Alimentation, santé globale

Covid19 et animaux d’élevage : que savons-nous des risques pour l’Homme ?

Depuis son émergence en Chine en 2019, les connaissances acquises sur le coronavirus SARSCoV-2, responsable de la maladie COVID-19 ne cessent de croître. De nombreuses questions sont posées sur les liens entre ce virus et les animaux d’élevage. Mais que sait-on exactement aujourd’hui ? Muriel Vayssier-Taussat, cheffe du département Santé Animale d’INRAE, et directrice de l’institut Carnot F2E, dresse un état des lieux des connaissances au 25 mai 2020 sur la base des publications scientifiques disponibles.

Publié le 02 juin 2020

illustration Covid19 et animaux d’élevage : que savons-nous des risques pour l’Homme ?
© INRAE

A l’origine : un réservoir animal

Les analyses génétiques du virus SARS-Cov-2 montrent qu’il est proche de virus infectant certaines espèces de chauve-souris et les pangolins. Il pourrait être la résultante d’une recombinaison (= un échange de matériel génétique) entre ces virus. Alors que les virus identifiés chez les pangolins et les chauve-souris ne sont pas infectieux pour l’Homme, ce nouveau virus SARS-CoV-2 a acquis la capacité d’infecter l’Homme, de se transmettre au sein de la population humaine et de créer l’épidémie que l’on connait.

Quels animaux peuvent être infectés par le SARS-CoV-2 ?

Pour répondre à cette question plusieurs études ont été menées, allant de la mise en évidence de la présence du récepteur du virus dans le génome d’animaux domestiques (et leur reconnaissance par le virus dans des modèles in vitro) à des essais d’infection expérimentale d’animaux ou encore plus directement à la mise en évidence de foyer d’infection naturelle chez des animaux.

1 – Ce que l’on sait de la présence du gène codant le « récepteur » du virus.

Le récepteur d’un virus peut être comparé à une serrure, présente sur une cellule, qui permet au virus de s’y fixer grâce à une clé qu’il détient (la Spike Protein ou protéin S dans le cas du SARS-CoV-2). Un article publié le 19 mars 2020 (Qiu et al. 2020), a montré que certaines espèces animales (comme le porc et la civette) portent LE récepteur qui peut être reconnu par le virus SARSCoV-2 et sont donc susceptibles d’être infectés. D’autres espèces animales (comme les félidés) ont un récepteur différent mais proche de celui utilisé par le virus, et d’autres encore (comme les rongeurs) ont des récepteurs très différents et ne sont probablement pas sensibles à ce virus. Ce travail a permis de faire des prédictions sur la sensibilité de telle ou telle espèce animale mais ne constitue en aucun cas une preuve de la capacité du virus à infecter telle ou telle espèce. En effet, le passage d’un virus à une autre espèce ne repose pas seulement sur la présence du récepteur, mais dépend aussi de la présence d’autres facteurs cellulaires nécessaires à la reproduction du virus.

2- Ce que l’on sait de la sensibilité des animaux d’élevage au virus SARS-CoV-2

Les résultats disponibles proviennent soit d’infections expérimentales réalisées en laboratoire de recherche, soit de la mise en évidence d’infections naturelles. Les résultats publiés ou communiqués via le site de la société internationale d’infectiologie (https://promedmail.org/) pour chaque espèce animale sont résumés ci-dessous :

- Porc : malgré la présence du récepteur au virus sur les cellules porcines, les 2 études menées dans 2 laboratoires indépendants ont montré que le porc n’était pas sensible à l’infection par le SARS-CoV-2 : pas de détection du virus dans les prélèvements nasopharyngés d’animaux infectés par voie nasale et suivis pendant 40 jours après l’infection, pas de signes cliniques, pas de séro-conversion (Beer 2020 ; Shi et aI 2020).

- Volailles (poulets et canards) : le suivi pendant 4 semaines d'animaux inoculés expérimentalement par le SARS-CoV-2 a montré que les volailles, comme les porcs, n’étaient pas sensibles au virus SARS-CoV-2 (Shi et al., 2020)

- Bovins/ovins/caprins : des études expérimentales d’inoculations in vivo sont en cours et les résultats ne sont pas connus à ce jour. Toutefois, les analyses des récepteurs au virus chez ces espèces animales (Qiu et al., 2020), l’incapacité de lignées cellulaires (notamment d’origine bovine) à être infectées in vitro par le SARS-CoV-2 (Hoffmann etal., 2020) et l’absence de foyer épidémique chez ces espèces dans tous les pays du monde touchés par la pandémie sont autant d’indices qui suggèrent que ces espèces ne seraient pas sensibles à ce virus.

- Chevaux : aucune étude expérimentale n’a été menée à ce jour chez le cheval et aucun cas d’infection naturelle n’a été rapporté. Une étude sérologique conduite par la société IDDEX sur des milliers de prélèvements d’animaux, dont des chevaux, n’a pas permis de détecter de sérologie positive sur ces animaux suggérant là encore que le cheval n’est probablement pas sensible à ce virus.

- Mustélidés (visons, furets…) : concernant le furet, plusieurs études expérimentales montrent que cet animal est réceptif au virus, l’infection provoque des signes cliniques et des lésions observées au niveau de l’appareil respiratoire. La possibilité de transmission du virus d’animaux à animaux a par ailleurs été démontrée (Kim et al., 2020 ; Shi et al., 2020). Très récemment, aux Pays Bas, des cas d’infection au SARSCoV-2 ont été détectés dans trois élevages de visons. Ces animaux développent des signes cliniques proches de ceux que l’on retrouve chez l’Homme. Dans un des élevages, du virus (non viable) a été retrouvé dans les chats de la ferme (chats dont il est aujourd’hui admis qu’ils sont sensibles à l’infection par le SARS-Cov-2*) et un cas très probable de contamination de l’Homme par les visons a été rapporté le 20 Mai sur le site Prodmed (https://promedmail.org/promed-post/?id=7359976). A l’heure actuelle et depuis l’apparition des premiers cas dus à SARS-CoV-2 chez l’Homme, c’est le seul cas humain de COVID19 pour lequel on suspecte une origine provenant d’un animal.

Pourquoi des « foyers » de contamination dans les abattoirs sont détectés dans le monde entier ?

Si, hormis certaines espèces de mustélidés, les animaux d’élevage ne sont pas sensibles aux virus on peut se demander pourquoi tant de foyers de COVID19 apparaissent dans les abattoirs du monde entier, y compris en France. Des études épidémiologiques menées dans ces différents foyers convergent toutes vers les mêmes conclusions : l’introduction du virus se fait par une personne contaminée et non par un animal. Dans ces lieux, les employés ont dû continuer à travailler malgré le confinement pour assurer l’approvisionnement alimentaire et quand bien même les normes d’hygiène sont imposées, le risque de contamination interpersonnel y est élevé du fait de conditions de travail et de vie exiguës et des risques élevés de dispersions du virus (comme le nettoyage à haute pression qui favorise la dispersion virale).

L’analyse de ces risques et la mise en place de nouvelles mesures de protection appropriées, combinées à l’usage régulier de tests de détection virale, devrait contribuer à éliminer ces foyers et protéger durablement les personnels des abattoirs.

Est-il possible d'affirmer que la viande de ces abattoirs ne peut pas être vecteur du virus ?

En théorie, le passage du virus d’une personne infectée vers des aliments (viande ou autres aliments) peut se produire via des gouttelettes infectées et, sans mesure de nettoyage, les virus de la famille des Coronaviridae peuvent persister jusqu’à 9 jours (Kampf et al. 2020), en particulier quand la température est basse et l’humidité relative de l’air est faible (Casanova et al. 2010). Il est donc possible que des particules virales soient projetées sur de la viande dans le cas des foyers dans les abattoirs. Toutefois la transmission du SARS-Cov-2 par voie digestive n’a pas été démontrée à ce jour et la cuisson (4 minutes à 63 °C) est considérée comme efficace pour inactiver les coronavirus dans les aliments. Il semble donc peu probable que la voie de transmission digestive directe puisse avoir lieu. Pour plus d’information, un avis de l’Anses concernant le rôle potentiel des aliments dans la transmission du virus a été rendu et conclut que dans l’état actuel des connaissances, la voie de transmission digestive directe du SARS-Cov-2 peut être écartée (saisine ANSES N°2020-SA-037).

 

Références citées :

  • Beer 2020 ProMed Post (archive number 20200407.7196506).
  • Casanova, Lisa M, Soyoung Jeon, William A Rutala, David J Weber, and Mark D Sobsey. 2010. "Effects of air temperature and relative humidity on coronavirus survival on surfaces." Applied and Environmental Microbiology 76 (9):2712-2717.
  • Hoffmann, Kleine-Weber, Krüger, Mueller, Drosten and Pöhlmann. 2020. "The novel coronavirus 2019 (2019-nCoV) uses the SARS coronavirus receptor ACE2 and the cellular protease TMPRSS2 for entry into target cells." BioRxiv.
  • Kampf, G., D. Todt, S. Pfaender et E. Steinmann. 2020. "Persistence of coronaviruses on inanimate surfaces and their inactivation with biocidal agents." Journal of Hospital Infection. doi: 10.1016/j.jhin.2020.01.022.
  • Kim, Young-Il, Seong-Gyu Kim, Se-Mi Kim, Eun-Ha Kim, Su-Jin Park, Kwang-Min Yu, Jae-Hyung Chang, et al. "Infection and Rapid Transmission of Sars-Cov-2 in Ferrets." Cell Host & Microbe (2020).
  • Qiu, Zhao, Wang, Li, Zhou, Liao, Ge* Predicting the angiotensin converting enzyme 2 (ACE2) utilizing capability as the receptor of SARS-CoV-2. Microbes and Infection. 2020
  • Shi, Jianzhong, Zhiyuan Wen, Gongxun Zhong, Huanliang Yang, Chong Wang, Baoying Huang, Renqiang Liu, et al. "Susceptibility of Ferrets, Cats, Dogs, and Other Domesticated Animals to Sars–Coronavirus 2." Science (2020): eabb7015.

* Premier chat détecté porteur du SRAS-Cov-2 en France : la transmission de l’homme au chat est rare mais la distanciation est recommandée Article, 14 mai.

En savoir plus

Alimentation, santé globale

Influenza, coronavirus et autres : quand les virus d’origine animale contaminent l’homme

Depuis des siècles les maladies virales affectent le genre humain. Qu’ils infectent l’homme directement ou après avoir transité par des animaux domestiques, ces agents infectieux sont au cœur des recherches d’INRAE. Grippe aviaire, fièvre du Nil occidental ou encore hépatite E sont quelques-unes des maladies (et des agents) auxquelles se consacrent les scientifiques de l’Institut dans une approche intégrée où santé de l’homme, de l’animal et de l’environnement ne font plus qu’un.

20 février 2020

Alimentation, santé globale

Face aux maladies émergentes : repenser la veille sanitaire mondiale - INRAE participe au projet international MOOD coordonné par le CIRAD

COMMUNIQUE DE PRESSE - La maladie X est-elle déjà là ? L’arrivée du COVID-19 impose-t-elle de repenser nos systèmes de veille sanitaire ? C’est ce que font des chercheurs européens et nord-américains, dans le cadre du projet MOOD qui a débuté en janvier 2020, autour d’une question phare : comment identifier précocement les nouveaux signaux épidémiques ? Expert des maladies émergentes, dont la plupart ont une origine animale, le Cirad coordonne ce projet réunissant 25 instituts de recherche* et agences de santé publique, dont 4 autres organismes français : l’Anses, INRAE, l’Inserm, et l’Université de Montpellier.

19 mars 2020

Alimentation, santé globale

COVID-19 : 20 projets de recherche sélectionnés pour lutter contre l’épidémie

COMMUNIQUE DE PRESSE - Alors que l’épidémie de coronavirus Sars-CoV2 continue de se propager, l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) se mobilise pour accélérer la recherche sur le virus et sur la maladie COVID-19, via l’action du consortium REACTing, coordonné par l’Inserm. Avec le soutien du ministère des Solidarités et de la Santé et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 20 initiatives scientifiques ont été sélectionnées par le conseil scientifique de REACTing. Elles portent sur des thématiques aussi diverses que la modélisation de l’épidémie, la recherche de traitement ou la prévention.

12 mars 2020