Alimentation, santé globale Temps de lecture 3 min
Plastiques utilisés en agriculture et pour l’alimentation : où en est-on ?
Depuis son essor dans les années 1950, la production de plastiques augmente à un rythme effréné à l’échelle mondiale ; celle des déchets plastiques suit le même mouvement. Ces déchets sont à la source de pollutions dans l’environnement et tout au long de la chaîne alimentaire. Pourquoi ? Et comment sortir de cet engrenage ? C’est ce que vient éclairer une expertise scientifique collective co-pilotée par INRAE et le CNRS, à la demande de l’Agence française de la transition écologique (Ademe) et des ministères en charge de l’Agriculture et de l’Écologie. Focalisée sur les plastiques utilisés en agriculture et pour l’alimentation, elle se fonde sur une analyse de la littérature scientifique mondiale réalisée par 30 experts européens.
Publié le 12 juin 2025

Pourquoi tant de plastiques ?
Comme dans de nombreux pays, la consommation de plastiques en France est élevée, estimée à environ 6,4 millions de tonnes en 2022, dont environ 20 % utilisés en agriculture et pour l’alimentation. Aujourd’hui les plastiques employés en agriculture le sont principalement dans les domaines de l’élevage bovin et des cultures sous serres comme les tomates. Ce sont en majorité des films. Dans l’élevage, ils permettent la conservation du foin (enrubannage, ensilage stocké sous bâche…) en faisant barrière à l’oxygène et à l’eau. Ils protègent les cultures sous abri ou sont utilisés en paillage pour maîtriser des adventices en faisant obstacle à la lumière.
Les plastiques dans l’agriculture et pour l’alimentation
- 91 % : emballages alimentaires
- 9 % : plastiques agricoles, dont 73 % pour l’élevage
Pour l’alimentation, les plastiques sont utilisés pour le transport, l’emballage et le service (verres, assiettes…). Les emballages protègent les aliments, faisant barrière à l’oxygène, à l’eau ou au CO2 et aux potentiels contaminants. Depuis les débuts de leur utilisation, ces plastiques sont aussi un support d’information du consommateur, ainsi qu’un vecteur marketing de choix pour les marques.
Porteurs symboliques et matériels de la culture du jetable, les plastiques ont été un ingrédient essentiel dans le développement de la société de consommation. Ils ont accompagné la mise en place des marchés mondiaux et des circuits longs de distribution, de même que l’industrialisation de l’agriculture. La restauration rapide et les plats cuisinés à emporter se sont eux aussi développés grâce aux plastiques.
L’essor des plastiques s’est construit principalement sous l’impulsion de l’industrie pétrolière. Elle a exploité ce débouché pour valoriser des coproduits du raffinage jusque-là inutilisés et développer de nouveaux marchés après la première puis la seconde guerre mondiale. Croissance de l’industrie pétrolière, modes de consommation et intensification de l’agriculture se renforcent ainsi mutuellement, ce qui normalise ces produits et ces pratiques, et rend la situation particulièrement difficile à transformer.
Livrables de l'expertise scientifique collective
- communiqué de presse
- résumé en français
- résumé en anglais
- synthèse en anglais
- vidéo du colloque de restitution du 23 mai
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Comment gérer autant de déchets plastiques ?
Les plastiques sont principalement issus de la pétrochimie. Les biosourcés, obtenus à partir de biomasse végétale ou microbienne, représentent 0,7 % du total des plastiques mondiaux produits (1,5 % en France et en Europe). La plupart des plastiques sont recyclables, mais une grande partie n’est pas recyclée. Ils ne sont pas non plus, pour la majorité d’entre eux, biodégradables dans tous les environnements. Seuls ceux produits par des microorganismes ou synthétisés à base d’amidon ou de cellulose directement extraits de la biomasse ont montré des niveaux de biodégradation moyens à élevés [1] par compostage, méthanisation ou dans les sols. Cette biodégradation ne s’opère actuellement pas dans des circuits de collecte et de traitement dédiés, en conséquence de quoi les plastiques biosourcés biodégradables amoindrissent la qualité des autres déchets plastiques ou des déchets organiques triés.
Devenir majoritaire des déchets plastiques collectés
- Monde (2019) : 64 % des déchets sont enfouis
- Europe (2020) : 42 % incinérés (35 % envoyés au recyclage, des quantités qui ont doublé en 15 ans)
- France (2018) : 35 % collectés en vue du recyclage (33 % envoyés à l’incinération, 32 % envoyés à l’enfouissement)
Recyclage des plastiques agricoles et alimentaires
Les difficultés à traiter les déchets plastiques sont de plusieurs ordres :
- Économiques : seul le recyclage du PET qui compose les bouteilles plastiques est aujourd’hui rentable (c’est également la seule filière techniquement viable comme celle du recyclage de certains polyéthylènes).
- Liées à la conception des plastiques : beaucoup d’entre eux sont complexes, supports de propriétés esthétiques ou fonctionnelles, il y a une diversité de types de plastiques porteurs de propriétés spécifiques. On peut même trouver du pétrosourcé dans le biosourcé. Traiter ces déchets est souvent difficile ou impossible. En outre, au moment de la conception, les attentes du consommateur ne sont pas prises en compte, ce qui limite les possibilités de simplification ou de recherche d’alternatives.
- Liées à des manques de transparence : par exemple, la composition exacte des plastiques est souvent inconnue, puis elle évolue au cours de leur cycle de vie sous l’effet de leur utilisation et de leur devenir dans l’environnement. Un autre écueil réside dans la difficulté à obtenir des données complètes et fiables sur les volumes et les flux. Les données actuelles ne permettent pas une vue claire, d’autant qu’il existe une grande diversité des systèmes de collecte et de tri.
- Liées à la conception des filières de tri : plus le tri est qualitatif (permettant d’isoler un type de matériau), plus le recyclage ou la biodégradation est efficace. Augmenter les volumes de tri peut être contreproductif lorsque cela conduit à mélanger différents types de plastiques nécessitant des traitements différents. Le consignage qui permettrait un réemploi est peu utilisé.
- Liées au fait que le recyclage encouragé sans objectif associé de réduction de la production et de la consommation de plastiques s’avère contreproductif. Mais proposer des modalités différentes de réemploi ou de tri a des impacts conséquents sur l’organisation de la collecte et de la valorisation du tri par les collectivités. Il est difficile de remettre en question certains investissements ou revenus générés par la valorisation de ces déchets.
Ces différents facteurs font que le système actuel encourage la production de plastiques et de déchets plastiques au détriment de leur réduction ou de leur réemploi. Il s’agit d’un véritable verrou : en sortir nécessite de faire bouger ensemble un grand nombre d’acteurs. Le consommateur, souvent responsabilisé, ne peut changer le système à lui seul.
Que sait-on de la pollution générée par les plastiques ?
Ce n’est pas parce qu’on ne les voit plus que les plastiques ne sont plus présents.
Peu de plastiques sont biodégradés, c’est-à-dire dégradés par les microorganismes en redonnant des éléments assimilables par le vivant dans l’environnement naturel. Sous l’effet des rayonnements ultra-violets, de l’oxygène ou de l’érosion par des microorganismes, des insectes, etc., les déchets plastiques se fragmentent en morceaux de plus en plus petits (microplastiques de moins de 5 mm puis nanoplastiques de moins de 1 micromètre). Lors de ce processus, ils libèrent aussi certaines substances entrant dans leur composition tels des bisphénols ou certains contaminants adsorbés à leur surface au cours de leur utilisation (métaux lourds, pesticides…).
La contamination des océans étant déjà bien documentée, elle n’entrait pas dans le périmètre de cette expertise. Cette expertise établit que la pollution n’a pas de frontières. Facilitée par les échanges entre sols, eaux et atmosphère, elle est ubiquitaire. Tous les sols, même ceux des déserts, sont contaminés, les sols agricoles le sont vraisemblablement à un degré supérieur à celui des océans. Les eaux d’irrigation sont aussi concernées. Tous les êtres vivants sont également affectés. Nos aliments et nos boissons sont contaminés. Les migrations entre emballages et aliments sont avérées, accélérées par le chauffage et certaines caractéristiques des aliments. Finalement, nous aussi, les humains, sommes contaminés, on retrouve du plastique dans nos organes, nos fluides (sang, etc.). Les plus petites particules de plastique, les nanoplastiques notamment, seraient capables de franchir certains tissus : barrière intestinale, etc.
- 100 microplastiques par kg (poids sec) de sol dans les régions reculées (comme les déserts), 1 000 dans les sols agricoles et 10 000 dans les sols urbains.
- 1,5 à 6,6 millions de tonnes de microplastiques dans les sols agricoles dans le monde, un tonnage supérieur à celui des océans.
- 10 à 40 millions de tonnes par an de moins de blé en raison de la pollution par les microplastiques en Europe.
Les composants tels que les bisphénols et les phtalates, identifiés comme perturbateurs endocriniens, ont des effets avérés sur la santé humaine : asthme et maladies respiratoires, troubles de la fertilité, cancers, maladies cardiovasculaires, diabète, obésité. Les estimations des coûts associés se chiffrent à 33 milliards d’euros dans l’Union européenne. Concernant l’impact sur la santé des particules de plastique elles-mêmes, les méthodes d’étude doivent être améliorées. Néanmoins, leurs effets sur certaines fonctions biologiques sont avérés. Le mécanisme d’action fondé sur un stress oxydatif est commun à l’ensemble du vivant. Une perte de fonctions écologiques est observée dans les écosystèmes, par exemple parce que les plastiques altèrent la distribution et l’infiltration d’eau dans les sols qui retiennent moins d’eau, cela rend la germination et la croissance des plantes plus difficiles. C’est donc la santé globale qui est fragilisée, et à plus long terme, la disponibilité des aliments.
Quels leviers d’action ?
Pour transformer un système, les réglementations peuvent être un outil efficace. Contraignantes, elles réussissent parfois à changer la donne économique pour mieux protéger les consommateurs et l’environnement. Accompagnées d’actions de sensibilisation et d’éducation, elles permettent de généraliser de nouvelles normes sociales. La perception de l’étendue des pollutions reste un levier essentiel pour faire évoluer les réglementations. Une gouvernance mondiale apparaît désormais nécessaire pour harmoniser les cadres réglementaires, coordonner les efforts de réduction à la source et garantir une action collective face à un problème transfrontalier. C’est l’ambition portée par les négociations en cours au sein des Nations unies, en vue d’un traité international juridiquement contraignant contre la pollution plastique.
Recyclage et réduction sont deux stratégies qui divisent les différents États au sein de ces négociations. La première est davantage portée par les pays producteurs de pétrole, la seconde l’est notamment par les États de l’Union européenne. C’est l’un des enjeux du traité international qui se préoccupe aussi des effets sur l’environnement et la santé humaine. Une économie véritablement circulaire doit privilégier la réduction puis le réemploi avant le recyclage. Or, actuellement le recyclage s’accompagne d’une augmentation de la production de plastiques vierges. Très limité, il se fait en boucle ouverte créant des produits différents de leur usage initial, ce qui ne favorise pas la réduction. Il nécessite souvent l’ajout d’additifs pour retrouver des propriétés, additifs qui rendront plus difficile une réutilisation ou un recyclage ultérieur. Il peut encourager la consommation, avec l’idée que les plastiques sont acceptables dès l’instant où ils sont recyclés. Le biosourcé reste une stratégie de substitution, qui remplace les plastiques pétrosourcés, sans permettre des changements de pratiques pourtant nécessaires.
Le cadre réglementaire français et européen actuel reste curatif plus que préventif. Seule une faible fraction des plastiques est réglementée : ceux destinés au contact alimentaire (à noter que cette réglementation ne s’applique pas aux cultures avant leur récolte et animaux avant l’abattage), les déchets (y compris les emballages) et les substances chimiques les mieux connues (selon le régime juridique, les plastiques sont considérés soit comme un matériau, soit comme un déchet, soit comme un assemblage de substances). De fait, les plastiques, incluant les additifs associés dans certaines formulations, représentent 16 000 substances chimiques différentes, dont 6 % font l’objet d’une régulation au niveau international. La toxicité est évaluée pour 25 % de ces substances, inconnue pour 66 %.
L’analyse du cycle de vie (ACV), utilisée pour évaluer l’impact environnemental des plastiques de leur création à leur devenir dans l’environnement, ne parvient pas à intégrer toutes les dimensions de la durabilité (par ex., changement d’affectation des sols, perte de biodiversité, ou plus généralement pollution par les micro et nanoplastiques…). L’analyse du coût de cycle de vie et l’analyse sociale du cycle de vie sont en cours de développement méthodologique. À date, l’ACV ne peut pas être utilisée seule pour évaluer des options de soutenabilité. Les estimations du coût des impacts sur l’ensemble du cycle de vie et du coût de l’inaction existent et donnent le vertige mais les méthodes et les données doivent être précisées.
Les leviers prioritaires :
- organiser la collecte des données,
- standardiser et progresser dans les méthodes d’analyse des impacts santé avec une approche One Health « une seule santé »,
- perfectionner l’analyse du cycle de vie (ACV),
- repenser la conception (en termes de composition et de structure) et le tri, en étant sensibilisés par les impacts, en s’appuyant sur des données et des méthodes fiables, en partant des attentes réelles des consommateurs,
- réguler le lobbying,
- organiser une gouvernance internationale.
Des défis collectifs et des besoins de recherche
Concluant le colloque de restitution du 23 mai 2025, Philippe Mauguin, PDG d’INRAE a pointé des défis à relever collectivement, parmi lesquels « Nous devons travailler à combler le manque de données sur les compositions et les flux de plastiques au long de la chaine alimentaire, avec le soutien des pouvoirs publics pour les recueillir, les centraliser et les rendre disponibles ». Il a suggéré de mieux caractériser la présence de plastiques dans l’environnement en mettant à profit les dispositifs d’observation et de recherche à long terme en environnement, opérés pour partie par INRAE et le CNRS. Il a souligné : « Il faut également prendre en compte dans la recherche d’alternatives une dimension essentielle du verrouillage de nos systèmes : le temps que les plastiques font gagner aux consommateurs dans les activités de préparation des repas ou aux agriculteurs dans leurs travaux. »
Autant de préoccupations partagées à l’échelle mondiale, et qui appellent des réponses systémiques, articulant science, politiques publiques et engagement des acteurs économiques. Alors que s’esquisse une gouvernance internationale sur le cycle de vie des plastiques, cette expertise collective offre des repères solides pour éclairer les choix à venir, en France comme à l’international.
Une expertise scientifique collective co-pilotée par INRAE et le CNRS
- 30 experts français et européens, sélectionnés pour leurs travaux dans ce domaine, avec des liens d’intérêts déclarés, issus de 24 organismes de recherche
- Près de 4 500 références bibliographiques étudiées (90 % de publications scientifiques et environ 100 textes législatifs et règlementaires)
- 2 ans et demi de travail collectif
- 3 pilotes scientifiques : Sophie Duquesne (Centrale Lille, en délégation CNRS), Muriel Mercier-Bonin (INRAE), Baptiste Monsaingeon (université de Reims Champagne Ardenne, en délégation CNRS à ESO Nantes)
- 1 cheffe de projet : Lise Paresys (INRAE)
- 2 directions :
- 1 comité de suivi composé de représentants des commanditaires et des directions générales des instituts porteurs
- 1 comité d’acteurs rassemblant les représentants des différentes parties prenantes consultées sur les orientations et la formulation des conclusions de l’ESCo
[1] Les autres biosourcés, produits à partir de monomères issus de la biomasse, sont biodégradés par un processus industriel adapté : compostage industriel à température élevée (70 °C), suivi d’une phase de biodégradation par des champignons.
[2] Union européenne, Norvège, Suisse, Royaume-Uni