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Étiquetage des aliments : pour être efficace le NutriScore doit devenir obligatoire

Contre toute attente, Nestlé a annoncé mercredi 26 juin 2019 son intention d’apposer le logo NutriScore (qui vise à informer de façon claire les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des aliments) sur l’ensemble de ses produits commercialisés en Europe.

Publié le 08 juillet 2019

illustration Étiquetage des aliments : pour être efficace le NutriScore doit devenir obligatoire
© Shutterstock

Le groupe suisse s’était pourtant rapproché en 2017 de Coca-Cola, PepsiCo, Mars, Mondelez et Unilever pour former le groupe des « Big 6 ». Cette alliance d’industriels de l’agro-alimentaire ambitionnait d’imposer un système de notation alternatif (« Evolved Nutrition Label ») pour contrer le déploiement du NutriScore.

Cette adhésion de Nestlé confirme que le NutriScore continue à marquer des points. Il a notamment été adopté officiellement par plusieurs pays européens, et bénéficie de l’engagement de nombreux groupes agro-alimentaires. Ceux-ci ont été convaincus par le dossier scientifique ayant démontré l’intérêt de ce logo, qui peut aussi se targuer du soutien des associations de consommateurs dans toute l’Europe.

Cependant, sa limite majeure est qu’il n’est toujours pas obligatoire. Les industriels peuvent donc encore choisir d’apposer leur propre système, au détriment des consommateurs.

Le NutriScore, c’est quoi ?

Le NutriScore a été conçu par l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), une équipe de chercheurs académiques indépendants travaillant pour l’Inserm, l’Inra, le CNAM et l’Université Paris 13.

Destiné à être apposé sur la face avant des emballages des aliments, il a pour objectif premier d’informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle globale des aliments. Il s’agit de les aider à comparer facilement les produits entre eux, afin d’orienter leurs choix vers les aliments les plus favorables à la santé. Le deuxième objectif du NutriScore est de pousser les fabricants à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs aliments, grâce à des reformulations des produits existants, ou des innovations.

L’algorithme sous-tendant le NutriScore attribue à chaque produit alimentaire un score unique, en fonction de sa composition nutritionnelle en éléments négatifs (calories, sucres simples, acides gras saturés et sodium) et positifs (fibres, pourcentage de fruits et légumes et protéines). Ce score permet ensuite de classer l’aliment en question dans l’une des 5 classes de qualité nutritionnelle définie par les chercheurs.

Les cinq classes du NutriScore sont facilement identifiables


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Ces classes sont identifiées grâce à un logo facilement compréhensible. Celui-ci associe une lettre (de A à E) et une couleur (du vert – associé à la lettre A, les aliments qui ont la meilleure qualité nutritionnelle – à l’orange foncé/rouge – associé à la lettre E, les aliments dont la qualité nutritionnelle est la moins bonne).

Pourquoi une telle opposition au NutriScore ?

Après une bataille de plusieurs années, le NutriScore a fini par être adopté officiellement par la France en octobre 2017, et plus récemment par plusieurs autres pays européens dont la Belgique et l’Espagne. Cependant son apposition dépend totalement de la bonne volonté des industriels qui peuvent refuser de l’afficher sur leurs produits.

En effet, dans l’Union européenne l’information des consommateurs est régie par le réglement INCO. Celui-ci a rendu obligatoire un étiquetage qui se matérialise sous forme d’un tableau des valeurs nutritionnelles au dos des emballages. Mais des études ont montré qu’il était peu utilisé par les consommateurs, compte tenu de la complexité de sa présentation et des difficultés liées à son interprétation. Or, l’INCO interdit aux États européens de rendre obligatoire un système d’information nutritionnel complémentaire sur la face avant des emballages.

À ce jour, 116 entreprises (industriels et distributeurs) ont accepté de jouer le jeu dans notre pays, soit environ 20 à 25 % du marché alimentaire français. Mais les 10 plus grandes multinationales ne sont toujours pas prêtes à rejoindre ce mouvement positif utile aux consommateurs. Or selon l’ONG Oxfam, les 10 plus grandes multinationales de l’agro-alimentaire détiennent près de 500 marques différentes, ce qui constitue une très grande partie de l’offre alimentaire mise à la disposition des consommateurs. Parmi ces 10 multinationales, 8 refusent d’afficher le NutriScore (seules Danone et Nestlé ont accepté).

D’autres sociétés industrielles (en dehors du Top 10 mais produisant des produits très largement répandus sur les rayons des supermarchés) sont également toujours réticentes à afficher le NutriScore. Il s’agit donc d’une perte de chance pour les consommateurs qui n’ont pas accès à une information synthétique, simple et intuitive.

Ce n’est peut-être pas sans arrière-pensée que certaines grandes multinationales refusent le NutriScore. Le portefeuille d’aliments de ces sociétés contient des produits particulièrement sucrés, gras ou salés, donc classés plutôt en D ou E sur l’échelle du NutriScore : boissons sucrées, barres chocolatées, confiseries, biscuits sucrés, céréales du petit-déjeuner, glaces, biscuits apéritifs…

Ainsi, 100 % des aliments des firmes Mars ou Ferrero sont classés en D ou E, tout comme 86 % des produits de Mondelez, 55 % pour Nestlé, 54 % pour Coca-Cola, 52 % pour Unilever, 50 % pour Kellogg’s et 46 % pour PepsiCo…


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Des logos alternatifs à l’avantage des lobbies

Outre le lobbying politique « classique », les méthodes utilisées par les multinationales pour bloquer l’adoption généralisée du NutriScore passent par la proposition de logos alternatifs qui, sans grande suprise, avantagent leurs produits.

L’histoire du logo Evolved Nutrition Label (suspendu depuis 2018) est emblématique de cette stratégie. Dérivé des systèmes de feux tricolores anglais, il s’agissait d’un code couleur basé sur les teneurs en nutriment, en gras, en sucre ou en sel. Problème : contrairement au NutriScore, ce logo présentait les teneurs par « portion » et non pour 100 g. Or la taille de ces « portions » à consommer étaient elles-mêmes déterminées par les industriels, et souvent inférieures aux portions réellement consommées.

L’intérêt de ce logo, pour les industriels qui le soutenaient, était de faire « pâlir » les couleurs. Un aliment rouge pour le NutriScore devenait orange avec cette signalisation… Et ainsi pouvait induire les consommateurs en erreur sur la composition nutritionnelle réelle des produits. Dénoncé par la communauté scientifique et les associations de consommateurs, l’ENL a été abandonné par Mars et Nestlé et « suspendu » en 2018 par les 4 autres initiateurs (qui, en dehors de Nestlé, n’ont pas pour autant adhéré à NutriScore…).

D’autres alternatives proposées aujourd’hui paraissent également très peu compréhensibles pour les consommateurs. C’est par exemple le cas des cercles nutritionnels proposé par l’association des industriels allemands BLL, du système des Apports de Référence (GDA ou RI) ou encore du système des batteries proposé par le gouvernement italien.

Les « alternatives » proposées par les industriels ne sont pas aussi intuitives que le NutriScore, et ne s’appuient pas sur des résultats scientifiques aussi solides.

Le système italien semble d’ailleurs particulièrement contre-intuitif, représentant la teneur en nutriments au travers de l’icône traditionnellement utilisée pour surveiller la charge d’un téléphone ou d’un appareil électrique, mais curieusement utilisée dans le logo italien en sens inverse (plus la batterie est « déchargée », meilleure est la qualité nutritionnelle de l’aliment !).

Surtout, outre sa lisibilité, l’intérêt du NutriScore sur ces diverses propositions est qu’il s’appuie sur un dossier scientifique très complet. Plus de 35 travaux publiés dans des revues scientifiques internationales ont permis de valider son mode de calcul et son format, et de démontrer ainsi son efficacité et sa supériorité par rapport aux autres logos existants, notamment ceux proposés par les groupes de pression.


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Les consommateurs et les associations s’emparent de la question

Entre 2005 et 2011, les lobbies de l’industrie ont dépensé 1 milliard d’euros pour empêcher la mise en place d’un logo en face avant des emballages à l’échelle européenne (chiffre jamais démenti par l’industrie agro-alimentaire qui est à rapprocher des quelque 985 milliards d’euros brassés par ce secteur)

Mais cette réticence pourrait s’avérer un mauvais calcul à terme. En effet, certains consommateurs sont de plus en plus demandeurs d’une transparence importante sur la qualité nutritionnelle des aliments, comme en témoigne le succès des applications mobiles proposant ce type d’information (même pour les marques qui n’affichent pas le NutriScore). Nestlé d’ailleurs ne cache pas avoir changé son fusil d’épaule pour cette raison.

En outre, afin de pousser la Commission européenne à réviser le règlement INCO et tenter de rendre obligatoire (et exclusive à tout autre logo) l’utilisation du NutriScore, 7 associations de consommateurs ont récemment lancé une initiative citoyenne européenne.

Effective depuis 2012, cette procédure donne un droit d’initiative politique à un rassemblement d’au moins un million de citoyens de l’Union européenne, venant d’au moins un quart des pays membres. La Commission européenne peut par ce biais être amenée à rédiger de nouvelles propositions d’actes juridiques sur la base des demandes des citoyens.

Difficile pour les chercheurs en nutrition et santé publique de ne pas soutenir cette initiative des associations de consommateurs, compte tenu des grands enjeux de santé publique liés à l’alimentation. Et notamment son rôle majeur reconnu dans le risque (ou la protection) vis-à-vis de maladies chroniques telles que les maladies cardio-vasculaires, certains cancers, l’obésité ou le diabète, pour ne citer qu’elles.The Conversation

Serge Hercberg, Professeur de Nutrition Université Paris 13 - Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord – USPC; Chantal Julia, Maitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord – USPC; Manon Egnell, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord – USPC; Mathilde Touvier, Directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Cité (USPC) et Pilar Galan, Médecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRA, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Serge HercbergProfesseur de Nutrition Université Paris 13 - Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HPEquipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord

Mathilde TouvierDirectrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie NutritionnelleInserm, Inra, Cnam, Université Sorbonne Paris Cité (USPC)

Manon EgnellEquipe de Recherche en Epidémiologie NutritionnelleInserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord – USPC

Pilar GalanMédecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRAEquipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord

Chantal JuliaMaitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP)Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord

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