Agroécologie 3 min

Découverte d’un nouveau mode d’expansion chez les insectes

Des équipes de recherche d’INRAE ont reproduit en laboratoire un processus d’invasion biologique d’insectes, afin de mieux les comprendre et prédire les changements évolutifs se produisant sur les fronts d’expansion. Et les résultats ont permis de découvrir que dans la nature, le vivant n’use pas d’une seule et unique stratégie pour envahir un nouvel habitat …

Publié le 11 juillet 2022

illustration Découverte d’un nouveau mode d’expansion chez les insectes
© INRAE, Bertrand NICOLAS

Simuler les invasions biologiques pour mieux les comprendre

Plusieurs définitions existent dans la littérature scientifique pour expliquer précisément ce qu’est une invasion biologique. Pour cette étude, elle est définie comme un processus se caractérisant par l’introduction, l’établissement puis la propagation d’une espèce en dehors de son milieu d’origine. Ce processus est très difficile à prévoir, car les études à ce sujet ne peuvent analyser le phénomène qu’une fois l’invasion déjà entamée (et par conséquent, uniquement lorsqu’elle a réussi). Comment parvenir dans ce cas à mieux comprendre les processus évolutifs en jeu au cours d’une invasion pour limiter ses impacts écologiques ? Comment définir ce qui lui permet d’aboutir ou bien d’échouer ?

Un projet scientifique financé par l’Agence Nationale de la Recherche a permis à des chercheurs d’INRAE de simuler des invasions biologiques en laboratoire en conditions contrôlées, afin d’en observer les mécanismes et de mieux comprendre comment se propagent les invasions. Le modèle utilisé pour cette simulation utilisant une approche expérimentale est le trichogramme, une micro-guêpe parasitoïde.

Identification d’un nouveau mode d’expansion

Pour mener à bien leur expérimentation, les chercheurs ont installé des populations de trichogrammes dans des tubes reliés entre eux par des tuyaux, formant un circuit modifiable à volonté qui peut être agrandi ou réduit au fur et à mesure de leur expansion. Ils s’attendaient à observer le mode de propagation majoritairement décrit à ce jour qui consiste, pour quelques individus, à migrer dans une nouvelle aire pour s’y installer, s’y reproduire et former une nouvelle sous-population. Sous-population qui à son tour va reprendre la même stratégie de migration, et ainsi de suite. C’est cette dynamique qui rend l’invasion non-contrôlable car elle s’amplifie à partir de très peu d’individus, et la réduction de la diversité génétique accélère le processus en sélectionnant au fur et à mesure les individus les plus aptes à se disperser. Cette stratégie est dite « tirée », du fait que seulement quelques individus « tirent » l’expansion.

Or, ce qu’ont observé les chercheurs avec les trichogrammes est tout autre. Pour coloniser un nouvel habitat, les trichogrammes attendent que la population initiale ait atteint une certaine taille. Ils sont en effet sensibles à la densité de population qui les entoure, et s’ils ne sont pas assez nombreux les individus ne dispersent pas pour coloniser de nouveaux habitats. Cette stratégie est alors dite « poussée », car c’est la taille de la population qui « pousse » à l’expansion. L’invasion est alors plus lente, devant attendre à chaque fois que la population installée s’agrandisse, et plus sensible en conséquence à la qualité de l’environnement et aux quantités de ressources. La diversité génétique demeure également stable, contrairement à celle plus sélective des invasions « tirées ».

Deux stratégies d’expansion différentes

Cette découverte a ainsi permis d’identifier la présence dans la nature de deux stratégies d’expansion distinctes, qui peuvent différer entre les espèces mais également varier en fonction du contexte écologique local. Ce qui va impliquer, en conséquence, une révision des méthodologies expérimentales mais aussi des critères d’interprétation des résultats lors des prochaines études à ce sujet. Le critère supplémentaire à prendre notamment en compte est de parvenir à identifier, pour l’espèce étudiée, vers quelle dynamique sa stratégie d’invasion tend le plus afin d’en déduire si elle peut être prévisible ou contrôlable. Si sa dynamique est plutôt « tirée », sa vitesse d’expansion restera stable indépendamment de son environnement. Elle sera donc facilement prédictible peu importe le lieu, mais ne pourra pas être contrôlée (c’est-à-dire freinée, ralentie ou bien accélérée). En revanche, si la dynamique d’invasion de l’espèce s’avère plutôt « poussée », sa vitesse d’expansion peut varier d’un endroit à l’autre, en fonction de la qualité de l’environnement et de la disponibilité des ressources. Il sera beaucoup plus difficile de prévoir à quelle vitesse elle va s’étendre sur un endroit donné, mais elle pourra être plus facilement contrôlée en cherchant quels facteurs environnementaux freinent cette invasion ou bien la favorisent. Au niveau écologique les espèces présentant une dynamique d'expansion poussée seront plus contrôlables, ce qui permettrait de mieux prévenir les futures invasions qui pourraient in fine nuire à l'environnement.

Les données, analyses et résultats de cette étude sont d’ailleurs disponibles en OpenAccess sur la plateforme PeerCommunity, afin de garantir l’accessibilité, la transparence ainsi que la reproductibilité des résultats et permettre une meilleure avancée des connaissances à propos de cette dynamique éco-évolutive.

RÉFÉRENCE
Dahirel
, M., Bertin, A., Haond, M., Blin, A., Lombaert, E., Calcagno, V., Fellous, S., Mailleret, L., Malausa, T. and Vercken, E. (2021), Shifts from pulled to pushed range expansions caused by reduction of landscape connectivity. Oikos, 130: 708-724. https://doi.org/10.1111/oik.08278

 

Mylène Le CaërRédactriceDépartement SPE

Contacts

Elodie VERCKEN ChercheuseInstitut Sophia Agrobiotech (ISA)

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