Agroécologie 6 min

Associer recherche d'autonomie et diversification dans les exploitations de polyculture-élevage

Produire une alimentation variée et locale tout en limitant l'usage des ressources naturelles. C'est à ce défi que se sont attelés les scientifiques d'INRAE. Sur la ferme expérimentale de l'unité de recherche ASTER Mirecourt, l’évaluation d’une expérimentation conduite sur le temps long a montré l’intérêt des systèmes agricoles autonomes associant une diversité de productions animales et végétales pour en accroître la durabilité. Cependant, pour garantir l’autonomie fourragère en cas d'aléas climatiques, les chercheurs soulignent l'importance de mettre en place des dispositifs de régulation interannuels.

Publié le 12 février 2024

illustration Associer recherche d'autonomie et diversification dans les exploitations de polyculture-élevage
© INRAE - ASTER Mirecourt

Au cours du dernier demi-siècle, les pratiques agricoles en Europe occidentale ont évolué vers une intensification et une spécialisation des exploitations, entraînant une déconnexion entre agriculture et alimentation à l'échelle mondiale, mais aussi plus localement, une spécialisation des territoires en production animale ou végétale. Aujourd'hui, l’augmentation du coût de l’énergie, le changement climatique et les changements plus globaux, ainsi que les incertitudes croissantes sur la disponibilité de denrées alimentaires, remettent sur le devant de la scène politique et sociétale les questions d’accès aux ressources (fertilisants, carburants…), mais aussi des priorisations de leurs usages pour produire notre alimentation. Pour réduire le degré de dépendance des exploitations vis-à-vis des intrants, et améliorer la durabilité de l'agriculture, les systèmes qui intègrent des productions végétales et animales suscitent un regain d’intérêt. Au-delà, la diversification devient une voie à explorer pour accompagner les transitions agricoles et alimentaires et répondre aux attentes de la société en matière de diversité de produits alimentaires disponibles. C'est au niveau de l'exploitation que les scientifiques de l'unité de recherche ASTER et de l’unité mixte de recherche SELMET ont choisi d'explorer l'intérêt de la diversification couplée à la recherche d’autonomie.

Un dispositif expérimental de long terme pour analyser l'intérêt de la diversification en polyculture-élevage

Dans les Vosges, sur l’installation expérimentale de l'unité de recherche ASTER-Mirecourt d'INRAE, les scientifiques ont évalué les performances d’une expérimentation de long terme conçue « pas à pas » et fondée sur deux configurations de polyculture-élevage autonomes et conduites en agriculture biologique : une configuration orientée « bovin lait », et une configuration orientée « diversification végétale et animale pour l’alimentation humaine ». Ces deux modalités ont été mises en œuvre successivement, sur la même exploitation agricole depuis 2006. La première a été étudiée de 2011 à 2015, et la seconde de 2018 à 2020. Entre les deux, un temps de transition a été consacré à la conception et la mise en œuvre de la configuration plus diversifiée, à partir de l'expérience acquise sur l'exploitation, d'échanges, et de la connaissance des dynamiques d'acteurs sur le territoire. La recherche d’autonomie, la diversification des espèces, le recyclage des nutriments, la régulation biologique et la restauration des liens entre production agricole et alimentation ont été au cœur de cette approche. En particulier, le fait d’allouer les cultures annuelles exclusivement à la production de denrées destinées à l’alimentation humaine a constitué un choix fort dans la conception du système plus diversifié. Les conduites d’élevage des bovins ont été adaptées (élevage des génisses de renouvellement par des vaches nourrices, monotraite) pour libérer des surfaces fourragères et du temps de travail à destination de la diversification animale (porcs à l’engraissement et ovins en plein air intégral) et végétale. Les ruminants sont nourris exclusivement à l’herbe (pâturage, foins, zéro concentré).

Description détaillée des deux configurations de polyculture-élevage étudiées

À partir de l'analyse des flux de nutriments entre composantes du système et avec son environnement (exprimés dans ces travaux en flux d'azote), les équipes de recherche ont évalué les performances de ces deux systèmes en termes de productivité, d’autonomie et d'efficience, de manière à apprécier leur capacité à produire une alimentation diversifiée et en quantité tout en limitant l'utilisation de ressources non renouvelables. L'efficience est considérée sous l’angle de l’efficience alimentaire, à savoir le rapport entre la production d'aliments pour l'alimentation humaine et la quantité de ressources nécessaires pour parvenir à cette production.

Flux d'azote système diversifié ASTER MIrecourt

Trouver le bon compromis entre autonomie et productivité

Dans les deux configurations de systèmes polyculture-élevage étudiées, les observations montrent que l’autonomie azotée des systèmes s’appuie à 75 % sur des flux d’intégration cultures-élevages (alimentation animale, fumure organique) et à 25 % sur des intrants renouvelables (pas d’achat de fourrages ou matières fertilisantes). Ces intrants renouvelables sont composés à 70 % de fixation d’azote par les légumineuses (trèfles, luzerne, pois, lentilles) et à 30% de dépôts atmosphériques. Cela conforte l'intérêt de la diversification et des synergies possibles entre cultures et élevages pour assurer l'autonomie des exploitations, tant en termes d’affouragement que de fertilisation.

Les scientifiques constatent que la productivité du système spécialisé (protéines produites par unité de surface) est plus élevée que dans le système diversifié. Cela s'explique par le fait que, dans la configuration diversifiée, le passage en monotraite et la diminution des effectifs animaux (liée pour partie à la diminution de la surface fourragère et pour partie à des sécheresses récurrentes sur la période 2017-2020 étudiée) induisent une moindre production de lait et viande, qui n’est pas entièrement compensée par l’augmentation de la productivité alimentaire des cultures. En revanche, les résultats montrent que le système diversifié est plus efficace que le système spécialisé pour produire des denrées alimentaires à partir des ressources qu’il mobilise, en particulier en lien avec les choix de conduite technique dans le système spécialisé (zéro concentré pour les ruminants, cultures pour l’alimentation humaine). Par ailleurs, dans les deux configurations étudiées, l’efficience globale, vue à l’échelle de la ferme (ensemble des denrées alimentaires produites par rapport aux intrants) est supérieure à l’efficience partielle de chaque production, ce qui conforte l’intérêt d’intégrer productions animales et végétales, de manière à recycler les nutriments à disposition (co-produits, déjections animales) et limiter les pertes associées.

Ces travaux confirment l'intérêt des systèmes agricoles intégrés et diversifiés pour répondre aux enjeux de transition agroécologique, à l’échelle de la ferme, et de prendre en considération la dimension « alimentation humaine » dans l’analyse des performances des systèmes agricoles. L'expérience souligne néanmoins l'importance de la capacité de stockage du système (fourrages par exemple) pour assurer l’autonomie du système face aux aléas météorologiques. De nouveaux travaux sont en cours afin d'élargir l'analyse à d’autres nutriments ou encore à l’énergie mobilisée, et d’étudier les dynamiques sur le temps long de ces systèmes autonomes et diversifiés.

 

Références

  • Puech T., Stark F.  (2023). Diversification of an integrated crop-livestock system: Agroecological and food production assessment at farm scale. Agriculture, Ecosystems & Environment, 344, 108300. 10.1016/j.agee.2022.108300. hal-03897940
  • Puech T., Durpoix A., Autret B. et al. (2023). Construction et implications de l’autonomie protéique fourragère dans un système de polyculture-élevage diversifié : Témoignage à partir du projet PAPILLE mené sur l’installation expérimentale d’ASTER. Fourrages, 254, 15-26. hal-04174091
  • Puech T., Stark F. Évaluation du fonctionnement, des performances et de l’efficience alimentaire de deux systèmes de polyculture-élevage : premiers enseignements de la diversification en systèmes autonomes. 26es Journées Rencontres Recherches Ruminants, INRAE; IDELE, Déc 2022, Paris, 497-501. hal-03897841

 

En savoir plus

Agroécologie

Les fermes d’élevage qui favorisent la biodiversité, une source d’inspiration

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Les fermes d'élevage qui préservent la biodiversité seraient une source d’inspiration à suivre ! Une information positive pour la planète qui est tirée de la conclusion d'une étude, nous dévoilant comment la façon de concevoir et gérer une ferme peut constituer un coup de pouce pour la nature. Des résultats parus dans la revue Agricultural Systems en janvier 2024.

08 janvier 2024

Agroécologie

Quelle place pour les ressources atypiques dans les systèmes de polyculture-élevage bovin ?

Pour explorer des solutions durables en polyculture-élevage, les équipes de recherche de l’unité expérimentale INRAE de Saint-Laurent-de-la-Prée et de l’unité de recherche ASTER-Mirecourt ont analysé les usages et les perspectives d’utilisation de ressources végétales atypiques dans 4 exploitations d’élevage bovin de l’Ouest de la France. Ces ressources complètent les aliments traditionnels et se révèlent particulièrement utiles pour alimenter les animaux au pâturage lors de périodes de déficits fourragers – en cas de sécheresses estivales - et pour constituer des réserves hivernales de fourrages ou de litière.

02 février 2024