Deux laboratoires franco-chinois associés au service de la biosécurité végétale
Les laboratoires conjoints créés entre INRAE et la Chine tissent une coopération scientifique structurée autour des grands enjeux agricoles et environnementaux. Focus sur BIPi et IFOPE, 2 laboratoires internationaux associés emblématiques de cette dynamique au service de la biosécurité végétale.
Publié le 12 mai 2025
En Chine, INRAE développe depuis plus de 10 ans des collaborations scientifiques avec ses partenaires. Parmi elles, les laboratoires internationaux associés (LIA) occupent une place à part, en réunissant des équipes franco-chinoises autour de priorités partagées et structurées : protection des cultures, préservation des sols, changement climatique, gestion des espèces invasives...
Avec une douzaine de LIA créés depuis 2013 aux côtés d’institutions majeures, la Chine est aujourd’hui le premier partenaire d’INRAE en Asie. Cette dynamique se renforce avec de nouveaux projets stratégiques qui élargissent les thématiques fondatrices vers de nouveaux domaines scientifiques d’avenir, confortant la place d’INRAE au cœur des collaborations scientifiques internationales.
Parmi ces laboratoires, certains s’appuient sur des collaborations scientifiques déjà bien établies entre équipes françaises et chinoises. C’est le cas du LIA BIPi (Bacteria-Insect-Plant interactions), lancé en 2019 avec l’Institut de protection des plantes de la Chinese Academy of Agricultural Science (CAAS). Ce laboratoire mobilise 2 unités INRAE autour d’un objectif : mieux comprendre les interactions entre insectes ravageurs, plantes hôtes et bactéries associées, pour contribuer au développement d’alternatives aux produits phytosanitaires. « Ce LIA s’inscrit dans une dynamique d’agroécologie, avec une préoccupation commune de protection des cultures», indique Emmanuelle Jacquin-Joly, directrice de recherche INRAE et porteuse du LIA.
Insectes, plantes, bactéries : comprendre pour mieux protéger

Deux axes guident les travaux des équipes en Chine et en France. Le premier porte sur les médiateurs chimiques – ces signaux odorants ou gustatifs échangés entre insectes ou avec les plantes. Les scientifiques cherchent des moyens de perturber cette communication chimique afin de limiter les interactions nuisibles, notamment en contexte agricole. Le deuxième concerne l’utilisation de toxines bactériennes comme outil de biocontrôle.
Les résultats sont au rendez-vous. En 5 ans, le LIA BIPi a produit 15 publications communes, dont plusieurs dans des revues internationales de référence (eLife, Nature Communications, PNAS, Annual Review of Entomology). Parmi elles, une découverte majeure publiée dans eLife en 2019 : l’identification d’un récepteur à la phéromone sexuelle d’un type inédit chez les papillons, une découverte qui « bouleverse l’hypothèse classique sur l’évolution des de ces récepteurs olfactifs chez les insectes », constate Emmanuelle Jacquin-Joly. Au-delà de cet aspect, ce récepteur est aussi prometteur d’un point de vue appliqué : « Si on parvient à bloquer ou perturber ce récepteur, on peut empêcher la rencontre des mâles et des femelles, et donc limiter les accouplements. »

Pour aller plus loin
Biocontrôle : l’évolution d’un papillon ravageur de cultures mise en lumièreDes chercheurs d’INRAE, de Sorbonne Université et de l’Institut de protection des plantes de Pékin ont retracé l’évolution d’un récepteur olfactif clé chez la noctuelle du coton. Publiée dans PNAS, cette étude ouvre des pistes pour mieux perturber la reproduction de ce ravageur.
Actuellement en cours de renouvellement, le LIA prévoit d’entrer dans une nouvelle phase. « Alors que le premier LIA était centré sur les papillons ravageurs, le deuxième va élargir son périmètre aux mouches des fruits, dont certaines représentent désormais une menace importante pour l’Europe, et pour la France en particulier », détaille Emmanuelle Jacquin-Joly.
Le projet inclut également de nouvelles approches méthodologiques, telles que la modélisation des récepteurs olfactifs assistée par intelligence artificielle et le criblage virtuel de molécules. Ces travaux s’appuient notamment sur des collaborations avec l’Institut de chimie de Nice et l’AGIS-CAAS de Shenzhen, nouveau partenaire du LIA et centre de référence en génomique agricole, dont les chercheurs figurent parmi les rares équipes à avoir obtenu la structure tridimensionnelle d’un récepteur olfactif d’insecte.
Des orientations qui reposent sur une forte complémentarité entre les équipes françaises et chinoises. « Nos partenaires chinois disposent de très bonnes plateformes de séquençage et d’analyse structurale, qui complètent nos expertises en physiologie et en génétique des récepteurs », relève la porteuse du LIA.
Un volet ambitieux de formation
Depuis 2019, 16 échanges scientifiques ont eu lieu, incluant des mobilités courtes, 4 thèses soutenues et plusieurs séjours de longue durée. Le LIA a également permis d’établir un programme spécifique de bourses dédiées avec le Chinese Scholarship Council (CSC), reconnu en Chine comme un label de qualité. « Grâce à ce dispositif, nous avons pu accueillir plusieurs doctorantes chinoises dans nos laboratoires, pour des séjours longs de 1 à 3 ans financés intégralement par le CSC », souligne Emmanuelle Jacquin-Joly. « C’est ce qui rend la collaboration vivante et durable : le partage d’expertise, la mobilité des jeunes chercheurs, la co-construction », poursuit-elle.
Anticiper les invasions biologiques forestières
Le LIA IFOPE explore quant à lui les dynamiques d’invasion à une autre échelle : celle des populations, des forêts et des échanges commerciaux, avec un même objectif : renforcer la biosécurité végétale par deux approches complémentaires, portées à des échelles différentes.
Créé en 2017 avec la Beijing Forestry University, la plus grande de Chine dans le domaine, le LIA IFOPE (Invasive FOrest Pests affecting biodiversity and forest Ecosystems in Eurasia-Insectes forestiers envahissants affectant la biodiversité et les écosystèmes forestiers en Eurasie) réunit des chercheurs français et chinois afin de mieux comprendre et anticiper les invasions biologiques d’insectes forestiers. « Ce partenariat a changé la donne : auparavant, on était dans une logique de missions ponctuelles, notamment dans le cadre de projets européens. Le LIA apporte une stabilité et une structure pérenne à nos travaux », considère Alain Roques, directeur de recherche émérite à INRAE et porteur du LIA.
« Si on avait pu observer la pyrale du buis à l’état local dans les années 2000, on aurait probablement pu anticiper son introduction en Europe »
Le choix du terrain chinois n’est pas anodin. La Chine est aujourd’hui l’une des principales sources d’espèces exotiques envahissantes introduites en Europe, notamment via les flux commerciaux de plantes et de matériaux boisés. « La pyrale du buis, qui ravage aujourd’hui les haies dans toute la France, est un bon exemple. Elle a été introduite via des plants importés. Si on avait pu l’observer à l’état local dans les années 2000, on aurait probablement pu anticiper son introduction en Europe », révèle le porteur du LIA. Car une difficulté majeure persiste : beaucoup d’espèces problématiques en Europe ne causent aucun dégât apparent dans leur zone d’origine. Les identifier et les étudier sur place est donc devenu une priorité scientifique.
Surveiller grâce à des plantations sentinelles
Dans cette optique, les équipes du LIA ont mis au point un dispositif inédit : les plantations sentinelles et pépinières sentinelles. Pour les plantations sentinelles, des essences forestières européennes (chênes, hêtres, sapins) sont plantées en Chine, puis surveillées pour voir quels insectes locaux peuvent les coloniser et s’y développent. En miroir, des arbres chinois fréquemment exportés vers l’Europe sont cultivés sans traitement phytosanitaire, afin d’observer quelles espèces d’insectes y prolifèrent.

L’autre volet, pépinières sentinelles, consiste à planter et surveiller en Chine, sans aucun traitement phytosanitaire, des arbres des essences les plus exportées vers l’Europe. Ce dispositif pionnier permet de simuler les dynamiques d’invasion avant même qu’elles ne se produisent, et de produire des données prédictives utiles aux services de biosécurité. C’est la mise en place de ce système qui aurait vraisemblablement permis de détecter, en amont, les dégâts prévisibles de la pyrale du buis, avant son arrivée en Europe, et de déployer des moyens de surveillance à l’importation.
Une partie des recherches consiste également à détecter les insectes dès leur arrivée dans les pays importateurs. Les équipes INRAE ont mis au point un mélange attractif générique, capable d’attirer une large diversité d’insectes. Un mélange adopté par les équipes chinoises, permettant la construction d’une base de données communes, avec des retombées concrètes : le dispositif a été repris par le ministère français de l’Agriculture, et les attractifs sont déployés dans tous les ports français.
Le troisième pilier repose sur la traçabilité génétique. Grâce à l’envoi de doctorants français pour échantillonner dans toute la Chine des spécimens d’espèces envahissantes déjà arrivées en Europe, les chercheurs peuvent retracer les routes d’invasion de certains coléoptères, comme venant notamment de la région de Shanghai.
« Un capricorne originaire de Chine, suspecté de s’attaquer à la vigne dans le sud de la France, est élevé à Pékin et testé en quarantaine à Orléans grâce au LIA. »
En retour, plusieurs jeunes scientifiques chinois ont effectué post-doctorats ou thèse au sein du laboratoire d’Orléans, pour étudier cette fois les espèces européennes devenues problématiques en Chine. « La réciprocité fonctionne très bien », observe Alain Roques, « y compris sur des espèces émergentes comme un capricorne originaire de Chine, suspecté de pouvoir s’attaquer à la vigne dans le Sud de la France. Grâce au LIA, on l’élève à Pékin, et on teste son comportement en conditions de quarantaine à Orléans. »
Ces travaux ont déjà conduit à plusieurs avancées notables. Le LIA a permis la publication de la première liste des espèces exotiques forestières présentes en Chine, un outil inédit pour anticiper les introductions. En 2023, les résultats issus de l’évaluation des attractifs ont donné lieu à une publication conjointe essentielle, tant pour la Chine que pour l’Europe. Depuis sa création, une soixantaine d’articles scientifiques ont été publiés, dont 6 dans le cadre direct du premier accord. L’un d’eux a été publié en 2023 dans la revue internationale de référence du domaine, Annual Review of Entomology.
« On veut désormais intégrer les facteurs biologiques, commerciaux et climatiques dans une même approche de risque », précise Alain Roques. Pour la période 2023-2027, le LIA IFOPE II se structure donc autour de 3 priorités : analyser les flux commerciaux de végétaux et leur rôle dans l’introduction d’espèces exotiques, modéliser l’évolution des invasions sous l’effet du changement climatique, et reconstituer la dynamique des populations invasives à partir de données génétiques.
Croiser les regards sur les espèces invasives
En septembre 2024, les porteurs des LIA BIPi et IFOPE ont coorganisé à Pékin une conférence scientifique dédiée aux espèces invasives et aux ravageurs. L’événement a réuni une vingtaine de chercheurs français et chinois, rassemblant pour la première fois en Chine laboratoires internationaux INRAE et un équivalent du CNRS autour d’un même enjeu : anticiper les menaces biologiques émergentes et construire des réponses.

Ce rapprochement, porté par les scientifiques, ouvre la voie à une nouvelle étape. À l’horizon 2025, plusieurs projets devraient aboutir : organisation d’un symposium franco-chinois, structuration de nouveaux LIA, intégration à des initiatives stratégiques comme One Water Vision, montée en puissance des programmes doctoraux conjoints. Autant de jalons vers une coopération encore plus transversale. . La création du centre de neutralité carbone franco-chinois inauguré par les pouvoirs publics en 2023, et qui intégrant quatre LIA d’INRAE, dont IFOPE, offre également un cadre propice à l’émergence de nouvelles collaborations.
9 LIA actifs dans des domaines clés
INRAE copilote aujourd’hui 9 laboratoires internationaux associés (LIA) avec des partenaires chinois, organisés autour de 4 axes scientifiques. Un projet sur la phénomique végétale est en cours de finalisation, tandis qu’un second projet, consacré à l’économie circulaire des déchets agricoles et agroalimentaires, est en phase de structuration.
Quatre de ces LIA (signalés par un astérisque) sont intégrés au Centre de neutralité carbone franco-chinois.
1. Agroécologie, gestion durable des sols et écosystèmes
- A-AGD* (en cours de renouvellement) : agroécologie, pratiques agricoles durables et modélisation multi-échelle.
INRAE-China Agricultural University (CAU, Pékin) - ECOLAND-II* (renouvelé 2023) : écosystèmes, services écosystémiques et dépollution des sols.
INRAE-université de Lorraine-Sun Yat sen University (Canton, Guangdong)
2. Innovation variétale et adaptation au changement climatique
- INNOGRAPE-II (renouvelé en 2024) : amélioration de la vigne face au changement climatique.
INRAE-université Bordeaux-Bordeaux Sciences Agro-Chinese Academy of Sciences (Beijing) - WHEAT WGP-II (en cours de renouvellement) : sélection génétique du blé et adaptation aux stress environnementaux.
INRAE-université Clermont Auvergne-Chinese Academy of Agricultural Science (Pékin) - PLANTOMIX-II * (renouvelé en 2024) : diversité fonctionnelle et résilience des mélanges variétaux.
INRAE-Yunnan Agricultural University (Kunming, Yunnan) - HORTILAB (nouveau, 2024-2029) : horticulture, reproduction et amélioration génétique.
INRAE-Paris-Saclay-Huazhong Agricultural University (Wuhan)
3. Alimentation, structuration alimentaire et nutrition santé
- FOODPRINT-II (renouvelé en 2025) : biodisponibilité des nutriments et structuration des interfaces alimentaires.
INRAE-Agrocampus Ouest-Soochow University (Suzhou, Jiangsu)
4. Protection biologique et santé des écosystèmes
- BIPi-II (en cours de renouvellement) : interactions plantes-insectes-bactéries pour le biocontrôle.
INRAE-IPP CAAS (Pékin)-Agricultural Genomics Institute (Shenzhen) - IFOPE-II * (renouvelé en 2024) : invasions biologiques d’insectes forestiers et stratégies de surveillance.
INRAE-Beijing Forestry University (Pékin)