Changement climatique et risques 5 min

Construire une culture autour du changement climatique

Le changement climatique nous prend de vitesse, l’agriculture et la forêt sont touchées concrètement et doivent s’adapter. Comprendre, mesurer, faire face, permettre à la société d’anticiper… Dès le départ, les projets de recherche novateurs impulsés par INRAE dans ce domaine ont bénéficié des données, outils et méthodes produits par Agroclim. Comment ? Avec quelle vision travaille cette unité de service ? Entretien avec Iñaki Garcia de Cortazar Atauri, son directeur, et Marie Launay, directrice adjointe.

Publié le 27 novembre 2023

illustration Construire une culture autour du changement climatique
© INRAE

Météo et climat, y-a-t-il une différence pour l’agriculture ?

Marie Launay : La confusion entre météo et climat a pu entretenir le climatoscepticisme, avec des raisonnements du type « On a eu froid en juillet dernier, cela montre bien que le changement climatique n’existe pas ». Depuis plus de 50 ans, nous collectons les données météo (températures, pluie, vent, rayonnement…) grâce à un réseau qui compte aujourd’hui 55 stations en métropole et outre-mer et des liens rapprochés avec le réseau de Météo-France. Sur le long terme, ces données nous montrent l’évolution du climat, elles nous permettent aussi de comprendre ses impacts sur l’agriculture et de se projeter dans le futur. Ces études sont possibles grâce à notre modèle de simulation des cultures, Stics, développé en logiciel libre et utilisé par de nombreux chercheurs et chercheuses à l’international.

Iñaki Garcia de Cortazar Atauri : Nous observons aussi directement l’effet du climat sur le cycle de développement des plantes, autrement dit sur la phénologie. À quelle date se forment les épis de blé ? fleurissent les cerisiers ? mûrissent les raisins ? Le décalage de ces dates est un indicateur des impacts du changement climatique. Pour ces relevés, nous nous appuyons sur les observations des unités expérimentales d’INRAE et sur un programme de sciences participatives, l’Observatoire des saisons, qui permet à tout citoyen de contribuer à la collecte de ces données. Toutes ces données sont regroupées dans le portail TEMPO. Nous rassemblons également de nombreuses archives consignant les observations réalisées depuis la fin du XIXe siècle, y compris par d’autres instituts de recherche en France ou à l’étranger.

Températures, pluviométrie, rayonnement… a-t-on des indicateurs pour savoir quand la situation va devenir critique pour une culture ?

On s’intéresse au cycle de la plante, à celui des maladies et ravageurs, aux facteurs du climat. Tout cela conjugué produira quels impacts ?

ML : Les indicateurs occupent une place centrale dans les travaux de notre unité. Ils permettent de représenter des effets, des impacts du climat sur les végétaux. Par exemple, l’avancée actuelle des dates de floraison peut exposer les arbres au gel tardif en mars-avril, les périodes à la fois chaudes et humides favoriser le développement de maladies comme le mildiou. On s’intéresse au cycle de la plante, à celui des maladies et ravageurs, aux facteurs du climat. Tout cela conjugué produira quels impacts ? Est-ce que tous les problèmes vont tomber en même temps ? Peut-on faire que cela ne soit pas le cas ? Nous travaillons sur la synchronicité, en procédant de façon mathématique : on construit les relations, les jeux de données et cela nous permet de regarder vers l’avenir. Ainsi, pour bien explorer les futurs, nous devons intégrer les données que nous proposent les climatologues, étudier les intensités, les fréquences, l’augmentation ou la diminution des risques.

IGCA : Produire des indicateurs est au cœur de notre mission de service. D’abord pour qu’au sein d’INRAE, chacun dans sa spécialité, sa discipline, l’espèce sur laquelle il travaille, son territoire, puisse explorer et produire les meilleures informations possibles pour prendre des décisions. Comment s’adapter plus tard ? Nous, on va dire à quoi il va falloir s’adapter, ensuite si ça fait appel à une nouvelle variété, plus précoce, ou à tout autre chose, ce sont les scientifiques d’autres disciplines et la filière de production et transformation qui se prononceront. La thèse qui démarre dans notre unité va un cran plus loin et prend la question à rebours. En partenariat avec l’Institut technique des céréales et fourrages (Arvalis), elle veut identifier l’ordre d’arrivée des problèmes en lien avec le changement climatique pour permettre aux céréaliculteurs de prioriser leurs choix et leurs actions.

Iñaki Garcia de Cortazar Atauri, directeur, et Marie Launay, directrice adjointe d'Agroclim. © INRAE, Maître Christophe

Êtes-vous beaucoup sollicités ? Comment choisissez-vous les questions sur lesquelles vous travaillez ?

IGCA : Les sollicitations sont quotidiennes ! C’est aujourd’hui le lot de tous les chercheurs en environnement. Impossible de rester dans une tour d’ivoire car il y a eu une véritable prise de conscience de l’urgence climatique.

Ce sont les scientifiques qui viennent vers nous pour utiliser nos outils, données et indicateurs. Ce sont des professionnels qui arrivent avec des questions très concrètes : « où cultiver la vigne en France d’ici 2050 ? », « dans quelles régions les cultures vont-elles souffrir de la sécheresse cet été ? »

ML : Notre unité comprend beaucoup d’informaticiens et de bioclimatologues mais on ne fait pas de biologie stricto sensu. On recherche le lien entre le climat et le fonctionnement des espèces grâce à nos données, nos compétences en agronomie, modélisation, géographie, hydrologie, et aux compétences complémentaires de nos collègues scientifiques. Notre vocation c’est de donner aux autres les outils et les données les plus fiables pour qu’ils puissent prendre des décisions sur les meilleures bases possibles.

IGCA : Notre expertise est aujourd’hui de plus en plus reconnue et, face au nombre de sollicitations, nous sommes amenés à la capitaliser pour pouvoir permettre à d’autres de bénéficier des travaux menés sur un cas similaire. Nous choisissons donc les prochaines questions à étudier pour leur nouveauté, qui nous permet de déployer encore notre expertise. Si elles nécessitent des outils originaux, des démarches inédites, nous essayons de relever le défi !

Ceci fait aussi que, depuis 4-5 ans, nous sommes également beaucoup sollicités par les médias nationaux, près d’une fois par semaine, et pour intervenir auprès de citoyens ou de jeunes collégiens, lycéens ou étudiants.

PORTRAIT DE L'UNITE
Placé aux avant-postes du climat, Agroclim capte ses variables, observe ses effets sur les cultures, sur la nature, aide à les décrypter et à se projeter dans le futur. Son impact significatif pour la recherche, au service de la société a été récompensé par le Laurier d'impact 2023.
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À quoi êtes-vous confrontés au contact des publics qui vous sollicitent ?

En tant que scientifiques, il faut rester cohérent et factuel, sans perdre de vue les aspects humains.

IGCA : Le climatoscepticisme se fait plus rare. En revanche, l’écoanxiété est très répandue chez les plus jeunes – à la fois en colère et en détresse – mais elle peut toucher tout un chacun. Nous-mêmes avons changé de ton dans nos présentations, car souvent une partie de notre auditoire prend une claque monumentale ! C’est dur de réaliser que, dans 15-20 ans, le monde que nous avons connu n’existera plus. En tant que scientifiques, il faut rester cohérent et factuel, sans perdre de vue les aspects humains. J’essaie par exemple d’amener l’agriculteur à la réalité du consommateur, et le consommateur à la réalité de l’agriculteur.

Qu’avez-vous le plus à cœur de transmettre ?

ML : Nous avons un énorme travail de sensibilisation à faire. Nous participons à la construction d’une culture scientifique commune autour du changement climatique et de l’agriculture. Devant ces enjeux, c’est une posture scientifique qui s’est formée et partagée dans l’unité. Nous échangeons souvent entre nous, nous allons écouter les conférences données par les collègues.
Cette posture, nous la transmettons aussi aux collègues scientifiques d’autres domaines, aux professionnels : comment construire un scénario pour le futur ? Que disent les scénarios ? Comment aborder la question des impacts ? Partager un savoir commun est indispensable à l’heure de faire des choix. Il faut d’abord bien comprendre les choix possibles.

Quelles sont vos perspectives ?

IGCA : Aujourd’hui, l’unité comprend une quinzaine d’ingénieurs, ingénieures, techniciens et techniciennes, qui entretiennent et développent les outils, les méthodes et les services de l’unité. Chaque nouvel arrivant fait, dans le mois de son recrutement, un rapport d’étonnement. L’objectif est d’avoir un regard extérieur neuf concernant notre travail et d’améliorer les points qui ne fonctionnent pas. Les 4 ingénieurs et ingénieures de recherche de l’unité suivent au quotidien les différents projets de l’unité et se réunissent tous les 6 mois pour faire un bilan des activités en cours, réfléchir aux évolutions à 3 ans et garder le cap : entretenir la fiabilité de notre réseau de stations, de nos outils informatiques et des jeux de données… Par exemple, nous voulons, en 2024, pouvoir à nouveau proposer une veille agroclimatique permettant aux agriculteurs et agricultrices de mieux se représenter les impacts du climat sur leurs cultures, avec un outil dédié : AgroMetInfo. Il s’agit d’analyser le climat en cours de saison agricole et de voir comment il influe sur le développement des cultures, en collaboration avec Météo-France. Avec ce dispositif, on modélise les effets du climat sur un cycle cultural en chaque point du territoire national.

 

Nicole LadetRédactrice

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