Agroécologie 4 min

La téosinte, une « mauvaise herbe » venue du Mexique qui se développe en Europe grâce à son évolution génétique

Les téosintes sont des graminées endémiques du Mexique appartenant à la même espèce que le maïs. La présence de populations de téosintes a été signalée dans des champs de maïs en France et en Espagne. Cette adventice (ou « mauvaise herbe ») exige une vigilance particulière car elle peut provoquer jusqu’à 50 % de perte de rendement. Des chercheurs d’INRAE, du CNRS et de l’IRD ont étudié les caractéristiques génétiques des téosintes présentes en France. Ils ont mis en évidence des échanges génétiques avec des variétés de maïs cultivées en Europe qui ont permis aux téosintes d’acquérir une précocité de floraison, ainsi qu’une résistance à des herbicides. Cette étude souligne que des échanges génétiques avec une culture apparentée peuvent permettre l’adaptation rapide d’une espèce exotique introduite et son établissement comme adventice des cultures. Elle invite à ne pas sous-estimer les processus d’évolution génétique dans l’évaluation du risque de naturalisation des espèces exotiques.

Publié le 29 avril 2021

illustration La téosinte, une « mauvaise herbe » venue du Mexique qui se développe en Europe grâce à son évolution génétique
© Valérie LE CORRE

Des origines mexicaines

Les téosintes annuelles sont des graminées endémiques du Mexique appartenant à la même espèce que le maïs cultivé (Zea mays ssp mays). Parmi elles, on distingue deux sous-espèces : la sous-espèce parviglumis, de basse altitude, à partir de laquelle le maïs a été domestiqué et la sous-espèce mexicana, des hauts plateaux mexicains. La présence de populations de téosinte en culture de maïs a été signalée à partir des années 90 dans l’ouest de la France, et à partir des années 2010 dans le nord de l’Espagne. 

La téosinte est considérée comme une plante adventice dans les cultures de maïs car elle y pousse sans y avoir été intentionnellement installée. Elle est tout à fait capable de se reproduire et se maintenir dans les parcelles cultivées, malgré des tentatives d’éradication. Très proche du maïs, la téosinte peut fortement le concurrencer et peut occasionner des pertes de rendement considérables. Le principal mode de propagation de cette plante adventice semble être le nettoyage imparfait du matériel agricole utilisé lors de la récolte du maïs.

Des gènes pour une floraison plus précoce et une résistance aux herbicides

L'introgression, résultant du transfert de matériel génétique par hybridation, peut jouer un rôle important dans l’établissement d’une espèce envahissante dans un nouvel environnement, en permettant d’acquérir rapidement des caractères avantageux. Chez les plantes, l'hybridation d’une espèce sauvage avec une espèce cultivée peut générer une plante adventice qui possède à la fois des adaptations au milieu cultivé (par exemple, un mimétisme avec la culture) et des caractères hérités du parent sauvage qui favorisent sa prolifération et sa persistance (par exemple, la production de nombreuses graines facilement dispersées).

En analysant la variation génétique sur l’ensemble du génome des téosintes Européennes, les chercheurs ont montré qu’elles sont apparentées à la sous-espèce mexicana, mais que leur génome contient aussi des régions héritées de variétés de maïs tempérées (12 % du génome en moyenne chez les téosintes Françaises). Parmi ces régions, deux contiennent des gènes qui ont pu contribuer à l’établissement des téosintes en France. 

La première région contient ZCN8, un gène majeur de précocité de la floraison. Ce gène a été sélectionné chez le maïs pour obtenir des variétés précoces pouvant être cultivées sous les latitudes tempérées. Les téosintes mexicana du Mexique ne fleurissent pas, ou très tardivement, sous les latitudes Européennes. Cependant les téosintes établies en France ont une période de floraison synchrone avec le maïs. La seconde région introgressée contient un allèle mutant du gène ACC1 provenant de variétés de maïs tolérantes à un herbicide. Cet allèle, qui confère une résistance à des herbicides anti-graminées, est présent à fortes fréquences dans les populations de téosintes Françaises.

Des échanges génétiques pour s’adapter à son environnement

Le cas de la téosinte permet de mieux comprendre l’évolution des plantes adventices apparentées aux cultures et l’équilibre complexe entre le maintien du caractère adventice et l’incorporation de caractères favorables d’origine domestiquée. Il met aussi en lumière la réciprocité des relations entre plantes sauvages et cultivées. Alors que la téosinte mexicana a contribué anciennement à l’adaptation du maïs cultivé aux hautes altitudes, on observe aujourd’hui à la faveur d’un événement d’introduction accidentel que les échanges génétiques avec le maïs lui permettent à son tour de s’adapter à un nouvel environnement.

 

Référence :
Valérie Le Corre, Mathieu Siol, Yves Vigouroux, Maud I. Tenaillon, Christophe Délye (2020) Adaptive introgression from maize has facilitated the establishment of teosinte as a noxious weed in Europe. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America. https://doi.org/10.1073/pnas.2006633117