènes évoluent et finissent par contourner les défenses de leur hôte végétal. Les chercheurs d’INRAE s’efforcent de caractériser les populations pathogènes pour comprendre comment elles s’adaptent aux résistances variétales dont on cherche à améliorer la durabilité de ces dernières. L’enjeu est d’identifier les variétés les plus efficaces et de les employer à meilleur escient, de manière à limiter la pression de sélection qu’elles exercent.

Un moyen efficace consiste à diversifier les variétés cultivées à différentes échelles

Un moyen efficace consiste à diversifier les variétés cultivées à différentes échelles. S’il n’est pas toujours facile de mettre en place des changements de pratique tel que les « mélanges variétaux », notamment dans les grands bassins céréaliers, l’idée gagne du terrain. Dans les années 1980, une même variété de blé pouvait couvrir jusqu’à 40 % des surfaces cultivées. La première « variété » est désormais... un mélange. Pour accompagner ces changements, l’unité BIOGER étudie les interactions entre les plantes, les agents pathogènes et les conditions environnementales. Les chercheurs identifient notamment les gènes de résistance (côté plante) et de virulence (côté champignon), en échantillonnant les populations pathogènes en France et en Europe. Ils dissèquent les contournements de ces résistances – leurs expressions sur le terrain et les mécanismes associés – et tentent d’en prédire les effets sur les nouvelles variétés développées par les sélectionneurs.

Ils s’intéressent aussi à l’environnement abiotique des maladies : par exemple, quelles sont les conséquences des variations de température, de celles d’un cycle jour-nuit jusqu’aux effets du changement climatique, sur le développement des épidémies ? Les chercheurs ont notamment constaté que certaines souches de rouille jaune, adaptées aux climats du pourtour du bassin méditerranéen, commencent à se développer plus au nord en Europe. Ils s’intéressent également à la façon dont les champignons pathogènes survivent entre deux saisons de culture, par exemple dans les résidus de blé laissés sur le sol après la récolte (cas de la septoriose) ou dans les repousses de blé (cas de la rouille brune), avant de recontaminer les cultures l’année suivante. Dans ces conditions, vaut-il mieux réserver les variétés résistantes aux agriculteurs qui enfouissent ces sources d’inoculum en pratiquant le labour, et les variétés déjà contournées aux adeptes du semis direct ? Tel est le type de questions auxquelles des modèles, basés sur des données épidémiologiques et développés en collaboration avec d’autres unités de recherche INRAE, devraient aider à répondre. L’ensemble de ces travaux visent à proposer des solutions agroécologiques durables, basées sur les stratégies de déploiement de variétés de blé à différentes échelles spatiales, de la parcelle jusqu’au paysage.

Voir la rubrique "One Health, une seule santé"

Philippe FontaineRédacteur

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Jessica SoyerUnité Biologie Gestion des Risques en agriculture

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