Alimentation, santé globale 2 min

Inégalités et politiques publiques pour une alimentation durable

PARUTION - Depuis 1988, le département EcoSocio édite une revue pour rendre accessibles ses résultats de recherche et d’étude à un large public. En 2020 la revue change d’appellation et devient « INRAE Sciences Sociales ». Son premier numéro analyse les effets des politiques fiscales en faveur des achats alimentaires durables avec un focus spécifique sur la prise en compte des inégalités sociales.

Publié le 18 mai 2020

illustration Inégalités et politiques publiques pour une alimentation durable
© stokkete

Les résultats montrent qu’il n’y a pas lieu d’opposer environnement et nutrition, en revanche, la dimension sociale n’est pas compatible avec les deux autres dimensions de la durabilité de l’alimentation

Les politiques de prix sont connues pour donner un signal efficace aux consommateurs. Elles peuvent donc constituer un outil privilégié pour réorienter les choix alimentaires afin d’améliorer la durabilité de l’alimentation. France Caillavet et d’Adélaïde Fadhuile utilisent des approches issues de la micro‑économétrie de la consommation pour quantifier les effets de politiques fiscales qui inciteraient les consommateurs à adopter un comportement plus durable lors de leurs achats alimentaires. Leurs travaux visent à prendre en compte simultanément trois piliers de la durabilité : l’environnement, la santé via la nutrition et la dimension sociale via les inégalités. Or, cette dernière dimension, et notamment l’angle de la réduction des inégalités sociales, est un des piliers de la durabilité souvent négligé dans les travaux des économistes.

Les données mobilisées pour cette analyse permettent de calculer les équivalents environnementaux et nutritionnels des achats alimentaires à domicile et d'évaluert l'mpact sur le climat (GES en équivalent CO2), la qualité de l’air (acidification en g équivalent SO2) et de l’eau (eutrophisation en g équivalent N) de 21 catégories alimentaires. Les données utilisées confirment la hiérarchie des groupes alimentaires constatée dans d’autres études européennes (Briggs et al., 2013). La 1ère catégorie émettrice est celle des viandes (20,7 % des émissions de CO2, la viande bovine représentant à elle seule 13,3 %), puis les fruits et légumes frais (14,2 %), et la charcuterie (7,3 %). Cet impact en termes d’émissions de CO2 peut différer légèrement des autres indicateurs, mais les viandes sont toujours en 1ère position (36,5% du SO2 et 24,9 % des N). Dans ce contexte, la mise en place d’une taxe carbone sur l’alimentation enverrait un signal clair au consommateur. En effet, la nouvelle hiérarchie des prix incorporant le coût carbone creuserait l’écart entre les prix relatifs des différentes catégories alimentaires, renchérissant particulièrement le coût des viandes.

Mais les effets de l’incorporation du coût carbone dans l’alimentation au domicile ne sont pas les mêmes selon le niveau de revenus des ménages et par conséquent, les mesures fiscales (telles que la taxe nutritionnelle, par exemple sur les boissons sucrées ou sur la viande), ont des conséquences en matière d’équité. Une hausse des prix affecte le budget alimentaire, réduisant le pouvoir d’achat des ménages. Cet effet est d’autant plus important pour les ménages les plus pauvres, qu’ils consacrent une part supérieure de leurs dépenses à l’alimentation et qu’ils peuvent se montrer plus sensibles aux variations de prix. Un enjeu supplémentaire tient à la différenciation sociale de la consommation. Elle concerne aussi bien les produits animaux en raison de l’importance symbolique de la viande, que les fruits et légumes ou les légumes secs. En outre, on sait que l’incidence des pathologies liées à la nutrition est supérieure chez les populations plus défavorisées. Aussi, les effets distributionnels de politiques fiscales sur le bien être des consommateurs et la qualité nutritionnelle de l’alimentation doivent être pris en compte.

Pour éclairer l’impact de l’incorporation du coût environnemental, les chercheuses ont étudié le schéma redistributif via une action sur les prix qui consiste d’une part à réorienter la consommation de protéines, en suscitant des substitutions vertueuses entre sources de protéines animales et végétales. Il vise à décourager la consommation de produits animaux les plus émetteurs de GES et déconseillés pour la santé (taxation), et à favoriser celle de produits à teneur élevée en protéines végétales (subvention). Il consiste d’autre part, à construire un cadre de neutralité budgétaire, le revenu des taxes finançant les subventions. Pour cela quatre scénarios ont été définis, allant d’un objectif purement environnemental à sa combinaison avec des objectifs nutritionnels à travers le levier des sources de protéines animales/végétales.

Les résultats montrent que les différents scenarios étudiés ont des effets globaux positifs sur le plan environnemental et nutritionnel, mais se révèlent moins favorables en matière d’inégalités économiques et nutritionnelles. D’une part, les inégalités nutritionnelles s’accentuent légèrement. D’autre part, sur le plan budgétaire, la part consacrée à l’alimentation dans le revenu des ménages s’accroît, avec une incidence moindre pour les ménages les plus riches. Cela montre la nécessité d’accompagner de telles politiques publiques fiscales nutritionnelles et environnementales par des mesures compensatoires ciblant les populations défavorisées.

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