Agroécologie 4 min
Echographier le tissu adipeux sous-cutané, saut technologique et expertise
Dans le cadre de projets soutenus par la région Centre-Val de Loire, des équipes de l’unité expérimentale Physiologie animale de l'Orfrasière (UEPAO) et de l’unité mixte de recherche Physiologie de la reproduction et des comportements (UMR PRC) ont utilisé l’imagerie médicale pour déterminer la masse graisseuse des animaux d’élevage. Un progrès qui pourrait intéresser notamment les éleveurs, les sélectionneurs et les fabricants d’aliments... Le point sur cette nouvelle technique avec Joëlle Dupont*, Pascal Froment*, Christelle Ramé*, Eric Venturi**, Marine Cirot**, Christophe Staub**.
Publié le 26 juillet 2019 (mis à jour : 20 décembre 2019)
Vous utilisez l’imagerie médicale pour déterminer la masse graisseuse des animaux d’élevage, comment est née cette pratique ?
L’échographie est utilisée de longue date en élevage (première échographie transrectale des organes génitaux chez la jument à l’Inra dès 1980, Palmer et Driancourt). Aujourd’hui, cette technique est principalement utilisée pour réaliser des constats de gestation ou suivre la cyclicité ovarienne sur toutes nos espèces animales. A part pour l’espèce porcine, pour laquelle les éleveurs utilisent l’échographie pour déterminer l’état d’engraissement des porcs en routine (mesure de l’ELD : épaisseur de lard dorsal), le suivi de l’épaisseur du tissu adipeux sous-cutané est relativement peu utilisé par rapport à la détermination classique de la note d’état corporel (NEC).
A l’UEPAO, le saut technologique a été réalisé en 2012, lors de l’acquisition d’un échographe perfectionné, grâce à un financement obtenu dans le cadre d’un projet régional sur les mammites cliniques (Staub et al., 3R, 2013 ; Rainard et al., Plos One, 2015 ; Herry et al., Nature, Scientific reports, 2017).
Comment avez-vous procédé ?
Dans le cadre de nos projets de phénotypage, nous avons cherché des points de repère précis au niveau de l’espèce bovine, afin de standardiser une mesure fiable et répétable de l’état d’engraissement des animaux et de s’affranchir de la subjectivité de la NEC trop dépendante de la sensibilité de l’expérimentateur. Les premiers résultats du projet TASC (tissu adipeux sous-cutané) financé par le département PHASE ont été présentés à Belfast en 2016 (Staub et al., EAAP, 2016), montrant des corrélations très élevées entre la mesure échographique au niveau lombaire et la NEC. Cette collaboration inter-unités expérimentales sur toutes les vaches des centres INRA (Holstein, Normandes, Charolaises, Salers, Montbéliardes) nous a permis de valider des indicateurs phénotypiques liés aux mesures échographiques et de suivre précisément l’engraissement des vaches en fonction de leur stade physiologique. Ces mesures échographiques ont ensuite servi de standard de référence pour le développement d’une technique de détermination haut-débit de l’état corporel des bovins par imagerie 3D sur le site INRA de Méjusseaume (Philippe Faverdin, PEGASE).
Pourquoi s’intéresser à la volaille ?
Une fois cette expertise acquise sur les bovins, nous avons transposé la mesure du tissu adipeux sous-cutané par échographie aux espèces animales équine et avicoles (volailles, canard, dindes), participant à de nombreux projets en partenariat (Cobo et al., JRA, 2015 ; Dewez et al., JRA, 2017 ; Mellouk et al., JRA, 2017 ; Mellouk et al., Plos One, 2018).
Chez la volaille comme pour les mammifères domestiques, le suivi régulier de l’état corporel constitue un indicateur clé en élevage, surtout lorsqu’il permet d’adapter l’apport alimentaire. Auparavant, les seules méthodes utilisées pour déterminer les niveaux d’engraissement chez le poulet étaient de tuer l’animal et peser la graisse abdominale. Une autre technique, la bio-impédancemétrie, est moins invasive mais reste douloureuse. Elle consiste à faire passer un faible courant électrique dans l’animal afin de mesurer la résistance due à la présence du tissu adipeux. Cette technique nécessite également une analyse par des algorithmes qui sont confidentiels et auxquels nous n’avons pas accès et qui varient en fonction de l’âge de l’animal. Pour rompre avec ces techniques, nous nous sommes orientés vers des techniques d’imagerie non-destructive, permettant d’obtenir des données de précision. Dans le cadre de projets régionaux (Adipofertikines en 2012 et Oxyferti en 2015), l’échographie utilisable sur le terrain a permis d’obtenir des valeurs objectives de la composition corporelle comme la mesure de graisse sous-cutanée, de l’épaisseur de muscle, de l’altération des tissus et de pouvoir les associer avec la fertilité et le développement des animaux.
La technique est différente en fonction des espèces étudiées ?
L’anatomie des poules ne nous permettait pas de prendre les mêmes points de repère que chez les bovins. Nous avons couplé les analyses d’échographie avec l’utilisation du scanner pour pouvoir identifier des points anatomiques répétables d’un individu à un autre, indépendant du sexe et de son état d’engraissement. Nous avons également adapté nos mesures à d’autres espèces comme le canard et la dinde. La qualité des images obtenues au CT-Scan permet d’augmenter le nombre d’informations mesurables sur le même animal, de manière indolore et non invasive, et ainsi de suivre le développement des tissus musculaires, adipeux, osseux et des gonades. Les réglages établis grâce à Francois Lecompte à CIRE ont permis de standardiser les images chez la poule et la dinde (Dewez et al., Poultry Science, 2018). Bien-sûr, l’utilisation du CT-Scan nécessite une anesthésie légère de l’animal, c’est pour cela que nous l’avons couplé à l’utilisation de l’échographie pour pouvoir faire d’autres mesures sur terrain plus rapidement. L’association de ces deux techniques d’imagerie nous permet aussi de prédire l’évolution de l’animal mais aussi les rendements à la découpe par exemple.
Par rapport aux autres animaux, le fait que les volailles aient des plumes, a été un nouvel enjeu pour pouvoir effectuer nos mesures sans être invasif : l’accès à la peau étant essentiel pour l’examen échographique, il fallait passer entre les plumes ! Finalement, nous avons pu identifier plusieurs sites anatomiques pertinents pour mesurer facilement le niveau d’engraissement et le développement musculaire en moins de 5 minutes et en laissant juste l’animal au repos sur un petit tapis.
Le site de mesure utilisé pour l’évaluation de l’épaisseur du tissu adipeux chez les volailles permet l’obtention de données parfaitement corrélées (proches de 0,9 chez les femelles) à l’état d’engraissement général du poulet et plus particulièrement avec la quantité de tissu adipeux abdominal qui est plus difficilement mesurable. Cette corrélation a été mise en évidence lors de dissections abdominales, comparées à l’échographie puis au niveau global via le scanner.
Pourquoi ce choix de l’échographie ?
Le coût des échographes a fortement diminué pour une qualité d’image qui n’a cessé d’augmenter. Cet outil utilisable sur le terrain permet d’obtenir des valeurs objectives de la composition corporelle comme la mesure de graisse sous-cutanée, de l’épaisseur de muscle, d’altération du tissu. Dans le cadre des projets régionaux nous avions besoin d’obtenir ces données sur un nombre conséquent d’animaux vivants et de faire des cinétiques tout au long de leur durée de vie en élevage.
Comment procédez-vous chez les volailles ?
L’analyse est assez simple, il suffit juste que l’oiseau se repose sur un tapis pour que l’on puisse mouiller ses plumes à l’eau tiède savonneuse pour améliorer le contact entre la sonde et la peau de l’animal. La sonde échographique passe entre les plumes et est posée précisément au niveau des vertèbres dorsales à un endroit très échogène constitué par l’interface gras / muscle et la présence de tendons permettant l’attache des muscles provenant du croupion au niveau du synsacrum de l’animal.
Quelles vont être les applications possibles de cette technique ?
Les applications en aviculture sont grandes, quelle que soit l’espèce. Au niveau des filières d’élevage, avoir des mesures précises des caractéristiques corporelles sur animaux vivants sans les stresser permet d’ouvrir des portes sur l’utilisation d’une alimentation plus adaptée au cours de leur développement notamment avant et pendant la ponte, des données de bien-être, mais aussi pouvoir évaluer la qualité des tissus. Nous pouvons donc aujourd’hui donner une note d’état corporel objective en moins d’une minute et passer sur le terrain, un échantillonnage de près de 500 poules en moins d’une journée.
Dans le cadre de projets scientifiques cela permet d’avoir des informations sur l’état corporel des animaux et de les associer avec toutes les mesures qui sont faites en métabolisme et en métabolomique à partir d’un prélèvement sanguin.
Cette analyse du gras existait déjà en routine chez le porc, pourquoi ce saut technique chez d’autres espèces ?
Le coût de l’échographie était le facteur limitant. Dans les années 1990 nous utilisions des échographes portatifs pas chers, de type Agroscan™, qui permettaient de faire une mesure ponctuelle de l’épaisseur de lard dorsal, avec une faible qualité d’image.
Plus tard l’apparition d’appareils provenant de la recherche médicale nous a permis de faire des progrès. Aujourd’hui on assiste à une vulgarisation de l’utilisation de l’échographie, car de nombreuses sociétés, chinoises, européennes ou américaines développent des appareils portatifs avec des qualités d’images excellentes de type smartphone.
C’est ce qui a permis le passage à la volaille ?
En 1989, un article de scientifiques de l’URA1 dans la revue productions animales indiquait qu’il n’existait pas de technologie adaptée et précise pour la mesure du tissu adipeux. Aujourd’hui un verrou technologique a sauté, nos indicateurs viables vont être disponibles sur des appareils compacts, portatifs et faciles d’utilisation pour les éleveurs.
Trois facteurs ont évolué : la définition et l’éventail de sondes disponibles, la qualité et le prix des appareils et enfin notre expertise.
Nous avons également acquis une expertise anatomique sur plusieurs espèces (des poissons, oiseaux, ruminants, etc…) qui provient des efforts faits pour avoir des points de repères fiables et de la pratique de l’analyse de milliers d’images issues de milliers de manipulations.
Quelles sont les évolutions futures ?
L’éleveur ne possède pas cette expertise, c’est pourquoi nous travaillons sur le dernier verrou qui est la mesure automatisée, cela existe déjà pour certains caractères notamment la mesure de l’épaisseur de lard dorsal et du diamètre de la noix de filet chez le cochon ou alors certaines mesures ovariennes qui sont utilisées en reproduction. Ce qui nous intéresse c’est de pouvoir réaliser une note d’état corporel automatisée en échographie.
Chez les vaches mises aux cornadis2 ces examens sont possibles, chez la volaille il n’y a même pas besoin de contention. Ce n’est pas le positionnement de la sonde qui serait automatisé mais le repérage de l’endroit mesuré et la mesure faite automatiquement par l’échographe. Pour cela nous travaillons en partenariat avec une entreprise privée.
Ce progrès pourrait intéresser les éleveurs, les sélectionneurs et les fabricants d’aliments qui ont besoin d’améliorer le caractère prédictif de leurs indicateurs de croissance.
1 Article de l’Unité de recherches avicoles (URA), Productions animales, Vol. 2, N°4, 1989 : https://www6.inra.fr/productions-animales/1989-Volume-2/Numero-4-1989/Possibilites-d-obtention-et-interet-des-genotypes-maigres-en-aviculture * Equipe Senseurs énergétiques et signalisation de la reproduction, unité mixte de recherche Physiologie de la reproduction et des comportements, UMR PRC |