Biodiversité 3 min

Combien de mâles pour les reines des abeilles Apis mellifera ?

Quelles conséquences sur l'évolution génétique d’une population d’abeilles mellifères soumise à sélection ?
Face aux pertes de colonies d’abeilles mellifères, les apiculteurs s’intéressent de plus en plus à l’amélioration génétique pour accroître la rusticité et la productivité de leurs colonies, car ces caractéristiques dépendent pour partie du patrimoine génétique des populations d’abeilles utilisées.

Publié le 08 avril 2022

illustration Combien de mâles pour les reines des abeilles Apis mellifera ?
© INRAE T. Kistler

L’efficacité d’un programme d’amélioration génétique repose sur de nombreux paramètres qui dépendent à la fois des particularités biologiques de l’espèce et des moyens à disposition du sélectionneur. En général, le but d’un tel programme est d’adapter au mieux la population d’animaux à un contexte d’élevage particulier, et de maintenir au sein de la population une diversité génétique importante pour garantir sa pérennité. Chez les abeilles domestiques, il s’agit principalement d’améliorer leur capacité à survivre et rester en bonne santé malgré les nombreux défis auxquelles elles font face (espèces parasites et prédatrices invasives, baisse de la diversité florale des campagnes, intoxication aux pesticides…) afin de produire suffisamment de miel, à la fois pour leur subsistance et pour assurer aux apiculteurs de bonnes récoltes.

Toutefois, plusieurs spécificités biologiques de l’abeille domestique rendent son amélioration génétique plus complexe que celle d’espèces d’élevage classiques. Deux de ces spécificités sont particulièrement inconnues des espèces domestiques classiques :

- la polyandrie, c’est-à-dire l’accouplement d’une reine avec plusieurs mâles (appelés faux-bourdons), chacun fournissant des spermatozoïdes (tous identiques pour un mâle donné) que la reine stocke dans une spermathèque (un organe spécialisé situé dans l’abdomen) pour le reste de sa vie.

- la complexité des caractères d’intérêt apicole qui sont mesurés à l’échelle de la seule ruche, mais correspondent à l’expression des performances de milliers d’ouvrières qui ne sont pas observables au niveau individuel.

Afin d’obtenir des colonies très homogènes, certains apiculteur-sélectionneurs accouplent leurs reines vierges par insémination artificielle avec un unique mâle au lieu des dix à vingt faux-bourdons usuellement employés. De la sorte, toutes les ouvrières partagent le même père et sont génétiquement très proches. Les caractéristiques spécifiques d’une colonie s’expriment alors plus nettement et les bonnes colonies sont plus faciles à identifier. Cela réduit la diversité génétique au sein de la ruche, mais aussi au sein de la population toute entière en augmentant le niveau de consanguinité des reines au cours des générations successives de sélection.

Les conséquences génétiques à long terme de cette méthode de reproduction n’avaient jamais été explorées. L’augmentation de consanguinité associée à ce mode d’accouplement de la reine avec un unique mâle est-elle compensée par l’accélération du progrès génétique attendue ? C’est ce que les scientifiques ont voulu quantifier à l’aide de simulations.

Résultats

En modélisant les valeurs génétiques individuelles des reines, des faux-bourdons, des groupes d’ouvrières et les caractères complexes qui en résultent à l’échelle des colonies, les scientifiques ont comparé l’effet de la monoandrie (accouplement réalisé avec un seul mâle) à celui de la polyandrie sur l’évolution des performances des ouvrières et de la consanguinité des reines selon diverses stratégies de sélection génétique des reines. Ils se sont alors intéressés à l’évolution des performances des colonies et de la consanguinité dans les différentes populations simulées.

Les résultats ne sont pas en faveur de l’insémination avec un mâle unique : un programme de sélection qui utiliserait pendant 20 ans l’insémination par un seul mâle verrait la consanguinité moyenne des reines accrue de 50% par rapport à une reproduction en polyandrie, sans pour autant améliorer significativement les performances des colonies.

Perspectives

Cette étude montre que la pratique d’insémination à un mâle envisagée par certains apiculteurs-sélectionneurs pour améliorer leurs souches sur certains caractères difficiles à sélectionner comme la résistance au parasite Varroa destructor n’est en fait pas une voie à privilégier puisqu’elle ne permet pas un progrès plus rapide et fait courir un risque génétique fort à leurs populations d’abeille en réduisant fortement leur diversité génétique et leurs capacités d’adaptation sur le long terme. Elle met également en lumière le besoin d’accroître la taille des populations d’abeilles mellifères en sélection.

Références :

Kistler, T., Basso, B. & Phocas, F. A simulation study of a honeybee breeding scheme accounting for polyandry, direct and maternal effects on colony performance. Genet Sel Evol 53, 71 (2021). https://doi.org/10.1186/s12711-021-00665-8

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