illustration Rut Carballido-López, femme de science très simplement
© INRAE, NICOLAS Bertrand

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Rut Carballido-López, femme de science très simplement

Les yeux qui pétillent, un brin d’accent catalan qui chante… Derrière des allures que l’on pourrait presque croire nonchalantes, s’abrite une scientifique passionnée, spécialiste du développement cellulaire des Procaryotes, reconnue à l’international, bien dans sa peau et dans son Institut. Volubile autant qu’enjouée, Rut Carballido-López, directrice de recherche Inra au sein de l’unité Microbiologie de l’alimentation au service de la santé, nous livre avec passion et simplicité sa (ô combien) riche carrière.

Publié le 20 mai 2019

Qu’est-ce qui pouvait bien destiner la petite fille épanouie, curieuse et dynamique qu’était Rut Carballido-López à devenir une spécialiste mondiale du cytosquelette bactérien, responsable du pôle Microbiologie des systèmes et de synthèse de l’unité Microbiologie de l’alimentation au service de la santé – Micalis dont elle est également directrice-adjointe ?

Bonne élève, Rut décroche un baccalauréat scientifique sans trop savoir à quoi se destiner. « Il y avait plein de choses qui me plaisaient ». Vétérinaire comme elle en avait longtemps rêvé, ingénieur pour creuser des puits d’eau en Afrique… elle hésite. L’inconnu lui tend cependant les bras et Rut part finalement à l’aventure « un peu comme on part en colonies de vacances », quittant l’Espagne pour la France à l’âge de 17 ans.

Au niveau humain, une aventure extraordinaire 

Sur le campus lyonnais de l’Insa, elle intègre la première promotion d'Eurinsa, un premier cycle de formation d'ingénieurs aux couleurs de l’Europe. Le temps passe, il faut choisir. La raison la pousse un très court instant vers l’option Génie civile et construction – où elle se voyait bien creuser en Afrique les fameux puits d’eau de ses rêves d’adolescente, mais son cœur et son intuition l’emportent. Les mystères du vivant l’appellent et ce sera la spécialité Génie biochimique. En dernière année d’études d’ingénieur, elle découvre la recherche en microbiologie et en biologie moléculaire qui la passionne.

Ingénieur diplômée, elle s’engage dans un troisième cycle de formation universitaire, réalisant une thèse à l'Université d'Oxford (GB) sur le « Cytosquelette bactérien – Détermination de la forme cellulaire chez Bacillus subtilis ». Son second stage post-doctoral sera décisif pour sa future carrière. Il la ramène en France où elle est recrutée à l’Inra, chargée de recherche au sein de l’unité de Génétique microbienne, aujourd’hui partie intégrante de l’unité Micalis.

Bâtonnet, ballon de rugby, virgule ou tire-bouchon… la forme des bactéries encore et toujours

Sphériques, hélicoïdales, allongées, incurvées ou encore fuselées, les bactéries peuvent avoir des formes variées. Dès sa thèse, Rut Carballido-López a contribué de manière décisive à montrer qu’elles possèdent un cytosquelette constitué d’homologues de l’actine eucaryote, qui contrôlent la forme de la paroi bactérienne, et donc des bactéries.

Fidèle à ses premières amours, le cytosquelette bactérien

Synthèse, organisation, régulation, fonction… Rut et ses équipes n’auront de cesse de caractériser le cytosquelette des bactéries d’autant qu’il joue également un rôle important dans de nombreux processus cellulaires - division, virulence, motilité et autres. Son modèle : Bacillus subtilis, une bactérie ubiquitaire en forme de bâtonnet que l’on rencontre habituellement dans le sol et le tractus intestinal.

Forte d’une approche pluridisciplinaire, au fil des ans, Rut Carballido-López a également développé et mis à profit les techniques les plus pointues de microscopie à fluorescence afin de visualiser de façon optimale le cytosquelette bactérien et ses protéines associées. Quoi de plus excitant que de pouvoir suivre en temps réel la dynamique en jeu dans le recrutement, l’assemblage, le maintien, et finalement le démontage des structures subcellulaires bactériennes !

Aujourd’hui, Rut élargit son champ d’investigation à la paroi bactérienne et à d’autres processus cellulaires dans lesquels celle-ci est impliquée : la compétence - c’est-à-dire la capacité des bactéries à introduire de l’ADN étranger par le phénomène de transformation génétique, la sporulation - c’est-à-dire l’aptitude des bactéries à se différencier en formes de survie, la sécrétion ou encore l’infection par les bactériophages, c’est-à-dire des virus qui n’infectent que les bactéries.

Ce sont nos recherches qui tracent notre chemin  

Cette apparente diversité de sujets repose en fait sur un enjeu unique et essentiel de santé publique, la résistance aux antibiotiques, dans la mesure où une meilleure compréhension de ces processus pourrait permettre d'identifier de nouveaux antibiotiques et de lutter contre le développement des souches bactériennes multi-résistantes ou contre la formation et la libération de spores susceptibles de contaminer la chaîne alimentaire. Elle traduit également des ambitions de recherche conséquentes que partagent Rut Carballido-López et son équipe soit quelque 12 personnes, un peu plus ou un peu moins selon les financements en cours et donc les départs et arrivées de stagiaires, post-doctorants et doctorants.

Elle s’articule enfin autour des compétences de Rut, connaissances, savoir-faire et savoir-être que saluent, depuis de nombreuses années, des prix et distinctions que collectionne Rut, un peu comme d’autres collectionnent les timbres, modestement, minutieusement et presque systématiquement. Le dernier en date et pas des moindres est une bourse Consolidator Grant du Conseil européen de la recherche que Rut s’est vue décerner en 2017. Elle lui permet de poursuivre ses travaux sur la morphogénèse des bactéries avec des perspectives d’intérêt quant aux modes d’action des antibiotiques.

Des activités au service du collectif

Au gré des années, Rut s’est engagée dans l’enseignement et ouvert au collectif. Membre de comités divers et variés, éditeur de la revue The Cell Surface - un journal du groupe éditorial Elsevier portant sur la recherche sur tous les aspects de la paroi cellulaire, co-fondatrice et coordinatrice du groupe sectoriel Microbiologie du programme EMBO YIP destiné aux meilleurs jeunes chercheurs en sciences de la vie en Europe… elle a aujourd’hui plus d’une corde à son arc. La parité lui tient également à cœur.

Plus près de nous, Rut Carballido-López est membre du Conseil scientifique de la région Île-de-France. Installée en juin 2018, cette instance compte 21 chercheurs. Choisis pour leurs parcours scientifiques d'exception et leur expérience internationale, ils sont appelés à porter un regard pluridisciplinaire sur les domaines d’action de la région qui présentent une dimension scientifique ou technologique. Même si le laboratoire est sa priorité, Rut vit intensément cette nouvelle expérience, trouvant là l’opportunité d’une ouverture intellectuelle incomparable pour celle qui aime dire que l’« on apprend beaucoup des autres ».



 

En savoir plus

Billaudeau C. et al. MreB Forms Subdiffraction Nanofilaments during Active Growth in Bacillus subtilis. mBio 10.1 (2019): e01879-18. Web. 23 April. 2019.

Krokowski S. et al. Septins Recognize and Entrap Dividing Bacterial Cells for Delivery to Lysosomes. Cell Host Microbe 24: 866 (2018).

Mirouze N. et al. Antibiotic sensitivity reveals that wall teichoic acids mediate DNA binding during competence in Bacillus subtilis. Nature Communications 9: 5072 (2018).

Godinho, L. M. et al. The Revisited Genome of Bacillus subtilis Bacteriophage SPP1. Viruses 10: 705 (2018).

Catherine Foucaud Rédactrice

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