Alimentation, santé globale 3 min

Des pesticides historiques qui persistent et signent

Les pesticides organochlorés ont été utilisés depuis les années 40 principalement pour lutter contre certains insectes. Bien qu’interdits depuis de nombreuses années, leur grande persistance dans l’environnement et leur capacité à se stocker dans les tissus gras des organismes vivants en font toujours une source de préoccupation quant à l’exposition des populations et de leur impact sur la santé. Une étude menée par le LABERCA (UMR INRAE ONIRIS) en collaboration avec les unités INSERM 1069 (Tours) et 1085 (IRSET, Rennes) et les CHU de Tours, Angers, Nantes, Rennes, Brest et Pointe-à-Pitre apporte de nouvelles données quant à la réalité de cette exposition et contribue à l’évaluation du risque pour la santé. Elle met en évidence en particulier la nécessité d’une prise en compte de la coexposition à ces pesticides dans les études d’impact sur la santé.

Publié le 22 mars 2023

illustration Des pesticides historiques qui persistent et signent
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Les pesticides dits organochlorés (OCs), présentant un ou plusieurs atomes de chlore dans leur structure, ont été utilisés pour certains d’entre eux depuis les années 40, notamment en tant qu’insecticides. Interdits pour la plupart d’entre eux depuis plus de 40 ans en raison de leur impact néfaste sur la santé des écosystèmes et la santé humaine, ces composés, très stables, ont la capacité à persister dans l’environnement sur de très longues périodes (plusieurs décennies) et à s’accumuler dans les tissus gras des organismes vivants où ils demeurent présents sur le long terme. Ils peuvent ensuite être remis en circulation dans le sang, en particulier lors de phases de perte de poids importante et rapide, et avoir un impact néfaste sur la santé. Les sources d’exposition à ces molécules sont multiples et varient d’une sous-population à une autre, en fonction par exemple des habitudes alimentaires, ou encore de l’environnement de vie. Mieux connaitre la réalité de cette exposition aux principaux représentants de cette famille de contaminants est nécessaire pour asseoir une démarche d’évaluation des risques.

Dans cette étude, une mesure des niveaux de concentration d’une trentaine de pesticides OCs a été réalisée dans le tissu adipeux de 160 hommes (âge médian 65 ans), pour ensuite tester l’hypothèse d’un lien entre ces niveaux d’exposition et la présence d’un cancer de la prostate soit indolent (80 sujets) soit sévère et agressif (80 sujets). Ce travail a été conduit d’une part, sur un groupe d’individus vivant en France métropolitaine (110 sujets) et d’autre part, sur un groupe d’hommes vivant en Guadeloupe (50 sujets), 2 sous-populations attendues différentes sur le plan de cette exposition aux OCs.

Les résultats obtenus ont tout d’abord confirmé une différence d’exposition entre les 2 sous-populations étudiées, avec des niveaux d’exposition globalement 2 fois supérieurs environ pour la majorité des composés recherchés chez les hommes métropolitains. Les exceptions à cette observation générale concernent 3 substances, à savoir le Mirex, le DDT/DDE et le chlordécone, présentes à des niveaux plus importants chez les hommes guadeloupéens (cette dernière molécule n’étant détectée que dans la seconde sous-population). L’historique d’usage de ces substances, différent selon le facteur géographique, contribue à expliquer cette observation. Les résultats ont ensuite également montré la prédominance du DDE chez ce deuxième groupe. Ce principal produit de biotransformation (métabolite) du DDT représente ainsi plus de 50 % de l’exposition mesurée chez les hommes métropolitains et 75 % chez les hommes antillais. Les résultats n’ont enfin pas révélé d’association significative entre ces niveaux et profils d’exposition aux OCs et la sévérité ou l’agressivité du cancer de la prostate.

Cette étude a permis de caractériser la réalité de l’exposition aux pesticides OCs historiques, confirmant leur présence dans le tissu adipeux humain, pour 2 sous-populations soumises à des sources d’exposition différentes. Au-delà du cas particulier de l’exposition de la population antillaise au chlordécone, les résultats mettent en évidence la nécessaire prise en compte de la coexposition en mélange, en particulier pour les niveaux particulièrement élevés en DDT/DDE, dans les études visant à relier cette exposition et certains troubles de santé, en tenant compte également de possibles effets cocktail.

 

PARTENAIRES SCIENTIFIQUES : cette étude a été menée en collaboration entre le LABERCA, les unités INSERM 1069 (Tours) et 1085 (IRSET, Rennes), et les CHU de Tours, Angers, Nantes, Rennes, Brest et Pointe-à-Pitre.

FINANCEMENT : Ce projet a reçu un soutien financier du Cancérôpole Grand Ouest et des régions Bretagne, Pays-de-Loire et Centre-Val-de-Loire (Contrat RESCAP).

PUBLICATIONS ASSOCIÉES : Antignac J.P., Figiel S., Pinault M. et al. (2022). Persistent organochlorine pesticides in periprostatic adipose tissue from men with prostate cancer: Ethno-geographic variations, association with disease aggressiveness. Environmental Research, 114809. https://doi.org/10.1016/j.envres.2022.114809.

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