illustration Thierry Candresse, un naturaliste chez les virus
© INRAE, Bertrand Nicolas

Agroécologie 5 min

Thierry Candresse, un naturaliste chez les virus

Insatiable observateur de la nature, spécialiste des arbres fruitiers et initiateur des approches du virome des plantes, Thierry Candresse est un virologue internationalement reconnu. Thierry Candresse, directeur de recherche à INRAE Nouvelle-Aquitaine-Bordeaux, s’est investi dans la recherche, le management de la recherche, l’encadrement d’étudiants et l’appui aux professionnels. Pour l’ensemble de sa carrière, il reçoit le Grand Prix des Lauriers INRAE 2022.

Publié le 28 novembre 2022

 

Le nouveau virus reste le plus beau

Les naturalistes, vous savez ceux qui observent et étudient la nature ? Ce travail au grand air attirait Thierry depuis les bancs de l’école. Il fera de la botanique et de l’ornithologie durant ses loisirs mais, étudiant à l’INA-PG, il s’intéresse à la pathologie végétale. Une thèse dans le laboratoire de virologie de Josy Bové, en tant qu’attaché scientifique contractuel à l’INRAE de Bordeaux, suivie d’un postdoc en biologie moléculaire virale aux États-Unis… Les rencontres et les opportunités l’ont amené à devenir un naturaliste des virus. Il nous entraine, avec beaucoup d’enthousiasme dans ce nanomonde, encore largement à explorer : « ce qui est passionnant, c’est le côté naturaliste ». Intarissable, il explique : « La diversité des virus est sans commune mesure avec les autres formes de vie. Ils n’ont aucun dénominateur commun. » Longtemps, les virus n’ont pu être étudiés qu’à partir des symptômes et des dégâts qu’ils causaient. Aujourd’hui, on identifie un virus via son ARN (molécule d’acide nucléique qui porte l’information génétique du virus). Pour certains groupes viraux, 90 % de ce qu’on trouve est nouveau. Et pour Thierry, « le nouveau virus reste le plus beau ».

Un nanomonde accessible par le virome

Pionnier des approches du virome

Les virus ne connaissent pas de frontières et, au fil des collaborations, Thierry est devenu internationalement reconnu à la fois pour ses travaux sur la virologie des arbres fruitiers et pour ses approches du virome, dont il a été un pionnier. « Cela implique aussi de ne pas s’intéresser qu’à son virus à soi ! », précise-t-il. Le virome ? C’est l’ensemble des virus présents dans un échantillon, une population ou un milieu. Son outil d’exploration principal est le séquenceur haut débit allié à la bioinformatique.

À peine arrivés, il nous entraine vers une parcelle de châtaigniers présentant des symptômes de mosaïque : retour sur un « cold case » de la pathologie végétale, une maladie décrite il y a plus de 60 ans mais dont le virus causal restait inconnu. Thierry vient seulement de l’identifier, en collaboration avec des collègues italiens. Un test de diagnostic a pu être mis au point en collaboration avec le CTIFL (Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes) pour garantir la production de plants et porte-greffes sains. Revenus au labo, Thierry nous évoque ses travaux sur les virus des grandes cultures transmis par des insectes, comme la jaunisse de la betterave ou la jaunisse nanisante des céréales à paille. Durant 20 ans ces virus étaient contrôlés avec des insecticides néonicotinoïdes et n’ont plus fait l’objet de recherches. Mais pour s’affranchir de ces pesticides, il faut désormais « refaire les bases car des pans entiers de connaissance sont à présent à revisiter », explique-t-il. Avec des collègues microbiologistes, il a par ailleurs forgé le concept de pathobiome. Il s’agit d’étudier les interactions microbiennes qui interfèrent avec les agents pathogènes et leur relation à l’hôte. Des connaissances qui devraient permettre de suggérer de nouvelles solutions de lutte alternatives aux produits phytopharmaceutiques.

Apporter des solutions de lutte

Le virome est devenu accessible par la révolution du haut débit, un virage effectué à la toute fin des années 2000 par Thierry alors que ces techniques étaient encore peu développées : « on a pris ce train-là, on y est toujours ». Ses premières recherches s’appliquent aux virus des arbres fruitiers, dont celui de la sharka, maladie aux forts impacts économiques. À l’occasion de travaux sur la mosaïque de la laitue, il explore les potyvirus et leurs interactions avec les plantes. Il apporte, avec son équipe, la preuve que le mécanisme de résistance génétique est le même que celui identifié chez le poivron contre un autre virus par ses collègues d’Avignon : donc un mécanisme assez transversal dans le règne végétal. Grâce à ces différentes connaissances, Thierry et son équipe ont mis au point de nombreux tests de diagnostic, « l’une des clés de la lutte ». Ils ont aidé au développement de variétés résistantes et de méthodes de lutte, et formulé des recommandations pour les pouvoirs publics. Ainsi, il a effectué 8 ans d’expertise auprès de l’autorité de santé européenne (EFSA), participant à définir et mettre à jour les listes d’organismes de quarantaine et les méthodologies d’évaluation des risques qu’ils engendrent.

Manager et enseigner, toujours avec une touche de fantaisie

Durant ses deux mandats de chef de département adjoint (1998-2006), Thierry accompagne la naissance et la structuration du département Santé des plantes et environnement d'INRAE. Puis il initie la création d’un institut fédératif de recherche sur les agrosciences, fort aujourd’hui d’une communauté de plus de 500 personnes. Il porte le projet de création d’une grande unité mixte de recherche avec l’université de Bordeaux, dont il assure la direction pendant 11 ans. Durant ce temps, il choisit de toujours garder un pied dans la recherche. Avec le recul, il apprécie qu’INRAE permette des développements de carrière très différents. La liberté et la confiance accordées ont été précieuses. L’articulation des structurations nationales et régionales a demandé un dialogue constant et pas mal de pédagogie ! Le Laurier ? Une reconnaissance qui fait plaisir et valorise aussi l’équipe ! « Je ne m’y attendais pas du tout au regard de ceux qui l’avaient déjà reçu », confie-t-il.

Le goût de transmettre

Et le terrain alors ? Il nous raconte qu’au cours d’une promenade sur le canal du Midi, il a trouvé des frênes avec de beaux symptômes viraux qu’il a ramenés au labo pour les analyser. « On y a trouvé un virus que des collègues allemands avaient déjà décrit sur frêne avec des symptômes comparables ». Plantes compagnes des cultures comme la morelle et plantes invasives feront l’objet d’investigations similaires… « C’est dispersif pour mon équipe mais ils me supportent avec mon côté “tout fou” », reconnaît-il. Cette même ouverture lui permet également de répondre à des demandes de professionnels sur des espèces en mal de recherches, comme récemment sur la carotte ou l’échalote.

Thierry a le goût de transmettre, conscient qu’« accueillir des étudiants en master dans un labo est un investissement pour recruter les meilleurs ». Si 40 % des scientifiques de l’unité sont des enseignants-chercheurs, pour sa part, il est impliqué dans une école doctorale de Bordeaux. « Il sait raconter la science en nous captivant », témoigne Déborah, l’une de ses thésardes. Au cours de sa carrière, Thierry aura su transmettre avec beaucoup de talent le virus de la recherche et du virome !

Equipe de Thierry Candresse

L'INTERNATIONAL ET L'EUROPE

Sur les 10 dernières années, plus de 80 % des publications de Thierry sont en collaboration avec des scientifiques d’autres pays et plus de la moitié pour l’ensemble de sa carrière. En tant que directeur d’unité, il a soutenu la formation d’un des premiers laboratoires internationaux associés, sur la biologie de fruits, avec l'université japonaise de Tsukuba. C’est avec l’Asie et l’Amérique latine que le chercheur a noué le plus de collaborations en dehors du continent européen. La structuration de la recherche européenne a été facilitante. Thierry cite par exemple un projet européen en cours pour mettre en réseaux des collections de virus nécessaires à l’élaboration de diagnostics, de vaccins, d’outils pour les sélectionneurs… Dernièrement, il s’est investi dans un projet de formation doctorale Marie Curie : « une super expérience et un gros dossier à monter ». Le projet formé avec 5 autres équipes européennes a été soumis 3 fois avant de franchir cette étape très sélective (5 % de réussite). Avec une collègue, il encadre deux doctorantes, qui bénéficient, avec les 13 autres étudiants du réseau, d’un enseignement commun complémentaire : sensibilisation à la propriété intellectuelle, au CV, à l’entretien, à l’écologie virale… Chaque étudiant est en outre accueilli dans deux autres labos de pays différents. C’est ainsi l’opportunité d’amplifier les collaborations et permet de confronter les pratiques doctorales des pays partenaires (Grande-Bretagne, Belgique, Espagne, Slovénie).

ET APRÈS ?

D’ici 2 ans, Thierry fera valoir ses droits à la retraite… Son plan d'ici là ? « Me mettre en retrait et garder du temps pour m’éclater en recherche ! Je n’ai jamais autant publié ! » Dans le cadre de 2 projets, il explore avec son équipe les virus de différents champignons pathogènes de la vigne. Ils recherchent en particulier s’ils pourraient avoir un rôle dans la pathologie complexe qu’est le dépérissement de la vigne, et ouvrir ainsi de nouvelles solutions de lutte. Avec comme terrain La Réunion et différents points du globe, il participe à un projet pour vérifier si biodiversité végétale plantes va ou non de pair avec une plus grande diversité de virus. L’idée est de valider si une hypothèse fondatrice de l’agroécologie – diversifier pour mieux réguler les espèces pathogènes – se vérifie aussi pour les virus. Un autre objectif est d’évaluer si certaines plantes invasives le deviennent parce qu’elles sont affranchies de leur cortège de pathogènes. Il analyse, pour un autre projet, le virome du colza et du blé en vue de comprendre si et comment le virome contribue au pathobiome de ces plantes, l’objectif à long terme étant là encore de réduire le recours aux pesticides.

MINI-CV
Veuf, 1 fille

  • Formation
    1994 : Habilitation à diriger des recherches
    1985-86 : Post-doc à l’USDA-ARS, Beltville (États-Unis)
    1984 : Thèse en virologie végétale
    1981 : Ingénieur agronome INA-PG
  • Parcours
    2011-2022 : Directeur de l’UMR Biologie du fruit, INRAE
    2001-2015 : Directeur de l’institut fédératif de recherche Biologie végétale intégrative, puis directeur-adjoint de la structure fédérative Biologie intégrative et écologie, INRAE
  • Loisirs
    Botanique, ornithologie, mycologie
    Amateur de vins, féru de cuisine.

Notes :
IFR : institut fédératif de recherche
UMR : unité mixte de recherche
CTIFL : Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes
ARN viral : molécule d'acide nucléique qui porte l'information génétique du virus

Nicole LadetRédactrice

Contacts

Thierry Candresse UMR Biologie du fruit et pathologie (INRAE, UNiv. Bordeaux)

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