Alimentation, santé globale 5 min
Vers un corps féminin idéal : une analyse des représentations et des techniques au fil du temps et par-delà les océans
Idéalisé en France comme aux Etats-Unis, le corps féminin, qui semble avoir toujours suscité des prescriptions spécifiques, est indissociable de l’alimentation. Depuis les années 1930, l’idéal du corps féminin est porté par une injonction à toujours perdre du poids. Les techniques pour y parvenir sont nombreuses, accordant au fil du temps une large place à l’alimentation. Une évolution au sein de laquelle les femmes sont de plus en plus responsables de l’embellissement d’un corps désormais « sur mesure ».
Publié le 07 juillet 2017
Svelte, longiligne ou enrobé, le corps idéal féminin est depuis longtemps l’objet de nombreuses attentions et recommandations. S’intéressant à son rapport avec l’alimentation, des chercheurs de l’Inra ont analysé, en comparant la France et les Etats-Unis, l’évolution de la corpulence féminine idéale sur près de huit décennies, et les consignes en matière d’alimentation qui y sont associées.
Mincir pour embellir
Depuis l’après-guerre, la minceur constitue un souci croissant et au fil du temps, l’embellissement du corps féminin passe, d’une façon de plus en plus accentuée, par l’amincissement. Régime ou poids en France, diet ou weight aux Etats-Unis, la question préoccupe les Etats-Unis bien plus que la France. Côté américain, le souci de minceur apparait particulièrement tôt, dans une société d’abondance où sont rapidement satisfaits les besoins nutritionnels de base : il constitue une priorité dès les années 1960. Côté français, l’évolution est plus tardive, et on attend les années 1960 pour voir apparaitre des priorités contemporaines (minceur et santé). Le cas français présente enfin la particularité d’associer rapidement diététique et gastronomie.
Si le régime amaigrissant est un souci français, c’est une obsession américaine. L’analyse des couvertures des deux revues et des saisons du régime amaigrissant illustrent une permanente injonction à maigrir côté américain, et une singularité française : le régime y est régulier, mais une exception, alors qu’aux Etats-Unis il est une norme.
Deux modèles s’opposent : un modèle américain où le souci de minceur s’inscrit dans une vision nutritionnelle et quantifiée de l’alimentation, un modèle français où domine une approche qui conjugue équilibre et plaisir alimentaire. Mais à l’orée du nouveau millénaire, minceur et contrôle de l’alimentation sont devenus, des deux côtés de l’océan, les éléments essentiels du travail sur le corps féminin.
Maigrir, oui mais de combien et comment ?
Le seuil à partir duquel un corps féminin est « trop gros » est rarement donné dans la presse féminine: perdre 2 à 3 kg par mois est une norme pour Modes et Travaux, les pertes de poids supérieures à 10 et même 20 pounds sont fréquemment évoquées à partir des années 1980 dans Good Housekeeping. C’est l’injonction corps féminin est mesuré. Avant les années 1960, sa mesure en cm entraine des actions extérieures, comme le port de la gaine, qui fait diminuer le volume du corps. La gaine cède la place, au cours des années 1960 en France et 1970 aux Etats-Unis, au régime amaigrissant : accompagnant l’avènement de la balance, les kilos se substituent aux cm pour évaluer le corps et consacrent la place de l’alimentation. Il s’agit essentiellement de réduire des calories sous couvert d’une bonne alimentation qui allie mesure et équilibre en France, calculs et normes, aux Etats-Unis. L’exercice physique prendra ensuite une place de plus en plus importante dès les années 1980, notamment aux Etats-Unis avec l’avènement de l’aérobic.
Un corps féminin sur mesure, travail sur soi, morale ou régulation ?
Au fil du temps, au corps-machine dont l’alimentation est le carburant, a succédé l’idéal d’un corps « surmesure » dont la femme est plus que jamais responsable, le transformant à sa guise : régime à la carte, exercice physique individualisé voire chirurgie esthétique. L’accent est mis sur le sur-mesure, à quoi s’ajoutent aux Etats-Unis l’effort à fournir et le travail sur soi.
Sous couvert de plaisir, mais soumis à un travail plus intense et à une surveillance plus étroite, le corps féminin est l’objet de contraintes de plus en plus marquées. D’abord ménagère et mère de famille dans la société d’après-guerre, la femme de nos sociétés post-industrielles voit paradoxalement augmenter les exigences sur un corps qui s’est en même temps libéré, tandis que s’affirme sa responsabilité dans l’embellissement d’elle-même, dans la discipline de sa corpulence et l’alimentation qui lui est associée. L’occasion peut être, de lire dans tout cela une forme nouvelle de régulation du corps féminin.
Les chercheurs de l’Inra ont analysé un corpus de conseils d’économie domestique issu de la presse féminine parue entre 1934 et 2010. La comparaison a porté sur deux pays, la France et les Etats-Unis que tout oppose ou presque : au souci gastronomique du premier s’oppose la visée nutritionnelle du second, à la sveltesse des femmes françaises, s’oppose la corpulence des femmes américains. Deux revues, destinées à une large classe moyenne, Modes et Travaux pour la France et Good Housekeeping pour les Etats-Unis, ont été retenues pour leur ancienneté et leur fort tirage.
Y ont été relevé tous les éléments concernant la nutrition, la diététique et la beauté en lien avec la corpulence. Un corpus de 124 311 occurrences pour Modes et Travaux et 291 971 occurrences pour Good Housekeeping a ainsi été constitué.
Régnier F. 2017. Vers un corps féminin sur mesure: l’alimentation et les techniques de la corpulence en France et aux Etats-Unis 1934-2010. L’Année sociologique 67 : 131.