Société et territoires Temps de lecture 4 min
Impacts des modes de production labellisés sur la biodiversité : résultats de l’étude INRAE–Ifremer
COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Permettre aux consommateurs de connaître l’impact environnemental de leurs achats est l’un des objectifs de la loi Climat et résilience de 2021 . C’est dans ce cadre qu’ont été lancés des travaux en vue de mettre en place un système d’affichage environnemental des produits alimentaires. Les expérimentations en cours se fondent essentiellement sur l’analyse du cycle de vie (ACV) des produits, qui prend en compte les émissions de gaz à effet de serre ou la consommation d’eau, mais présente des limites pour intégrer les impacts sur la biodiversité. C’est pourquoi les ministères en charge de la transition écologique, de l’agriculture et de l’alimentation et l’Ademe ont sollicité INRAE et l’Ifremer en 2022 pour mieux documenter le volet biodiversité des impacts environnementaux de notre alimentation, en se focalisant sur les pratiques en agriculture (productions végétales et animales), en aquaculture et en pêche. Les conclusions de cette étude, présentées ce 30 avril, mettent en avant les pratiques qui ont des impacts favorables ou défavorables sur la biodiversité. Elles montrent également la disparité des pratiques figurant dans les cahiers des charges des labels et proposent des pistes méthodologiques pour mieux intégrer les effets sur la biodiversité dans le système d’affichage environnemental.
Publié le 30 avril 2025

Pendant 2 ans et demi, 29 experts affiliés à 9 organismes ont étudié près de 1 200 références bibliographiques (articles scientifiques et documents techniques, rapports institutionnels ou d’ONG), pour faire un état des connaissances sur l’impact des modes de production labellisés sur la biodiversité.
La dénomination « label » peut recouvrir à la fois les signes officiels qui attestent non seulement de l’origine ou de la qualité de produits alimentaires (AOP, AOC, IGP[1], Label rouge) mais aussi les certifications de conformité qui garantissent le respect de caractéristiques certifiées à partir d’un cahier des charges.
Ces labels permettent d’informer le consommateur sur la qualité nutritionnelle, sur le mode de culture ou d’élevage ou encore l’origine géographique d’un produit. Ils se rapportent à la qualité d’un produit ou à son lien au territoire de production. La prise en compte du lien à la biodiversité peut faire partie des objectifs du label ou non.
Sur le volet environnemental, pour qualifier les impacts des modes de production, l’analyse de cycle de vie présente des limites pour appréhender la dimension biodiversité.
L’étude BiodivLabel commanditée à INRAE et à l’Ifremer portait donc sur l’analyse de 13 labels[2] issus d’une liste fournie par les 2 ministères et l’Ademe, relevant tous d’une certification, publique ou privée, de portée nationale ou mondiale, généraliste ou dédiée à une filière particulière.
Agriculture, aquaculture, pêche : des relations différentes à la biodiversité
Ces 3 activités entretiennent des relations différentes à la biodiversité. La pêche prélève directement des individus dans des populations sauvages et exploitées en commun par différentes pêcheries, dans un milieu naturel et non privatisé, tandis que l’agriculture modifie un milieu qui est largement anthropisé pour y cultiver ou y élever des plantes et des animaux domestiqués. L’aquaculture, qui comprend la conchyliculture et la pisciculture en eau douce et en mer, se situe entre les deux : elle utilise des milieux artificiels (bassins) ou naturels (cages et poches en mer) et des animaux domestiqués ou prélevés dans les populations sauvages. Ces différences fondamentales rendent ainsi difficiles une comparaison directe entre ces 3 modes de production quant à leur impact sur la biodiversité. Les analyses des pratiques et labels agricoles portent ainsi plutôt sur des résultats favorables à l’augmentation de la biodiversité sauvage à partir du niveau de référence de l’agriculture dite conventionnelle ; à l’inverse, pour la pêche et l’aquaculture, les analyses portent plutôt sur les pratiques défavorables, selon leur impact sur la biodiversité existante et sur le fonctionnement des écosystèmes naturels, par rapport à des niveaux de référence de bon état écologique.
Analyse des pratiques et des cahiers des charges
Constatant que les travaux scientifiques qui mentionnent les impacts des modes de production labellisés sur la biodiversité étaient très peu développés, hormis pour les labels Agriculture biologique et MSC pour la pêche, les experts ont identifié, via la littérature, les impacts favorables ou défavorables des différentes pratiques sur la biodiversité, et examiné les cahiers des charges des labels du point de vue de ces pratiques. Pour l’agriculture, 8 pratiques ont été identifiées comme favorables avec un indice de confiance fort : la présence dans le paysage agricole d’éléments semi-naturels (haies, mares, bois, jachères, bandes fleuries…) et de prairies, les rotations diversifiées, l’absence de traitement avec des pesticides de synthèse, la réduction du travail du sol, la fertilisation organique, l’implantation de couverts végétaux et les cultures associées. Pour la pêche, des impacts négatifs ont été identifiés pour certaines pratiques : la surpêche, l’abrasion des fonds marins, les captures accidentelles d’espèces sensibles ou protégées... Pour l’aquaculture, des impacts négatifs ont été associés à l’introduction d’espèces exotiques en milieu naturel, à la forte densité des élevages...
L’analyse des cahiers des charges atteste de l’effet positif des labels d’agriculture biologique (règlement européen Bio, Demeter et Nature et Progrès) sur la biodiversité car ce sont ceux qui intègrent le plus de pratiques identifiées comme favorables, de manière exigeante et ambitieuse. Pour la pêche, les labels MSC et écolabel Pêche durable apportent des garanties de non-surpêche et de bonne gestion des espèces commerciales qu’ils ciblent, mais il reste difficile de pleinement mesurer et limiter l’ensemble des impacts d’une pêcherie sur la biodiversité et sur les écosystèmes au sens large. Pour l’aquaculture, la littérature scientifique est limitée et les cahiers des charges ciblent bien les principaux impacts identifiés mais restent peu exigeants, notamment sur la limitation de la densité d’élevage qui apparaît comme un facteur déterminant pour les niveaux d’impact.
Des pistes pour mieux intégrer la biodiversité
Au-delà de ces analyses, 3 pistes méthodologiques sont proposées dans l’étude pour estimer les impacts des modes de production sur la biodiversité et contribuent à éclairer la construction d’un affichage environnemental : l’indicateur CONTRA-BiodivLabel, la méthode BVIAS et la méthode du CSTEP[3].
Enfin, l’étude démontre que l’efficacité d’un label dépend non seulement de son cahier des charges mais également de son mode de fonctionnement. Pour évaluer les labels, il est nécessaire de prendre en compte le caractère obligatoire et ambitieux des mesures : les mesures obligatoires structurent généralement la cohérence et l’ambition du cahier des charges et ce sont celles dont les effets sont mesurables sur le terrain. Le mode de fonctionnement des labels (gouvernance, définition du cahier des charges, contrôles, suivi des audits...) influe à la fois sur le nombre de producteurs volontaires et sur le niveau des exigences. De cet équilibre dépendent les changements réels vers des pratiques de production plus durables et les effets globaux sur la biodiversité.
Si l’étude fournit des clés d’analyse et de compréhension quant à l’impact des productions labellisées sur la biodiversité, elle met aussi en évidence certaines limites, qu’il s’agisse du choix de l’unité fonctionnelle la mieux appropriée pour évaluer l’impact des produits labellisés sur la biodiversité (par kg de produit ou par ha de surface utilisée en agriculture par exemple), des interactions entre pratiques ou de l'intégration des impacts à une échelle au-delà de la parcelle. Il appartient à présent aux pouvoirs publics, aux scientifiques, aux gestionnaires de labels et aux autres acteurs de s’emparer de ces enseignements.
Replay de la conférence de presse
[1] AOP = appellation d’origine protégée ; AOC = appellation d’origine contrôlée ; IGP = indication géographique protégée.
[2] Agriculture biologique (AB), Appellation d'origine protégée (AOP) Comté, Aquaculture Stewardship Council (ASC), Bleu-Blanc-Cœur, le Certified Sustainable Palm Oil (CSPO), la certification Haute valeur environnementale (HVE), Demeter, l’écolabel Pêche durable, Label rouge, Marine Stewardship Council (MSC), Nature & Progrès, Rainforest Alliance et la Round Table on Responsible Soy (RTRS).
[3] L’indicateur CONTRA-BiodivLabel prédit en agriculture un niveau de biodiversité par unité de surface, en fonction de l’occupation des terres et des pratiques contenues dans les cahiers des charges. La méthode BVIAS (Biodiversity Value Increment from Agricultural Statistics) permet en agriculture d’estimer les pratiques mises en œuvre et de comparer les impacts des produits labellisés et non labellisés. La méthode du CSTEP (Comité scientifique, technique et économique des pêches auprès de la Commission européenne) établit 3 scores sur les risques de surpêche, d’abrasion des fonds marins et de captures non désirées d’espèces sensibles ou protégées.
Qu’est-ce qu’une étude ?
Une étude répond en général à des questions ciblées des pouvoirs publics et mobilise une part importante de littérature dite grise, ici les cahiers des charges des labels, et divers rapports d’acteurs privés et publics. La qualité de ces rapports fait l’objet d’une évaluation spécifique par un comité d’experts constitué pour la circonstance.
Référence
Clara Ulrich (coord.), Françoise Lescourret (coord.), Olivier Le Gall (coord.), Valentin Bellassen, Claire Bernard-Mongin, Christian Bockstaller, Luc Bodiguel, Claire Cerdan, Cécile Chéron-Bessou, Fabienne Daurès, Alexandra Di Lauro, Anne Farruggia, Colin Fontaine, Marine Friant-Perrot, Guillaume Fried, Didier Gascuel, Thierry Laugier, Morgane Le Gall, Sophie Le Perchec, Harold Levrel, Allison Loconto, Sterenn Lucas, Pierre-Alain Maron, Clémence Morant, Anne Mérot, Emmanuelle Porcher, Mégan Quimbre, Adrien Rusch, Marie Savina-Rolland, Clélia Sirami, Fabrice Vinatier, José Luis Zambonino Infante, Catherine Donnars (2025). Agriculture, aquaculture et pêche : impacts des modes de production labellisés sur la biodiversité. Synthèse du rapport d’étude, INRAE -Ifremer (France), 92 pages.