Changement climatique et risques 5 min

Le dérèglement climatique jette un froid chez les arbres fruitiers

En automne, les feuilles des arbres caduques deviennent orange et tombent au fil des semaines. Si ce spectacle de la nature semble à première vue anodin, il n’en est rien. De la coloration des feuilles à leur chute, du froid hivernal à la floraison : dans la phénologie des arbres, rien n’est laissé au hasard. Sauf, peut-être, l’impact du changement climatique…

Publié le 17 décembre 2024

© M-C. LHOPITAL

Si les feuilles se colorent de jaune et de rouge depuis le début de l’automne, ce n’est pas pour être plus « instagrammables ». Derrière ces couleurs chatoyantes se cache un phénomène chimique : la production de chlorophylle assurée par les feuilles aux beaux jours se réduit peu à peu, laissant place à d’autres pigments. Lorsque les feuilles sont rouges, elles produisent des anthocyanes qui les protègent du froid quelques jours, juste le temps d'absorber les derniers nutriments à transmettre aux racines et bourgeons de l’arbre avant de tomber.

Mais d’ailleurs, pourquoi les feuilles tombent-elles des arbres au cours de l’hiver ?

Un arbre dépense beaucoup d’énergie pour maintenir ses feuilles en bonne santé. Une énergie qui, durant l’hiver, est précieuse. Alors, pour limiter les dégâts causés par le froid, les arbres préfèrent concentrer cette énergie dans leurs parties vitales, laissant peu à peu mourir les feuilles et leur tige. Ainsi dénudé, l’arbre entre alors en dormance. Il inhibe sa croissance pour éviter aux bourgeons de pousser - et donc de geler - pendant l’hiver.

Arbre à feuillage caduc : arbre qui perd ses feuilles en automne, à la différence des arbres à feuillage persistant.

Les températures négatives, un indicateur très fort pour les arbres

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les arbres au feuillage caduc ont donc besoin de froid pour assurer la bonne croissance de leurs fruits au printemps. Tant que chaque arbre n’a pas atteint son quota de froid, comme un repère qui lui indique quand sortir de son état de dormance, sa floraison ne commencera pas.

Fleur d'amandier

Mais voilà : l’arbre n’a pas d’alarme pour lui rappeler quand sortir de cet état de dormance. Pour savoir quand se réveiller, il compte les heures de froid. Comment ? Nous manquons d'éléments précis pour l'expliquer. Le froid prolongé modifie l’expression de certains gènes et des recherches sont en cours pour comprendre les mécanismes précis qui régissent cette régulation. Dès que l’arbre a atteint son quota, c’est l’heure ! Le quota dépend des besoins en froid de chaque arbre, variable selon les espèces et les variétés.

Les amandiers et les chênes ont, par exemple, peu de besoin en froid. À l’inverse, le hêtre et le cerisier ont des besoins en froid plus importants et peuvent rester en dormance jusqu’en mars.

C’est seulement après cette sortie de dormance que les bourgeons vont pouvoir s’ouvrir et que l’on assistera à la feuillaison et la floraison typiques du printemps, avant d’arriver à la mise à fruits estivale. Du moins, en théorie.

Le dérèglement climatique peut impacter les rendements

Car, dans la pratique, le dérèglement climatique vient chambouler tous les repères de l’arbre qui se fie habituellement aux températures. Et comme il fait plus chaud une fois qu’il sort de sa dormance, la floraison est accélérée. Résultat : les bourgeons ne sont plus protégés et s’exposent à un risque de gel tardif qui peut abîmer une partie des bourgeons, voire anéantir la future récolte avec des conséquences désastreuses pour les arboriculteurs.
« La hausse des températures peut affecter l’entrée en dormance des arbres qui pourrait avoir lieu plus tardivement et durer moins longtemps » explique la scientifique. Le risque ? « À cause d’un hiver plus doux, certains arbres risquent de ne pas accumuler assez de froid dans les temps, ce qui décalerait tout leur cycle », poursuit-elle. Le décalage dans le rythme des événements saisonniers est déjà constaté. « Depuis les années 1990, la date de floraison a été avancée de 10-15 jours pour les cerisiers en France », alerte Bénédicte Wenden.


Le dérèglement climatique est plus rapide que le temps de la recherche 

Vous l’avez compris, le dérèglement climatique peut potentiellement réduire la quantité de froid disponible, pourtant indispensable dans le cycle de vie des arbres. Pour assurer la satisfaction de leurs besoins, Bénédicte Wenden et ses collègues du département Biologie et amélioration des plantes travaillent sur la sélection de variétés qui ont des besoins en froid plus bas sans être non plus trop bas, au risque de se réveiller trop tôt et d’être victime de gel tardif.
« Pour s’adapter au dérèglement climatique, il faut des variétés dont le débourrement et la floraison arrivent plus tard pour éviter les risques de gel tardif [comme c’est le cas pour les arbres qui restent en dormance longtemps], tout en ayant des besoins en froid assez faibles », développe la chercheuse.
L’autre problème, c’est le temps. La recherche en sélection variétale prend du temps. Comptez 30 ans pour un arbre fruitier ou forestier. « On travaille forcément sur le temps long pour observer la réponse des organismes vivants au climat. Mais le dérèglement climatique est, lui, plus rapide. »

Cassandre Jalliffier

Rédactrice

Contacts

Bénédicte Wenden

UMR Biologie du fruit et pathologie (INRAE, Univ. Bordeaux)

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