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Le projet NOBEL pour l'amélioration et le maintien des services écosystémiques des forêts

Il est largement reconnu que les espaces forestiers produisent de nombreux biens et services comme le bois, le stockage du carbone, la conservation de la biodiversité, la protection des sols ou de l’eau. Mais bien souvent, la production de bois est la seule activité rémunératrice pour les propriétaires forestiers, alors que les autres services sont implicitement offerts à la société. L’objectif principal du projet NOBEL (Novel business models to sustainably supply forest ecosystem services) a été de réfléchir aux possibilités d’amélioration et de maintien des services écosystémiques des forêts et de soutien des propriétaires forestiers, à travers la conception et l’utilisation de nouveaux modèles commerciaux.

Publié le 14 mars 2023

illustration Le projet NOBEL pour l'amélioration et le maintien des services écosystémiques des forêts
© Owen Bradley

Ce projet, coordonné par l’University of Natural Resources and Life Sciences de Vienne, en Autriche (BOKU), impliquait également des partenaires allemands, espagnols, français, portugais et suédois.

Le projet s’est appuyé sur 5 études de cas en Europe, où non seulement les expériences des modèles commerciaux existants ont été évaluées mais de plus, de nouveaux mécanismes de mise en marché ont été développés et testés en appliquant une approche multiacteur. L'étude de cas française s'est concentrée sur la région Grand Est et a impliqué une coopération avec l'association « Des hommes des arbres » (DHDA) ainsi que le Centre régional de la propriété forestière (CRPF).

La contribution française s’est attachée à analyser et évaluer, à la lumière des politiques et stratégies françaises en la matière :

  • l'attitude des propriétaires forestiers vis-à-vis de la fourniture de services environnementaux ;
  • le consentement à payer des consommateurs (grand public) pour les services environnementaux fournis par les forêts ;
  • la conception et l'utilisation de mécanismes d'enchères pour le paiement des services environnementaux à travers des expériences économiques en laboratoire.

L’évaluation de l'attitude des propriétaires forestiers vis-à-vis de la fourniture de services environnementaux

 

Les opinions des propriétaires forestiers relatives à la mise en œuvre de marchés permettant de les rémunérer pour la fourniture de services écosystémiques varient selon le service considéré.

Les propriétaires forestiers privés sont des acteurs essentiels pour la fourniture de services écosystémiques et leurs opinions sont importantes pour le succès de la mise en place de nouveaux marchés.

Dans le cadre du projet NOBEL, une enquête a été menée auprès des propriétaires forestiers des différents pays impliqués (France, Portugal, Autriche, Suède). En France, nous avons interrogé 220 propriétaires forestiers du Grand Est par le biais d'une enquête en ligne.

En majorité, les propriétaires forestiers se déclarent peu ou pas familiers du concept de « service écosystémique », ce qui contraste avec la plutôt bonne reconnaissance de la fourniture des multiples services forestiers dans les politiques environnementales françaises. Les résultats des enquêtes similaires menées dans les autres pays ont mis en évidence un manque de connaissance du même ordre en Suède, alors que les propriétaires interrogés en Autriche et au Portugal semblent mieux informés. Cependant, la majorité des propriétaires en France et dans les autres pays semblent très ouverts à l’idée de développement de nouveaux marchés.

Ces nouveaux marchés pour services écosystémiques peuvent être organisés de multiples manières, comme par exemple des subventions publiques, des redevances d’utilisation (cueillette, etc.) ou des financements par des sociétés pour des projets améliorant la fourniture des services écosystémiques. Selon le service considéré, les propriétaires ont des perceptions différentes des possibilités de marché à créer.

La figure 1 montre que les propriétaires interrogés pensent :

  • Que la contribution de la forêt à la régulation du climat (effet sur le cycle du carbone) devrait être financée principalement par l’État ou des sociétés privées.
  • Que la fourniture de produits non ligneux (baies, champignons) devrait être directement financée par les utilisateurs.
  • Pour près d’un tiers d’entre eux, que la fourniture d’habitats pour les plantes et les animaux sauvages (biodiversité) ne devrait pas être subventionnée. De plus, 1 propriétaire sur 4 indique que cet apport de biodiversité mérite plus une reconnaissance sociale qu’un financement, confirmant ainsi l’attachement des propriétaires forestiers à la fourniture d’habitats naturels, même sans rétribution financière dans leurs forêts, et les résultats d’une enquête réalisée précédemment dans le PNR Ballon des Vosges (Abildtrup et al. 2021).

L’évaluation du consentement à payer des consommateurs pour les services environnementaux fournis par les forêts

 

Les Français sont disposés à payer pour les services environnementaux fournis par les forêts, mais ce consentement à payer est variable selon le type de forêt.

Ces dernières années, les initiatives de plateformes et entreprises finançant des projets forestiers par le biais de financements participatifs ou de parrainages d’entreprises en quête de compensation carbone ou de responsabilité sociale et environnementale se sont multipliés. Cependant, la connaissance des préférences des consommateurs/donateurs pour de tels projets forestiers est très limitée.

Pour combler cette lacune, une enquête auprès d’un échantillon représentatif de 2 181 adultes résidant en France métropolitaine a été menée. Une « expérimentation par les choix » consistant à proposer au répondant de choisir entre plusieurs scénarios fictifs d’aménagement forestier et de financement, a été présentée aux personnes interrogées, afin de déduire de leurs choix successifs un consentement à payer pour les différentes caractéristiques du projet (cf. figure 2).

Il a d’abord été expliqué aux personnes interrogées que, suite aux attaques de scolytes et autres aléas liés au changement climatique, de nombreuses surfaces boisées devaient être restaurées et adaptées aux conditions climatiques futures, mais que souvent les propriétaires forestiers n’étaient pas en capacité financière de mener de tels travaux. Ainsi, un fonds de subvention pour les propriétaires forestiers pourrait être anticipé et l’enquête proposée pourrait permettre de définir les exigences attendues pour bénéficier du soutien financier. Les projets fictifs proposés différaient selon plusieurs caractéristiques :
(1) le choix des essences à planter (essences natives variées ou pin de Douglas) ;
(2) la quantité annuelle de carbone séquestrée par le projet ;
(3) la possibilité ou non d’un usage récréatif sur les parcelles subventionnées ;
(4) l’additionnalité (financement possible uniquement pour les projets futurs ou subvention à postériori possible pour des projets de restauration déjà effectués en respectant le cahier des charges) ;
(5) prise en compte spécifique des habitats et de la biodiversité ;
(6) niveau et moyen de contribution financière (taxe ou don).

L’analyse statistique des réponses a permis d’estimer les consentements à payer moyens pour les différentes caractéristiques des projets (figure 3).

 

Les ménages sont particulièrement prêts à soutenir des projets prévoyant : l’implantation de peuplements d’essences indigènes mixtes, une absorption accrue de carbone, un accès libre pour la récréation, et une amélioration des habitats naturels. Nous n’avons pas trouvé de préférence significative en faveur de l’additionnalité (financement de nouveaux projets uniquement). Certains répondants préfèrent l’additionnalité, tandis que d’autres préfèrent inclure des projets déjà réalisés. Ce résultat est particulièrement intéressant en matière de politiques publiques, car la plupart des lignes directrices de paiement pour services environnementaux soutiennent l’additionnalité stricte, qui permet un meilleur ratio coût-efficacité, puisqu’elle permet de financer davantage de projets avec un même budget public. Il semble donc que, dans leurs préférences exprimées, les Français ne considèrent pas seulement l’efficacité de la politique mise en œuvre, mais aussi une certaine forme d’équité entre les propriétaires entreprenant des actions favorables à l’environnement.

La conception et l'utilisation de mécanismes d'enchères pour le paiement des services environnementaux : expériences économiques en laboratoire

Dans le cadre du projet NOBEL, la conception et l'utilisation de mécanismes d'enchères pour le paiement des services environnementaux ont fait l'objet d'expériences économiques effectuées par le Laboratoire d’économie expérimentale de Strasbourg (LEES).

Création de marchés pour les services écosystémiques forestiers : suites et perspectives du projet NOBEL

 

Le projet Nobel a permis de constituer un important réseau de chercheurs internationaux d’une part, et d’acteurs locaux impliqués dans le développement de nouveau mécanismes de marché pour la fourniture de services écosystémiques forestiers d’autre part.

Ce réseau d’acteurs s’est constitué notamment au fil d’une série d’entretiens avec les principales parties prenantes et trois ateliers participatifs. Deux ateliers ont été organisés avec des acteurs régionaux et nationaux représentant à la fois des propriétaires forestiers, des acheteurs de services écosystémiques et des décideurs politiques et le troisième atelier a réuni des propriétaires forestiers du Grand Est.

Si le projet Nobel (2019-2022) est officiellement terminé, la coopération engagée avec les partenaires et la valorisation des résultats obtenus se poursuivent. Ainsi, l’enquête visant à estimer les préférences de la population pour les projets de restauration forestière sera répliquée en Allemagne (université de Munich) et en Autriche (université de Vienne), permettant des comparaisons internationales. Plusieurs articles scientifiques sont en cours de publication.

Enfin, ces travaux vont se poursuivre plus largement dans le cadre d’une coopération de recherche entre INRAE, représenté par le BETA, et l’association DHDA (Des hommes et des arbres). Les objectifs généraux de ce travail viseront à faciliter la mise en œuvre concrète des marchés de services écosystémiques, notamment à travers la mise en place d’une plateforme de commercialisation des services écosystémiques (bourse de services écosystémiques) en partenariat avec les acteurs territoriaux.

 

Pour en savoir plus :

Site internet du projet NOBEL : https://nobel.boku.ac.at/

Ambroise, L., Abildtrup, J., Pülzl, H. (2022). Analysis of French forest policy in the context of ecosystem services: from the national to the regional level. Environmental Policy and Governance Journal 1-11. https://doi.org/10.1002/eet.2008

Kindu, M., Mai, T. L. N., Bingham, L. R., Borges, J. G., Abildtrup, J., Knoke, T. (2022). Auctioning approaches for ecosystem services – Evidence and applications. Science of The Total Environment, Volume 853, https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2022.158534

Abildtrup, A., Stenger, de Morogues, F., Polomé, P., Blondet, M., Michel, C. 2021. Biodiversity Protection in Private Forests: PES Schemes, Institutions and Prosocial Behavior. Forests 12(9), 1241. https://doi.org/10.3390/f12091241

Josset, C., Abildtrup, J., Stenger, A. 2021. Enquête auprès des propriétaires forestiers privés dans le GrandEst : comment valoriser les biens et les services fournis par sa forêt ? Rapport NOBEL. BETA, INRAE.

Tiet, T., J. Abildtrup, G. Boqueho, K. Boun My, A. Stenger "The role of mandatory and voluntary joint bidding in promoting efficiency in conservation auction”, Working Paper, 2022.