Biodiversité 4 min

La communication est la clé d’une cohabitation durable

Une équipe de recherche du laboratoire Biologie fonctionnelle, insectes et interactions (BF2i) INRAE/INSA de Lyon, en collaboration avec l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon et le laboratoire Microbiologie, adaptation et pathogénie, vient de déchiffrer le dialogue moléculaire entre le charançon des céréales et sa bactérie symbiotique. Cette découverte a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Microbiome le 13 décembre 2023.

Publié le 15 janvier 2024

illustration La communication est la clé d’une cohabitation durable
© INRAE, BF2I

Tous les animaux vivent pendant une partie ou la totalité de leur vie en interaction étroite avec des microorganismes, souvent des bactéries ou des champignons. Ces microorganismes, qu’ils soient pathogènes ou bénéfiques, sont capables de déclencher de fortes réponses immunitaires chez les animaux hôtes. Les bactéries bénéfiques, malgré leur rôle indiscutable pour la survie de tous les organismes vivants, représentent ainsi un challenge immunitaire particulièrement important, puisqu’elles sont en contact permanent avec leur hôte. La question est donc de savoir comment l’hôte tolère puis contrôle ces bactéries bénéfiques. Et inversement, comment ces bactéries évitent-elles les défenses immunitaires de l’hôte ? Comme dans toute relation, tout est question de communication ! C’est ce que nous a appris le dernier dialogue moléculaire enregistré entre un insecte et sa bactérie symbiotique. 

La plupart des insectes nuisibles exploitant des milieux nutritionnellement déséquilibrés vivent en association symbiotique avec des bactéries intracellulaires (endosymbiotes) qui complètent leur alimentation, améliorant ainsi leurs pouvoirs adaptatif et invasif. Le charançon des céréales (Sitophilus oryzae), un insecte d’environ 3 mm appartenant à l’ordre des coléoptères, est considéré comme l’insecte ravageur le plus destructeur des stocks de céréales. Capable de détruire des stocks entiers de céréales comme le maïs, le riz, le blé ou le sorgho, et d’autres légumineuses comme les lentilles, le pois, le seigle ou les haricots, le charançon représente une menace importante pour la sécurité alimentaire, notamment dans les pays émergents. Mais il n’est pas tout seul ! Il doit en grande partie cette capacité dévastatrice à son partenaire bactérien qui lui fournit tout ce qu’il ne trouve pas comme nutriment dans les céréales. 

Dans des travaux précédents, l’équipe SymSIm (Symbiose : signalisations immunitaires) du laboratoire Biologie fonctionnelle, insectes et interactions avait montré que la quantité de bactéries hébergées par le charançon n’est pas stable au cours de la vie de l’insecte mais s’ajuste à ses besoins physiologiques et développementaux, suggérant ainsi l’existence d’un dialogue permanent entre les deux partenaires symbiotiques. Dans la présente étude, l’équipe a décrypté le dialogue moléculaire qui s’opère entre l’hôte et les bactéries symbiotiques tout au long du développement du charançon en combinant des techniques de pointe en biologie et en bioinformatique. Grâce à la technologie de « dual-RNA-seq », une nouvelle approche transcriptomique permettant d’analyser simultanément l'expression des gènes des deux partenaires, l’équipe a montré que derrière une relation mutuelle quasi irréprochable, il existe un dialogue permanent doublé d’une course aux armements constante dans laquelle différents processus biologiques sont imbriqués et corégulés. La découverte de ce « dictionnaire charançon-bactérie » permet de comprendre, entre autres, comment l’insecte laisse la bactérie se multiplier à l’aube du stade adulte, quand il a fortement besoins d’elle pour fabriquer sa carapace, la cuticule, et comment il la prive ensuite de certains nutriments nécessaires à sa survie quand sa cuticule est achevée et que les bactéries deviennent désormais un fardeau.

Les résultats obtenus ouvrent de nombreuses perspectives académiques et opérationnelles. Sur les plans agronomique et médical, ce travail fournit plusieurs leviers génétiques sur lesquels pourront s’appuyer les chercheurs pour perturber et/ou rompre la relation entre les bactéries et leurs hôtes infestés.

Voir la vidéo

RÉFÉRENCE
Ferrarini M. G., Vallier A., Vincent-Monégat C. et al. (2023). Coordinated host and endosymbiont gene expression unravels major developmental constraints in the cereal weevil Sitophilus spp. Microbiome. https://dx.doi.org/10.1186/s40168-023-01714-8

Nicolas PARISOTRédacteur

Contacts

Nicolas Parisot ChercheurBiologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions (BF2i)

Abdelaziz Heddi ChercheurBiologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions (BF2i)

Le centre

Le département

En savoir plus

Biodiversité

Pollinisation : il faut également compter sur les charançons !

Les charançons sont des insectes qui ont plutôt mauvaise réputation en tant que ravageurs, à la fois aux yeux du grand public mais également pour bon nombre de scientifiques. Deux études récentes, publiées par des chercheurs d’INRAE, du Cirad, et du Field Museum of Natural History de Chicago, montrent que ces coléoptères jouent pourtant un rôle prépondérant dans la pollinisation des plantes tropicales.

03 novembre 2023

Alimentation, santé globale

Le génome du charançon des céréales déchiffré : un outil supplémentaire pour lutter contre ce ravageur

COMMUNIQUE DE PRESSE - Un consortium international, impliquant INRAE et l’INSA Lyon, vient de déchiffrer le génome du charançon des céréales : l’insecte ravageur majeur des céréales en champs et en silo dans les pays en développement, est une véritable menace pour leur sécurité alimentaire. L’analyse fine de ce génome montre une abondance de séquences répétées, en potentielle association avec la présence d’une bactérie symbiotique qui assure la survie du charançon. Des résultats parus le 9 novembre dans la revue BMC Biology, qui élargissent le champ des possibles dans la lutte contre ce ravageur.

09 novembre 2021

Biodiversité

La métamorphose, un confinement biologique pendant lequel le charançon des céréales prépare une nouvelle vie avec sa bactérie endosymbiotique

Des chercheurs de l’unité Biologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions (INRAE/INSA de Lyon) ont montré dans une étude publiée dans la revue PNAS comment des insectes holométaboles, c’est-à-dire se transformant complètement à la métamorphose, réussissent à conserver leurs bactéries symbiotiques en passant du stade larvaire au stade adulte. Non seulement l’insecte conserve ses bactéries bénéfiques suite aux réarrangements tissulaires opérant pendant la métamorphose, mais il en « profite » pour les relocaliser, optimisant ainsi leurs apports au stade adulte.

03 février 2021