Biodiversité 3 min

La naissance du chromosome sexuel mâle chez le hareng atlantique

COMMUNIQUE DE PRESSE - L’évolution des chromosomes sexuels est un sujet crucial en biologie, car elle stabilise le mécanisme qui sous-tend la détermination sexuelle et aboutit en général à un sex-ratio équilibré. Un groupe international de scientifiques de différents organismes de recherches dont INRAE, et dirigé par des chercheurs de l’université d’Uppsala, a réussi à reconstruire la naissance du chromosome sexuel mâle chez le hareng atlantique. Minuscule, la région spécifique au sexe mâle de cette espèce ne contient que trois gènes : un facteur déterminant du sexe et deux gènes codant pour des protéines spermatiques. L’étude paraît ce jour dans PNAS.

Publié le 07 septembre 2020

illustration La naissance du chromosome sexuel mâle chez le hareng atlantique
© AdobeStock

Phénomène en général très ancien, l’évolution initiale des chromosomes sexuels est un sujet d’étude complexe, car le chromosome évolue et accumule rapidement des séquences répétitives. Chez l’être humain par exemple, la détermination sexuelle est régie par un système XY, et le sexe masculin est déterminé par la présence du chromosome Y. Établi il y a plus de 100 millions d’années, celui-ci a évolué à partir d’un chromosome identique à X, mais qui a perdu au fil du temps la plupart des gènes présents sur X, sa taille se réduisant à environ un tiers de celle de X. Le hareng atlantique est lui aussi doté d’un système XY, mais issu d’une évolution beaucoup plus récente. Chez cette espèce, le contenu génétique des chromosomes X et Y est presque identique. Seule différence, Y présente trois gènes supplémentaires : un facteur déterminant du sexe (BMPR1BBY), et deux gènes codant des protéines du sperme, présumés essentiels à la fertilité du mâle (Image 1).

Image 1. Comparaison des chromosomes X et Y chez l’humain et le hareng. Le chromosome Y âgé de l’humain est petit et contient peu de gènes. Le chromosome Y jeune du hareng conserve tous les gènes présents dans le chromosome X et présente trois gènes supplémentaires dans la région de détermination du sexe.

«Ce qui rend cette étude unique, c’est que nous sommes parvenus à reconstituer la naissance d’un chromosome sexuel», explique Nima Rafati, scientifique à l’université d’Uppsala et première co-auteure de l’article. «L’évolution du chromosome Y chez le hareng s’apparente en fait au processus qu’utilise mon fils pour construire ses Legos», poursuit Nima Rafati (Image 2). Deux des briques se sont formées suite à la duplication de deux gènes différents et à leur translocation sur une région devenue spécifique au mâle ne pouvant pas échanger de matériel génétique avec le chromosome X. Un troisième gène s’est ensuite inséré dans cette région spécifique, et a disparu du chromosome X.

Image 2. Reconstruction de la naissance d’un chromosome Y chez le hareng atlantique. L’évolution s’est produite en trois grandes étapes : 1) Duplication et translocation de BMPR1BB ; 2) Duplication et translocation de CATSPER3 ; 3) Insertion de CATSPERG dans le chromosome Y et sa perte sur le chromosome X. MYA : million d’années.

 

«Le gène spécifique au chromosome Y BMPR1BBY est sans aucun doute le facteur déterminant du sexe chez le hareng atlantique, dans la mesure où il appartient à une famille de protéines dont le rôle est critique à l’induction du développement testiculaire», précise Amaury Herpin, scientifique à INRAE et l’un des co-premiers auteurs de l’article. L’évolution de BMPR1BBY est un formidable exemple de l’évolution moléculaire en action. Elle montre comment des mutations aléatoires et la sélection naturelle peuvent «créer» un nouveau gène, continue Amaury Herpin. BMPR1BBY contient environ 50 mutations par rapport à sa copie autosomique, mais il conserve sa capacité à promouvoir le développement testiculaire et a développé la capacité à agir indépendamment d'une partie du cofacteur dont la copie autosomique a besoin, ce qui constitue  un raccourci à l’induction du développement de testicules.

Il avait déjà été suggéré que la seule présence d’un facteur déterminant du sexe n’était pas suffisante pour l’évolution d’un chromosome sexuel, laquelle nécessiterait l’association étroite d’un facteur déterminant du sexe et d’un ou plusieurs gènes bénéfiques au sexe en question, explique Manfred Schartl, professeur à l’université de Wurtzbourg et co-auteur de l’étude. «C’est exactement ce que l’on observe dans le chromosome Y du hareng, un facteur déterminant du mâle (BMPR1BBY) et deux gènes de protéines spermatiques présumés essentiels à la fertilité du mâle». 

«Nous travaillons à présent sur une étude complémentaire consacrée à l’assemblage du génome du sprat», annonce Leif Andersson, professeur à l’université d’Uppsala et directeur de l’étude. « Le sprat est un parent proche du hareng, et cette analyse nous permettra d’estimer plus précisément de quand date l’évolution de ce chromosome Y, son niveau de stabilité et la vitesse à laquelle il évolue », conclue Leif Andersson.

 

Référence

Nima Rafati, Junfeng Chen, Amaury Herpin, Mats Pettersson, Fan Han, Chungang Feng, Ola Wallerman, Carl-Johan Rubin, Sandrine Péron, Arianna Cocco, Mårten Larsson, Christian Trötschel, Ansgar Poetsch, Kai Korsching, Wolfgang Bönigk, Heinz G. Körschen, Florian Berg, Arild Folkvord, U. Benjamin Kaupp, Manfred Schartl, Leif Andersson PNAS http://dx.doi.org/10.1073/pnas.2009925117

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